Axel Shokk est un artiste prolifique venu de Milwaukee. Son style se caractérise, entre autres, par des orgies de couleurs pop et sur-saturées. Au-delà de ses créations purement graphiques, l’artiste, anciennement connu sous le nom de Xenon, nous avait réalisé That, une expérience exploratoire psychédélique. C’est dans cette continuité que cet artiste perché, associé avec Adam Vierra et Benjamin Meredith, vient de lancer sa dernière expérimentation: Trip, un délire surréaliste dans un pays des merveilles abstrait.
Exploration sous acide
Les jeux de pure exploration font figure de chimères en cette époque du tout-action. Trip fait partie de ces jeux qui jettent un pavé dans la mare de la surenchère d’adrénaline proposée par l’industrie, s’insérant ainsi, d’une certaine manière, dans la lignée de ce que produit ThatGameCompany par exemple. Grosse différence cependant, Trip n’est pas tout à fait un jeu. En effet, l’expérience conçue par Axel Shokk ne propose ni règle ni objectif et se démarque donc particulièrement de ce que réalise l’équipe de Jenova Chen en ce sens où Trip n’est pas un système, mais une expérience purement contemplatoire. A cette déambulation s’ajoute la possibilité de collecter des sprites 2D qui semble ne servir que le sentiment de progression nécessaire aux joueurs nourris au challenge et au reward.
Trip tient finalement beaucoup de LSD: Dream Emulator, ce jeu psychédélique basé sur le carnet de bord des rêves de l’un de ses développeurs, sorti il y a une dizaine d’années sur Playstation. Les deux jeux ont en commun une core mechanic relevant de l’exploration d’un univers halluciné épuré de toute forme d’objectif. En bref, des expériences pour qui préfère la chasse aux dragons des squats d’artistes à celle de Bordeciel. Trip est en définitive un objet d’ambiance, un univers à explorer: moins réglé qu’un jeu, plus interactif qu’un film… il est une oeuvre génératrice d’expériences, un jouet artistique, qui questionne ses utilisateurs et interroge les codes de l’art et du jeu.
Un jeu de perception
Parmi les interrogations que soulèvent Trip, l’une d’entre elles n’est pas particulièrement plaisante: il arrive souvent que l’on bute sur des murs invisibles. S’il peut sembler intéressant de disposer dans l’environnement ce type d’éléments en décalage avec le monde perçu, leur existence n’est de toute évidence pas volontaire: ne pas passer entre les pattes d’un dinosaure à six pattes à taille « réelle » semble un peu gros pour constituer un choix de design. Ce manque de logique dans l’agencement des boites de collision, qui laisse penser que certains accès bloqués sont empruntables, est quelque peu dommageable pour une telle expérience exploratoire. Le problème ne survient néanmoins que de manière ponctuelle et n’altère ne que peu la motivation à découvrir le reste de l’univers.
Le level design de Trip est particulièrement réussi. Nécessaire à une expérience d’exploration agréable, l’agencement des niveaux est relativement linéaire. Chaque partie de l’environnement porte une thématique relativement figurative, bien que représentée de manière abstraite: The City, The Mountains, The Forest… Ces milieux s’enchainent par des accès restreints qui offrent systématiques un panorama magnifique du nouvel espace découvert. Cette linéarité est cassée par la structure de chaque espace regorgeant de coins et recoins singuliers et surprenants. La disposition des collectibles permet au moins curieux de découvrir ces surprises disséminées aux quatres coins du monde. A la manière de la tour géante de Journey, une forme de pyramide centrale, crachant des particules semblables à des braises, est visible depuis tous les espaces du jeu et invite ainsi à s’en approcher pour découvrir ce qui s’y cache. La découverte de l’intégralité de l’environnement reste toutefois assez rapide pour qui a un bon sens de l’orientation et parvient à ce repérer dans cet univers surchargé d’objets étranges et innatendus.
Hallucinations et abstractions au pays des Bisounours
L’univers graphique de Trip est clairement une pure vision artistique d’Axel Shokk. La composition de l’environnement est principalement axée sur la surcharge et l’agrégat : foisonnement de couleurs vives, pléthore d’objets composés de cubes agglomérés à la manière de marshmallows agglutinés… Les éléments composant l’environnement sont tantôt abstraits, tantôt figuratifs mais composés de géométries abstraites, mettant ainsi en place une ambiance surréaliste qui peut évoquer celle du génialissime jeu d’arcade StarRider sorti dans les années 80. Les objets facétisés et l’environnement surchargé associés à la palette de couleurs sucrées à vous rendre diabétique renvoient à l’univers de Fract, le projet étudiant récompensé à l’IGF l’année dernière, en une version cependant bien plus chaude, douce et poétique. Le tout prend place sous un ciel magenta aux nuages similaires à de la barbe à papa achevant de faire de cet environnement une abstraite confiserie. L’ambiance visuelle construite s’insère dans un imaginaire exceptionnel au coeur de l’expérience proposée par Trip.
Le travail d’animation réalisé dans Trip apporte la dernière pierre à cette oeuvre surréaliste. La composition, géométrique, de ce monde est très naturelle: arbres, cascades, rivières… Les animations liées sont donc relatives à ces conditions naturelles: chute d’eau, particules en suspension, mouvements relatifs au vent. La mise en scène d’objets vaguement anthropomorphes et zoomorphes dansant, marchant ou sautant offre à cet univers sa dimension rêvée, ou cauchemardée, selon que des pyramides pourvues de jambes effectuant de hauts bonds vous effraient ou non.
Différentes scènes, dispersées çà et là, présentent des personnages cubiques en train de jouer ce qui semble être des pièces dramatiques, antiques… La musique, entre électronique, ambient et musique concrète, apporte à l’univers encore davantage de vie. Chaque espace possède une musique propre reflétant l’ambiance qui s’en dégage. La singularité de la bande son s’adapte parfaitement à l’improbable objet vidéoludique qu’est Trip : le songe cohérent d’un fou lucide.