Ice-Pick Lodge, c’est un peu les Dali du jeu vidéo. Après nous avoir proposé un The Void vraiment hors du commun, voilà que cette brillante équipe de développement nous revient dans un titre complètement hors-norme. Mais à force d’étrangeté, ne finit on pas par moins briller ?
La gravité du scénario
Les dieux sont en colère. En résulte alors la destruction de l’Humanité et une Terre complètement vide, réduite à quelques ilots sans grand intérêt, peuplés par les Buddies. Ces petits êtres à grosse tête, petit corps, toujours dénudés, ne sont pas affectés par la gravité et sont donc capables de bien des folies. Dans le rôle d’une humaine qui échoue sur l’une de ces iles, le joueur doit rétablir l’ordre et l’équilibre sur cette bonne vieille planète et pour cela, un seul mot d’ordre : l’amusement. C’est le seul moyen de stopper les Buddies et de reprendre sa place d’espèce dominante sur Terre.
Comment ça, un scénario dingue ? Mais non voyons. Disons seulement que les développeurs d’Ice-Pick Lodge ne fument pas que du tabac lors de leurs séances de brainstorming. Il n’empêche que ce scénario est construit de façon à poser toutes les bases de gameplay nécessaire à la conception d’un bon jeu original. Cargo est avant tout un titre à la troisième personne, ou l’on contrôle un individu féminin à la voix peu suave, très rauque, qui va donc tenter de remettre en place le monde des humains. Au début, il s’agit surtout d’écouter les dieux faire des blagues et nous expliquer les règles du jeu. On frappe alors les Buddies, d’un bon coup de pied dans l’arrière-train, pour gagner des points d’amusement et « d’acheter » des ilots supplémentaires, inaccessibles, qui flottent dans les airs et amènent quelques Buddies supplémentaires. Ces ilots étant souvent inspirés de monuments existants.
La boucle se lance alors : on frappe des Buddies, on récole de l’amusement, on achète. Jusqu’à atteindre l’objectif demandé par les dieux. Tout cela entrecoupé de « vrais » objectifs, plus complexes, tels que de réveiller un volcan, se débarrasser de pingouins géants ou jouer du Vuvuzuela géant. Pour mener à bien ces quelques missions, il faut pouvoir se déplacer. C’est pour cela qu’un système de création de véhicules est aussi de la partie, faisant rapidement penser à un certain Banjo & Kazooie : Nuts & Bolts. Voitures, bateaux, sous-marin, hélicoptère, avions ou hybrides très librement constructibles sont alors de la partie.
L’éditeur n’est pas très ergonomique et manque un peu de précision au clic pour être réellement abordable par tout le monde, mais en soi ce n’est pas le plus gros souci du jeu. Créer son véhicule est amusant et le résultat et souvent hors du commun. Enfin, si vous voulez vous en servir pour amuser les Buddies et gagner des points, il vous suffit d’y accrocher une bouée. Celle-ci attirera les Buddies et les fera s’envoler, faisant littéralement exploser votre score. Ne cherchez pas un peu de logique et de bon sens dans Cargo, vous n’en trouverez pas. En soi, l’ambiance est vraiment prenante et on s’y amuse pourvu qu’on adhère à l’univers totalement fou qui nous est proposé ici. Le seul problème, c’est un manque de finition.
Original, certes. Mais c’est tout
Je pourrais vous parler des déplacements aux animations quelque peu saccadées, des nombreux bugs de clipping, de sortie de carte qui obligent le joueur à relancer la partie, des nombreuses coquilles techniques qui empêchent toute implication totale dans ce monde loufoque. Mais parlons surtout de la gravité, qui est au centre du jeu : elle est insupportable. Souvent ennuyante lors des déplacements, elle atteint un paroxysme de ratage lors de courses ou des virées en sous-marin. Toucher un mur vous fait pratiquement vous retourner immédiatement. Les véhicules semblent manquer d’adhérence, de poids. C’est assez ennuyant.
Cargo est pavé de bonnes intentions, est assez loufoque pour faire office de rafraichissement original et un peu barré, mais il est aussi trop buggé pour ne pas énerver au bout d’une heure de jeu. On en vient littéralement à jouer avec les bugs, à les prévoir, à essayer de vivre avec pour tenter de continuer l’aventure. Et plus on avance dans le jeu, plus ils sont nombreux. C’est vraiment dommage dans le sens ou Cargo a vraiment tout du bon jeu « à part » qui amuse pendant des heures. Son concept de création d’ilots référencés est très accrocheur et son scénario découpé en saisons permet de ne jamais trop s’ennuyer d’un objectif à l’autre. Mais les joueurs qui ont d’autres titres sur le feu risquent de ne jamais y retourner une fois la partie quittée, par manque de motivation.
Cargo est un jeu à réserver à un public qui cherche avant tout beaucoup d’originalité et qui possède assez de volonté pour ne pas avoir à fustiger les développeurs à chaque bug rencontré. Il est de ces titres intéressants qu’il est nécessaire de se faire uniquement en période de vache maigre, histoire d’éviter de le ranger dans un coin de son disque dur sans jamais y revenir. Cargo, concrètement, c’est un peu comme les dessins de Terry Gilliam : c’est fun, original, mais au bout de 5 minutes cela devient franchement du grand n’importe quoi et on aurait davantage apprécié de le retrouver en supplément d’une autre « vraie » oeuvre. Ice-Pick Lodge nous propose donc un titre totalement différent de The Void, qui nous laisse penser que ces petits gars n’ont pas fini de nous étonner. Pour le meilleur et pour le pire, apparemment.