Vous parler de Frog Fractions sans en spoiler le scénario épique et délirant ou les innombrables surprises qu’il contient va être un challenge parfaitement dégueulasse. D’ailleurs, vous dire qu’il cache des surprises n’est-il pas un spoiler en lui même ? Je vais donc prendre sur moi de diviser cette critique, qui risque au fur et à mesure de son déroulement de montrer sa vraie nature d’hululement déchirant d’amour pour l’un des meilleurs et plus mésestimés jeu/trip sous acide de l’année dernière, je vais prendre sur moi disais-je donc avant d’être interrompu dans cette phrase visiblement sans fin par moi-même de diviser cette critique en deux parties : une pour ceux qui veulent rester vierges et purs de toute révélation déplacée et découvrir ce joyau par eux-mêmes, et une pour ceux qui accepterons de se faire gâcher la fête dans les grandes largeurs et dans les menus détails, sociopathes de province qu’ils sont.
Pas la langue le premier soir
Frog Fractions est donc une application flash ludo-éducative, malheureusement entièrement en anglais dans laquelle nous incarnons une malicieuse grenouille. Le but en est très simple. Vous devez manger, à l’aide de votre longue langue, les différents insectes envahissant l’écran et les fruits tombant dans le lac. Chaque ennemi ou bonus récupéré fera apparaître une fraction, qui s’additionnera bien évidemment à votre score.
Chaque succulente pomme que vous avalerez vous permettra aussi d’acheter une des très nombreuses upgrade disponibles comme une langue à tête chercheuse, une augmentation de portée électrique ou une tortue que vous pourrez déplacer grâce aux Quartes touches fléchées. Un peu plus loin dans ce premier niveau, votre capacité à taper au clavier efficacement et rapidement sera également mise à l’épreuve dans une phase digne d’un crossover entre « Typing of the Dead » et une pub pour Baygon.
Comme souvent dans les très bons jeux, il recèle une Profondeur cachée qui vous obligera à chercher ses secrets Sous La Surface. Vous devriez vraiment les voir par vous même. Selon votre degré d’intelligence ou de folie furieuse, vous en aurez entre trente minutes ou une grosse heure et demie pour en faire le tour. Faites-le. Maintenant. Oui, c’est gratuit. Allez-y, passez au moins le premier niveau. Aucun problème, j’ai ma journée ici. Pendant ce temps, je vais expliquer aux autres la petite histoire de la chose.
Crôa, keskiya ?
Cette hallucination dérangée a été fabriquée l’année dernière par Twinbread Studios, tout particulièrement son fondateur Jim Crawford. Son but principal était de rendre un hommage appuyé à tous ces logiciels à la noix auquel on vous obligeait à jouer sur l’unique ordinateur pourri qui traînait au fond de la classe et sur lequel vous étiez censé apprendre des trucs. Il voulait présenter son oeuvre à l’Independent Game Festival, mais ils ont réclamé qu’elle soit plus populaire avant d’être acceptée. Il l’a donc fait tourné à quelques amis, qui l’ont eux-mêmes transmis à toutes leurs connaissances. Résultat, un jeu vite devenu culte et comme l’a si bien dit le site « Rock Paper Shotgun », « la chose la plus dérangée à laquelle vous jouerez cette année »
Maintenant que vous en êtes à ce point du test, je peux vous le confier : Frog Fractions ne vous expliquera strictement rien des décimales ou de quoi que ce soit de prêt ou de loin en rapport avec les mathématiques. Il ne vous apprendra probablement rien du tout, même. Ou si, peut être une chose : la curiosité n’est pas un vilain défaut. Elle est systématiquement récompensée dans ce cas. Prendre les chemins de traverse sera toujours plus passionnant que les sentiers balisés, et surtout ça sera souvent absolument nécessaire pour progresser.
(Ne rien) Apprendre en s’amusant
Ce qu’est Frog Fractions, au final, est un retour rapide sur 30 ans de jeu-vidéo baignant dans une ambiance hallucinée. Du shoot-em up à l’aventure texte, d’Oregon Trail à Phoenix Wright, du jeu indé en ombres chinoises avec narrateur au clone de Dance Dance Revolution, il vous fera passer par tout et plus encore. Il vous demandera aussi systématiquement de réfléchir hors de la boîte, d’abandonner vos réflexes conditionnés gagnés depuis l’époque 8bits et juste de vous laisser porter par flot insensé de cette expérience plutôt que nager à contre-courant. D’ici à ce que vous soyez dans le fauteuil du président entrain de commander des spam de pub pour du prono pour insectes avec un drapeau national en surimpression, vous n’aurez pas exactement compris ce qu’il ce qui vous a amené ici. Et non, je n’ai pas tapé des mots au hasard sur mon clavier, c’est effectivement quelque chose que vous allez faire.
Bien sûr, le jeu n’est pas irréprochable. Déjà, un bon niveau d’anglais est absolument nécessaire pour en profiter. Ensuite, certes phases (comme l’hommage à Zork) traînent un peu trop en longueur au point que je vous conseillerais sérieusement de faire ces phases avec une soluce sur les genoux. De fait, l’alternance de passages lents voir contemplatifs et de parodie barrée donne un rythme pour le moins inconsistant, si ce n’est quasiment schizophrène à l’ensemble. Et comme souvent quand l’humour est aussi présent, votre degré d’appréciation des blagues et des références fera toute la différence dans votre amour ou non de ce jeu. Accrocher à cette ambiance semblant sortir d’un rêve post beuverie et excès de psychotropes ne sera forcément réservé qu’aux esprits les plus ouverts, ou les moins cartésiens tout du moins.
Si c’est votre cas, au bout du parcours, vous aurez juste le sourire béat de celui qui vient de passer dans un tourbillon, certes prodigieusement con, mais aussi sublime par la sincérité et la précision de ses hommages. J’en ai déjà dévoilé trop, et ce serait dommage de vous en révéler plus. Frog Fractions prouve en tout cas qu’on peut surprendre et qu’il reste des zones à défricher dans le territoire pourtant rabâché et décrié des machins en flash. Que jeu d’auteur ne veut pas forcément dire « narration statique de 27 minutes sur fond violons tziganes ». C’est une expérience nostalgique, surréaliste et potache à la fois. Et surtout et par-dessus tout, c’est BUGSBUGSBUGS FIST PUMP.