Tatiana, Sébastien et Olivier sont trois étudiants passionnés de gameplay originaux, novateurs. Ce n’est pas pour rien que STÖ se définit facilement comme le plus étrange et conceptuel des jeux de ce concours Hits Playtime. Il est d’autant plus important qu’il est l’un des quelques jeux de l’ICAN et qu’à trois, ils ont fort à faire pour expliquer leurs idées… Heureusement, le prototype est en ligne !
Bonjour. Nous sommes une équipe de trois étudiants en dernière année de Game Design à l’ICAN. Il y a Olivier, le vétéran, qui a programmé le projet seul de A à Z et a buildé toutes les scènes. Tatiana, l’artiste folle, chef de projet, qui a conçu le système et l’esthétique de Stō ainsi que produit ses assets graphiques. Sébastien, qui a aidé à la production exécutive des graphs. Enfin, les feedbacks sonores et les samples ont été composés par un ami en externe, Axel.
Tat : En ce qui me concerne, c’est un peu le point de convergence de plusieurs centres d’intérêt et de valeurs qui m’animent: gaming pur, art, développement durable… Pour résumé, cette motivation s’est amorcée par l’envie de partager des émotions dont j’avais pu faire l’expérience par le jeu en général et certaines installations artistiques. Entre autres…
Olivier : Sans vouloir trop verser dans le cliché, aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours aimé les jeux vidéo. D’ailleurs quand je vois que les jeux de mon enfance sont maintenant considérés comme du « Retro-gaming », j’ai l’impression d’être un vétéran. Mais si j’ai choisi de m’orienter professionnellement dans ce « milieu », c’est essentiellement parce qu’on m’a un jour donné la chance de travailler dans ce domaine, et que cette expérience m’a clairement convaincu que c’était la voie que je devais suivre (On dirait que je parle d’une révélation mystique…).
Tat : L’ICAN a la particularité d’axer son enseignement sur un design intellectualisé. Il ne s’agit pas de produire des jeux simplement « jolis » ou qui sont de simples applications des codes « qui marchent ». L’équipe pédagogique nous pousse à ne pas produire d’objets ludiques sans réflexion, qui ne s’interrogent pas. C’est en partie ce qui explique la mise en valeur de projets qui sortent des sentiers battus, inattendus. On nous pousse à la créativité, à se poser des questions sur nos productions, même sur nos processus de production et de conception. Cet axe intellectuel, recherche et développement, etc. est un véritable atout pour une école de game design, qui plus est d’un niveau bachelor. Pour s’insérer à l’ICAN, il ne vaut mieux pas arriver avec en tête l’idée de produire un nouveau FPS commun, qui n’apporte rien de nouveau et tente simplement de reproduire ce que d’autres font déjà.
Tat : Il est intéressant de constater que la plupart des étudiants qui entrent dans l’école se font une fausse idée de ce qu’est le game design par exemple. A posteriori, je me rends compte que je n’avais moi-même pas tout à fait cerné ce que ça représentait. Beaucoup d’étudiants se rendent compte en cours de route qu’ils sont plus intéressés par la programmation ou le graphisme parce qu’il s’agit, par exemple, de champs plus techniques, moins conceptuels que le design en général. C’est aussi l’avantage des cursus polyvalents post-bac. Cette pluralité d’enseignements permet de rebondir plutôt que d’avoir à changer totalement d’orientation.
Tat : Stō est une sorte de milieu de culture dans lequel le joueur incarne une sorte de Dieu-régulateur. Il doit gérer une population primitive, constituée de cercles. Il dispose de plusieurs espèces, représentées par des couleurs. Ses « habitants » pondent des œufs. Quand ils éclosent, le joueur score. Mais les entités doivent manger les œufs des autres espèces pour survivre. Son objectif est de faire proliférer sa population pour saturer son espace de jeu. Quand l’espace de jeu est saturé il explose et un nouvel espace de jeu, plus grand, est révélé. Le joueur joue contre-la-montre. Un timer décrémente constamment. Quand il atteint zéro, la partie s’achève. Lorsque le joueur parvient à détruire un espace de jeu, il gagne du temps supplémentaire. Le tout donne lieu à une composition graphique émergeant du comportement des cercles et des œufs, mais aussi à une composition musicale qui évolue selon l’état du système.
Tat : On bosse sur Unity. C’est un moteur assez facile d’accès parce qu’il propose une version gratuite, que sa licence est peu coûteuse et qu’il peut être pris en main par les noobs comme moi 🙂 . C’est beaucoup utilisé dans le milieu indé. Olivier est bien mieux placé que moi pour en parler…
Olivier : Unity est effectivement un moteur assez facile d’accès et permet à différent profil de développeur de produire des jeux et applications de qualité. Il peut convenir à la fois aux codeurs purs et durs qui ne vivent que par et pour la POO et aux bidouilleurs qui aiment trouver des méthodes improbables, clairement peu conventionnelles, mais qui fonctionnent !
Tat : La grosse référence du système de Stō c’est l’automate cellulaire de Conway: le jeu de la vie. Notre objectif était de mettre en place un système complexe, c’est-à-dire un système avec des éléments de jeu aux propriétés simples mais une complexité qui émerge de ces interactions. On avait aussi une vraie volonté de composition. On voulait que le jeu donne lieu à un spectacle surgissant de la partie. Cet aspect est plutôt porté par le travail de Yayoi Kusama et son obsession pour les pois. C’est une artiste japonaise contemporaine qui juxtapose des milliers de points: de lumières dans un environnement, peints sur une toile, etc… Elle a notamment produit une œuvre interactive qui s’appelle l’Obliteration Room. Des gommettes sont données aux spectateurs/acteurs. Ils entrent ensuite dans une pièce blanche et la recouvre de ces cercles colorés. La pièce disparait progressivement et se transforme par cette interaction. La prolifération dans Stō est inspirée par ce travail, entre autres… D’autres références ont alimenté notre réflexion: Nikke Savvas, les jeux d’arcade, Solar, Osmos, Darwin Pond…
Tat : Conserver son indépendance…
Olivier : Je dirai « garder le cap ». Faire en sorte de savoir être à l’écoute des conseils que l’on peut nous prodiguer mais en ne perdant jamais de vu le concept, l’envie, la vision initiale.
Tat : En un mot je dirais que c’est l’aspect performatif de Stō, dans tous les sens du terme, qui fait principalement son originalité. Le projet se rapproche en quelque sorte du jeu d’arcade parce que c’est très systémique et abstrait. Il y a donc tout un aspect technique de la performance qui est exploité, son côté « easy to learn, hard to master ». Il y a aussi la performance visuelle, ce qu’on donne à voir et à entendre par l’émergence de la composition, sa dimension comportementale… Le joueur est spectateur de sa propre performance… Je ne pense pas que ça soit commun. En ce sens, Stō est un peu un ovni (objet vidéoludique non identifié). On ne peut pas vraiment le classer dans un genre.
Tat : Plutôt sereinement. On a choisi une orientation très artistique qui est difficile à valoriser dans le milieu du jeu vidéo. Je pense que Game Side Story en sait quelque chose. Les projets innovants sont déjà très durs à diffuser dans l’industrie, alors les projets orientés concept/art… Personnellement, j’en profite pour discuter et échanger avec des équipes dont le travail m’intéresse. C’est un cadre génial pour faire des rencontres vraiment intéressantes.
Olivier : Aucune pression pour ma part, à vrai dire, je n’ai jamais abordé ce concours comme une véritable compétition, mais plutôt comme l’opportunité de présenter nos productions et découvrir celles d’autres étudiants. Concernant le concours en lui-même, je déplore que le système retenu pour départager les concurrents soit basé sur le nombre de votes obtenus sur Facebook. Ce n’est plus un concours où l’on juge les qualités réelles d’objets vidéoludiques, mais davantage une compétition de « community management », avec tout ce que cela comporte comme tricherie et mauvaise foi potentielle.
Tat : La couverture de Hits Playtime est, d’après moi, représentative des tendances actuelles. Les médias qui couvrent l’évènement sont les mêmes que ceux qui cherchent à diffuser des projets innovants, indépendants, inattendus… On parle donc d’une minorité. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le niveau d’implication des médias dans le concours semble relatif à leur volonté d’innovation. Les médias qui parlent le plus de Hits Playtime semblent être ceux qui s’intéressent le plus aux projets surprenants et hors des sentiers battus. Comparé à d’autres formes d’art, le jeu vidéo souffre, pour moi, de ce manque de variété. J’ai l’impression que parler de jeux « inclassables » reste encore aujourd’hui quelque chose de marginal.
Tat : J’aime beaucoup tester de nouvelles choses… difficile de parler de jeux de chevet donc. Il y a des jeux vers lesquels je reviens souvent comme Gauge d’Etienne Périn, surtout depuis les ajouts faits pour l’édition de Game Atelier. J’aime bien ce que propose Fingerlab aussi. Ils sont plus spécialisés dans les applications musicales mais ils sont à l’origine de Multibong, ancien Multiponk, ancêtre de Multipong (je pense qu’ils ont des problèmes légaux avec ce nom…). C’est très proche du jeu d’arcade type Air Hockey, c’est des mécaniques qui me plaisent beaucoup. Sinon je joue régulièrement aux jeux de Santa Ragione (tous leurs jeux), surtout Fotonica.
Olivier : Maintenant que le projet est presque terminé et que l’on m’a autorisé à sortir de la cave où je développais, j’ai enfin un peu de temps pour m’essayer aux jeux proposés dans le dernier Humble Indie Bundle. Et puisque je ne tiens pas vraiment à ma vie sociale, je me suis également mis à Diablo III…
Tat : Les Livres dont vous êtes le héros est un genre mythique pour moi. Ils ont proposé une vraie posture ludique avec une technologie très primitive. La possibilité de « tricher », en revenant sur ses pas par exemple, amorce un peu la sauvegarde et le loading. Les univers déployés et les changements d’état de l’avatar s’apparentent à des choses qu’on retrouve maintenant de le jeu vidéo. Donc c’est culturellement remarquable. Sinon le flipper est aussi mémorable notamment par ses contextes et ses formes de scénarisation très particulières et directement liées au système. Les jeux indé qui ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’expression comme Rez, Braid ou Passage. Ou encore Portal qui à enfoncé la porte qui nous séparait du First Person Puzzle. Bref, des jeux d’avant-garde…
Olivier : Qui dit « jeu culte » pour moi, dit Deus Ex, ce jeu étant un chef d’œuvre, et une véritable référence. Dans un autre registre, je dirai que le jeu sur lequel j’ai passé/perdu le plus de temps est Daggerfall, le deuxième volet de la série des Elder Scrolls.
Tat : Merci. Ce fut un plaisir.
Olivier : Merci (^_^ !!)