C’est dans les vieux pots qu’on trouve les meilleurs restes de soupe. Certes ils ont un peu moisi, ne sont pas bon pour la santé à tous les coups et donnent une grosse bouffée de nostalgie bien violente à tous ceux qui y gouté à l’époque, mais cela reste une expérience unique. Celle qui nous plonge dans une vie déjà vécue, dans une époque révolue où les jeux étaient, tout du moins sur PC, d’une toute autre profondeur…
Ouvrons la porte de Baldur !
Sorti en 1999 dans notre beau pays hexagonal, Baldur’s Gate est le premier grand jeu de Bioware aujourd’hui un peu mort depuis le départ de ses dirigeants fondateurs et le rachat de la société par Electronic Arts. Avant la science-fiction ultrascénarisée et aux combats bourrins, il y a eu du Médiéval-Fantastique assez complexe au gros manuel de jeu. C’est cela, Baldur’s Gate.
L’histoire ? Vous et Imoen, votre amie d’enfance, partez à l’aventure après que votre gardien Gorion est tué par une puissante force maléfique se cachant dans une armure noire. Vous êtes seul face à votre destinée, paré à partir à l’aventure sans avoir aucune expérience du combat. En gros, vous n’êtes rien, mais allez devenir l’un des plus célèbres héros de la Côte des Épées. Mais pour cela, il va vous falloir bien des heures de jeu ! Entièrement réalisé en 2D, avec des personnages s’animant assez archaiquement et laissant dépasser les pixels qui leurs sert de corps, Baldur’s Gate est surtout entièrement dessiné à la main que ce soit les forêts, les habitations et les grandes villes que vous visiterez. Chaque parcelle du jeu est l’oeuvre des talents du crayonnage de l’équipe de développement de l’époque : un vrai soin est apporté à l’esthétique du jeu, tout cela pour amener le joueur vers un gameplay complexe et austère.
Basé sur les règles de jeu de rôle papier AD&D 2.1, Baldur’s Gate fait de chaque action un lancer de dé augurant de l’aléatoire à chaque pas. Lorsque vous vous baladez au clic (comme dans un jeu de stratégie, pour simplifier l’explication), vous aurez deux sortes d’évènements : les scénarisés et les aléatoires. Chaque partie ne ressemblera à aucune autre sur bien des points. Aussi, en combat, ne vous attendez pas à des mêlées pleines d’action et du shoot à la Mass Effect : tout est au tour par tour, peut être mis en pause quand bon vous semble (une action que Bioware a toujours ajoutée à ses jeux, mêmes les plus récents) et la chance joue beaucoup sur vos premiers affrontements.
En début de jeu, soit pendant près de 20 heures, vous êtes réellement un très mauvais combattant. Chaque combat que vous aurez à subir sera une vraie gageure tant vous risquez de vous faire abattre. Il faut sauvegarder souvent, tout le temps, à chaque pas important, sous peine de devoir tout recommencer. Faire plusieurs sauvegardes aussi, histoire de ne pas se retrouver avec six heures de jeu disparues pour faute de pause intelligente. Oui, c’est du vécu.
Une profondeur de jeu exemplaire
Peu de voix sont entendues et la version française était très décevante voir hilarante, à l’époque. Cette version Enhanced a la qualité d’avoir des doublages en version originale qui viendront donner davantage de cachet à l’aventure. Une version de textes en français est tout de même prévue et si nous ne l’avions pas de disponible pour cette version Test, je peux vous garantir qu’elle vous sera d’une grande aide ! Car Baldur’s Gate, c’est aussi un véritable roman de dialogues, de choix multiples, de rencontres entre les personnages et de dialogues cachés en fonction des situations. Avoir l’aisance de la langue aide beaucoup à entrer dans l’univers.
Et quel univers ! Toutes les bestioles de Donjons & Dragons sont au rendez-vous, avez même quelques guest venus des bouquins comme Elminster, un des plus grands héros de l’univers créé par Ed Grenwood. Vous évoluez dans ce monde en sachant pertinemment que vous êtes bien loin de tout avoir découvert et c’est cette richesse, tellement bien adaptée par Bioware, qui rend le jeu complètement passionnant. Ajoutez-lui son inventaire varié, ses statistiques au jeu de rôle papier (les dégâts sont par exemple comptés en dés) et vous avez tous les ingrédients d’un pur RPG occidental comme on en voudrait qu’il en sorte encore.
La création de personnage, par exemple, est quelque chose que nous ne sommes pas prêts de revoir dans un jeu de rôle de nos jours. Entièrement au lancer de dés, pouvant être triché avec plusieurs relances jusqu’à atteindre de bonnes statistiques, cette création permet mille et une folies. Un personnage bête, mais violent, intelligent, mais incapable de frapper, ou au contraire très équilibré, tout est possible. Au final et malgré les quelques pixels et trois couleurs qui le représente, notre personnage nous « ressemble ». Ajoutez à cela le choix de son timbre de voix et des phrases qu’il clamera lors d’événements spécifiques et vous obtenez un ingrédient de jeu de rôle qui fonctionne toujours aussi bien de nos jours.
Musicalement, c’est aussi particulièrement prenant. Le thème principal se fera une petite santé dans les playlists grâce aux nouveaux joueurs qui en découvriront la grandeur. Difficile, cependant, de dire si les nouveaux venus arriveront justement à accrocher à Baldur’s Gate même avec cette édition Enhanced. C’est là qu’on rentre dans le vif du sujet (comment ça, il était temps ?) en vous parlant de cette édition « HD ».
L’utilité de cette Enhanced Edition
Visuellement, effectivement, cela passe sur des écrans en haute définition. Pas mieux qu’un certain mod de fans déjà disponible depuis quelque temps, mais de façon plus légale diront-nous. Sacrilège par contre : l’immonde vidéo d’introduction qui a méchamment vieillie et fait limite ridicule a été modifiée par une très jolie, mais franchement moins marquante fresque en 2D, à base d’artworks timidement animés. Je ne savais pas que le terme d’Enhanced voulait aussi dire que prendre la liberté de changer l’artistique du jeu de base avait un sens, mais passons. Sachez d’ailleurs que toutes les vidéos du jeu ont été modifiées de cette façon. Dans le même genre d’idée, mais avec plus d’intérêt, on nous propose de nouveaux portraits à allouer à la création de notre personnage.
Très drôle pour commencer : la présence d’un Tutorial. Quand on pense qu’à l’époque il suffisait de se farcir un manuel gros comme un bon bouquin et qu’aujourd’hui, on vous met en scène des PNJ débiles pour vous expliquer comment attaquer… M’enfin, ne jouons pas les vieux aigris et avouons que c’est une bonne idée. L’occasion de comprendre le système de combat, la mise en place des sorts, l’utilisation de l’inventaire et de toutes ses petites spécificités qui peuvent compliquer l’aventure. Les vieux de la vieille rigoleront quand même à gorge déployée devant ce choix sur le menu de lancement du jeu.
Le mode multijoueur est aussi au rendez-vous, mais se fait beaucoup moins « Enhanced » que prévu. Comme pour le jeu principal, vous devez échanger vos adresses IP avec vos amis pour vous faire le scénario du jeu à plusieurs. Dans un futur que l’on espère proche, il sera heureusement possible d’avoir une liste d’amis et des serveurs liés à la plateforme de distribution Beamdog qui s’occupe du jeu. Il aurait été franchement intelligent d’attendre de mettre cela en place pour sortir le jeu, m’enfin bon… Reste qu’en multijoueur, l’aventure est réellement plus passionnante. Avec un bon micro sur Mumble et la machine à café qui tourne en boucle toute la nuit, vous voilà prêts pour ne plus avoir de vie sociale !
Autre ajout : The Black Pits. Un scénario totalement annexe à l’Histoire originale, qui demandera d’ailleurs une nouvelle création de personnage et qui propose une arène et plusieurs vagues d’ennemis. C’est sympathique, mais cela choque un peu sur la forme : l’écrit est beaucoup moins inspiré et on sent que les développeurs ne sont plus totalement dans le trip d’avant. C’est très bien, mais cela sort beaucoup du lot et est donc juste un bon défi à proposer aux érudits du genre.
Nouveaux personnages au rapport !
Au niveau des ajouts, on a pas que du mauvais. Certes, Rasaad Yn Bashir, Neera et Dorn Il-Khan sont trois personnages pas foncièrement incroyables au niveau de leur importance dans l’univers de Baldur’s Gate, mais ils sont très correctement ajoutés au script de base. Les rencontres amènent pas mal de fraicheur au jeu et à sa progression, surtout pour les vieux joueurs qui se relanceraient ici dans une énième nouvelle partie. Je n’ai pas trop envie de m’étaler davantage sur ces personnages, car je serais très embêté de vous révéler quoi que ce soit sur eux que vous ne découvrirez pas de vous même. Une chose est sure : c’est un bel ajout, très utile à l’envie de s’y replonger.
Reste quelques fioritures agréables, certaines tout droit venus d’un Baldur’s Gate 2 (déjà prévu lui aussi en Enhanced Edition) comme la possibilité d’utiliser certaines classes jamais présentes dans le premier opus. Enfin, il est possible de baisser la difficulté (pas au point de participer à un voyage des plus tranquilles, je vous rassure) ce qui permet aux plus jeunes joueurs de s’en sortir un peu en cas de coup dur. Même si, comme à l’époque, la persévérance est la meilleure des écoles ! Enfin, il y a aussi la présence de l’extension officielle du premier jeu, Tales of the Sword Coast, qui vient gonfler l’intérêt du prix avec ces nombreuses quêtes et son hitoire pour joueurs de hauts niveaux ayant déjà terminés la première aventure.
La question finale se pose alors inévitablement : est-ce que cette Enhanced Edition vaut réellement le coût ? Franchement, oui et non. Certes c’est très joli, les ajouts sont agréables et cela permet au jeu de sortir du « presque-oubli » dans lequel il pourrait tomber un jour ou l’autre. Mais on maudira quand même ces vidéos ayant totalement changé de style, aussi vieillottes fussent les précédentes. Surtout, le jeu n’a finalement rien de véritable HD autre que la possibilité de le faire tourner en haute résolution. On aurait pu s’attendre à un visuel totalement revu et « corrigé » si je puis dire, mais finalement il n’en est rien et les jeunes joueurs auront toujours du mal à vouloir s’y plonger.
Cela fera du coup plaisir aux vieux fans, même s’ils risquent d’être intéressés par cette version seulement pour ses ajouts et sa promesse d’un mode multijoueur plus moderne. Reste que Baldur’s Gate : Enhanced Edition ne gâche pas du tout l’aventure originale qui est juste l’une des plus belles histoires de jeu vidéo à vivre et revivre sans relâche, pourvu qu’on accroche à l’ambiance dévastée et « seul contre tous » qui s’en dégage. Constituer un groupe, se faire des amis, les perdre aussi (car vous pouvez voir décimer tous vos alliés en quelques combats et ne plus jamais les récupérer), devoir faire des choix entre vos connaissances et participer à la libération d’un monde glauque et sans pitié, avec un tel gameplay, c’est un véritable bonheur de tous les instants. Baldur’s Gate restera un grand jeu et si une telle version peut le remettre sur le devant de la scène, alors tant mieux !