Les tops de l’année ou comment comparer l’incomparable… Entre les classement consensus, qui se contentent de piocher dans les top rated games 2012 de Metacritic (Dishonored, Far Cry 3, Diablo III, Rayman Origins…) et les tops faussement hypes qui s’attachent à ne classer que des jeux plus ou moins indé (Fez, Papo y yo, Journey, Spelunky…), j’admets qu’en tant que lectrice, le seul intérêt que j’y vois est finalement ce que dit la sélection de l’auteur, plus que les jeux choisis en eux-mêmes. Qu’à cela ne tienne : je vais en profiter pour vous raconter ma vie.
Ayant passé une bonne partie de l’année dans les transports en commun et autres grandes lignes, ma pratique ludique 2012 a clairement été sponsorisée par la SNCF. A défaut de me faire préférer le train, elle m’a permis de découvrir pas mal de perles sur Ipad, plateforme de prédilection des gens qui ont du temps à perdre. Par ailleurs, ce que j’aime chez Game Side, ce n’est pas tant leur orientation indé, que d’autres blogs proposent, que le visage humain dépeint derrière les jeux. Ces développeurs, seul ou en binôme, ermites de l’ombre, écho contestataire des abysses du game design, voix ambigües d’un cœur qui au zéphyr préfèrent les jattes de kiwi… Ok, j’arrête les envolées lyriques pourries qui ne signifient rien et passe au vif du sujet : mon top 2012 spécial Indie IPad.
Développeur : Terry Cavanagh | Date de Sortie : 30 Août 2012
Terry Cavanagh, représente pour moi le Alekseï Stakhanov du milieu indé… la propagande communiste en moins. Entre VVVVVV, Don’t look back et At a distance, le développeur britannique semble n’avoir jamais connu l’échec. Tout comme pour Stakhanov, cette vision est bien sûr totalement erronée, n’en déplaise aux dévots des contes de fée. En 2012, c’est par Super Hexagon que le mythe Cavanagh a été alimenté. Le designer définit son bébé comme un « jeu d’action minimaliste ». Hexagon, la version initiale et gratuite du jeu, a été développé en 48h pour le Pirate Kart V, l’évènement créé en réaction au monopole d’autres gros events comme l’IGF ou, en l’occurrence, la GDC.Le jeu s’apparente à un avoider. On déplace une petite flèche autour d’un hexagone, dans le sens horaire ou antihoraire selon qu’on touche l’écran à droite ou à gauche. L’objectif est d’éviter des patterns qui scalent vers le centre de l’écran en tournant sur eux-mêmes… et au cas où ce serait trop facile, la caméra tourne également constamment… tourner, retourner, re-retourner… vous l’aurez compris, l’expérience proposée donne le vertige. Sur Ipad, on a encore plus l’impression d’avoir en main une machine folle qui s’emballe et qui rend fou. Avec sa courbe de progression typée arcade 90’s, ces rotations dans tous les sens, des structures labyrinthiques aux couleurs saturées, et une bande-son électro monumentale produite par Chipzel, Super Hexagon est, pour moi, LE trip hardcore de l’année.
Développeur : Michael Block & Ryan Wiemeyer (The Men Who Wear Many Hats) | Date de Sortie : 9 Août 2012
Début 2012, iI prend à Michael Block, Ryan Wiemeyer et un ami à eux, l’envie de parodier le ludiciel des années 70, The Oregon Trail. A la base destiné à l’apprentissage de la vie de pionniers américains du 19è siècle, les futurs créateurs de The Men Who Wear Many Hats, détourne l’objet pour en proposer une version post-apocalyptique beaucoup plus contemporaine placée sous le très moderne signe du zombie.C’est par Kickstarter que The Organ Trail, jeu Flash en ligne, gratuit, est devenu The Organ Trail :Director’s Cut, la version aboutie, payante, du jeu disponible sur Ipad et Android. Le jeu a si bien marché, que ses développeurs envisagent de sortir prochainement sa version PC et Mac. Tout comme The Oregon Trail, le gameplay de The Organ Trail: Director’s cut est un assemblage de mini-jeux allant du jeu d’adresse et de réflexe à la gestion de ressources en tout genre. Présenté comme ça, le concept n’a rien de sexy. Mais l’aventure globale est tellement prenante, que le sentiment d’enchainer les mini-jeux est très vite dépassé au profit d’une expérience proche du road trip.
L’esthétique graphique et sonore rétro participe beaucoup de cette ambiance jeu d’aventure à l’ancienne qui embarque dans un univers singulier malgré le minimalisme évident. C’est là le vrai tour de force du jeu. L’Ipad, permettant de jouer sur la route, renforce encore davantage cette expérience de voyage à travers les États-Unis. Enfin, The Organ Trail : Director’s Cut n’est pas juste une aventure mais propose un vrai challenge, notamment en mode hard, où il est très difficile de parcourir ne serait-ce sur la moitié du pays.
Développeur : Michael Brough | Date de Sortie : 13 Octobre 2012
Michael Brough est un développeur de l’ombre très actif sur la scène indé. Spécialisé dans le versus, il s’est notamment fait connaître grâce à Vertex Dispenser, Zaga-33 ou encore l’excellent Glitch Tank, dont on vous parlait il y a maintenant presqu’un an. Son dernier né, simplement appelé O, s’inscrit dans cette continuité. Sorte d’anti-Fingle (cet espèce de Twister pour les doigts à la thématique très sensuelle), le jeu est un pur 1v1 défouloir à la limite du jeu de main d’enfants. La partie tourne, bien souvent, assez vite au grand n’importe quoi: on attrape le pad, on chatouille l’adversaire… difficile de rester sérieux et concentré face à l’expérience proposée et c’est justement tout l’intérêt du concept.O peut, à première vue, s’apparenter à un jeu de Air Hockey : des balles vertes, roses et bleues poppent au milieu de l’écran. Lorsqu’un joueur drag&drop plusieurs balles d’une même couleur vers son côté de l’écran, les balles disparaissent et son score augmente. Concrètement, l’idée est de pourrir l’autre joueur en cassant ses combos, tout en « combottant » de notre côté. En imposant aux joueurs de jouer sur le même espace, O suscite une posture à la BUTTON (le jeu de Die Gute Fabrik) où tous les coups sont permis: coup de coudes, coup de têtes… bon, j’exagère peut-être un peu mais les parties deviennent quand même rapidement chaotiques. Heureusement que l’esthétique très simple du jeu permet de se retrouver dans ce bordel ambiant.
Développeur : Sophie Houlden | Date de Sortie : 5 Juillet 2012
Sophie Houlden est une développeuse très très prolifique de par sa participation à toutes jams de qui lui passent sous le nez. C’est grâce à Dinosaurs didnt have keyboards, développé en 48h, qu’elle a commencé à être connu du grand public mais aussi, disons-le clairement, grâce à sa grande gueule légendaire. Cette amazone du jeu vidéo donne régulièrement, via son blog, son avis tranché sur l’actu et les grandes problématiques indé et arty le tout sans langue de bois. Ce personnage singulier, qui mériterait à être plus connu, a sorti en 2012 son premier jeu « commercial » (payant) : Swift|Stitch, un jeu d’arcade minimaliste et efficace porté sur Ipad, entre autres plateformes.Swift|Stitch est un one-button game. Le maintien de l’unique input (sur Ipad, le contact de l’écran)permet très simplement de changer la direction d’un petit triangle qui avance automatiquement. En passant par différents éléments de l’environnement, le comportement de l’avatar change : changement de direction, déplacement incurvé… Le jeu de Houlden est un parfait exemple de la maxime « Easy to learn, hard to master » chère aux jeux d’arcade. A mesure que les très courts niveaux s’enchainent, les niveaux se complexifient rendant le challenge très difficile sur la fin. Le concept, la structure et le mapping du jeu sont parfaitement adaptés à l’Ipad et constituent une expérience très addictive.
Développeur : Nadezda Suvorova (Haute Ecole d’Art et de Design de Genève) | Date de Sortie : 1 Août 2012
Quoi de plus indé qu’un projet d’étudiants en art suisse ? Dans ce cas, d’une étudiante puisqu’Oko a été conçu et développé par Nadezda Suvorova dans le cadre de son master à la HEAD de Genève. L’idée est simple mais l’expérience magique. Des photos de la NASA ont été découpées en de nombreux cercles tournant sur eux-mêmes, que l’on peut arrêter par un contact du doigt. L’objectif étant bien sûr de les arrêter au bon moment, de manière à reconstituer l’image initiale. Oko est en fait, littéralement, un puzzle-game, un vrai, au premier degré du terme. Ah, et sinon le jeu est entièrement gratuit, sans pub ni autre levier marketing ! Le gameplay d’Oko a un arrière-goût de Loop Raccord franchement pas désagréable. Au-delà du challenge semblable (arrêter un mouvement au bon moment), la mise en scène de prises de vue réelles est si rare dans le jeu vidéo, qu’elle fait souvent, par sa simple présence, écho aux autres objets du genre. Si les premiers niveaux du jeu sont d’une facilité déconcertante (le challenge n’étant clairement l’enjeu principal de l’expérience) le vingtième et dernier niveau donne quand même pas mal de fil à retordre, les cercles ne pouvant être arrêtés que temporairement. Mais l’intérêt d’Oko tient surtout dans son expérience visuelle exceptionnelle : entre le choix des images de plus en plus surréalistes et ces morceaux du décor en rotation, Oko nous plonge dans une hypnose puissante. Cette immersion est renforcée par la musique ambiante, créée par Jérémie Forge, qui achève de nous isoler du monde extérieur et de nous embarquer dans un univers singulier et onirique.