Donné pour mort il y a seulement quelques années, le point’n click est aujourd’hui plutôt vivace, et se trouve être particulièrement prisé par les développeurs indépendants. Issu d’un projet kickstarter, The Last Door tente de se faire une place dans la masse en misant sur une direction artistique marquée, une ambiance travaillée baignant dans l’horreur et un mode de diffusion atypique. Ha, c’est que tout ça semblerait bien intéressant…
Gratuit… ou presque
Avant de parler du jeu lui-même, glissons quelques mots quant à son accès. The Last Door est un jeu épisodique se jouant sur navigateur. Totalement indépendants, les développeurs (les espagnols de The Game Kitchen) ont pu compter sur un financement kickstarter pour lancer leur bébé, proposé gratuitement sur leur site. Encore que c’est un peu plus compliqué que cela : en réalité, seul le premier chapitre est entièrement gratuit, et pour le moment l’équipe demande une petite donation (à la discrétion des contributeurs) pour accéder au deuxième. Cette donation est destinée à financer le troisième chapitre, en cours de production. Je disais « pour le moment », car lorsque le chapitre 3 paraîtra (sa sortie est pour le moment prévue courant septembre), le chapitre 2 deviendra lui aussi entièrement gratuit. Et ainsi de suite. Un fonctionnement original et plutôt intéressant, permettant de s’essayer au jeu pour se faire son opinion et de supporter les développeurs comme on le souhaite.
A l’heure de la HD…
Bien sûr, la première chose qui frappe en lançant The Last Door, c’est son univers graphique. C’est un choc esthétique, et c’est rien de le dire. Le jeu est conçu en basse résolution. En très basse résolution, même. Chose étrange, au lancement du jeu une fenêtre nous indique une touche permettant de passer le jeu en plein écran. N’appuyez pas dessus. Sérieusement. Ignorez cet avertissement et c’est une horrible bouillie de pixels grossiers illisible qu’il vous faudra affronter…
Et pourtant, le jeu n’est pas moche. Loin de là, même. N’utilisez pas le mode plein écran, et réduisez même un peu la fenêtre. La beauté simple de la direction artistique apparaît alors, tout en minimalisme : les formes, les animations, la colorisation… L’ensemble forme un tout cohérent qui se devine parfois plus qu’il ne se voit réellement, mais qui possède un charme indéniable. Mieux, le jeu parvient à se servir de cet esthétisme pour jouer avec le genre point’n click. Dans un point’n click classique, on clique sur tout élément du décor pour écouter ou lire la description qu’en fait le personnage principal. Il arrive que cette description nous oriente quant à ce qu’il faut faire pour avancer, mais la plupart du temps elle est finalement accessoire : nous voyons bien l’objet, le reconnaissons et avons déjà notre idée sur sa potentielle utilité.
Dans The Last Door, le choix de graphismes minimalistes SD rend cette description essentielle, car bien souvent nous n’avons qu’une vague idée de ce que sont effectivement les choses sur lesquelles on clique. Un morceau de papier, peut-être de miroir, un bâton, une pierre ? La patte artistique du jeu n’est pas qu’un simple choix esthétique, elle est également un moyen de donner une réelle utilité à une mécanique éprouvée et néanmoins finalement superflue (dans l’absolu) du genre.
Chapitre 1 : l’horreur esseulée
The Last Door est un point’n click qui mise énormément sur l’ambiance. Les graphismes grossiers créent naturellement une couche de mystère puisqu’on ne peut appréhender tout un tableau d’emblée. Ces décors un peu frustes, ces formes simples et vagues semblent déjà cacher quelques secrets, masquer une réalité à l’horreur plus nette.
Le jeu débute par une intro marquante… Dans un grenier vétuste, le joueur dirige un personnage qui s’apprête à commettre un acte terrible. Une, deux minutes plus tard, le titre du jeu s’affiche, la musique envoûte le joueur. Octobre 1891. Devitt contemple une lettre de son vieil ami Anthony Beechworth, comportant une unique phrase : il s’agit d’une sorte de leitmotiv qu’ils utilisaient du temps de leurs études, dans le club de sciences et philosophie qu’ils fréquentaient. Une lettre mystérieuse et inquiétante. Est-il arrivé quelque chose à Anthony ? Devitt décide de se rendre en Ecosse chez son ami afin d’en avoir le cœur net. Il y découvre le manoir, déserté par ses occupants. Des fragments de lettre, de journaux viennent l’éclairer sur ce qui a pu se passer.
On explore alors la maison, ouvrant les portes une par une, découvrant peu à peu les secrets qu’elle renferme. Il n’y a personne. La solitude règne partout. Dehors, des corbeaux se repaissent d’une charogne. Des bruits angoissants se font parfois entendre, et les simples pas de Devitt résonnent sombrement. Des objets sont trouvés, utilisés, combinés afin d’avancer. Que se cache-t-il derrière la prochaine porte ? Un chat aux yeux crevés, un cadavre de femme… le secret d’Anthony Beechworth n’est que le début de l’aventure.
Chapitre 2 : l’horreur en mémoire
Comme pour le premier chapitre, le second débute en plaçant le joueur aux commandes d’un personnage qui n’est pas Devitt. La scène se déroule dans une sorte de chapelle, sombre, éclairée faiblement par quelques bougies. Sur le mur, un Christ crucifié. Un prêtre, devant l’autel. Il ôte quelques vêtements, se saisit d’un fouet. Se flagelle et priant. Pardonnez-nous mon Père.
Le mystère entourant Anthony est loin d’être dissipé. Hanté par les visions cauchemardesques héritées de sa visite en Ecosse, Devitt est suivi par un psychanalyste. Il raconte ces rêves qu’il fait, au sein desquels des corbeaux le toisent au milieu d’une forêt enténébrée. Le jeu commence par une conversation avec le psy, par quelques choix de dialogue. D’emblée, le chapitre 2 marque sa différence avec le premier, où il n’y avait personne à qui parler. Devitt va cette fois se rendre dans son ancien pensionnat, là où il fit jadis partie d’un club secret avec son ami. Peut-être ses souvenirs réapparaîtront-ils au contact de ce lieu ? Peut-être l’aideront-ils à comprendre et à surmonter ses angoisses ?
Le pensionnat est devenu une sorte de dispensaire où des sœurs prennent soin de malades souffrant tant physiquement que mentalement. Rapidement, Devitt soupçonne que le dispensaire renferme d’inavouables secrets. Après tout, le fossoyeur qui au dehors creuse sans cesse de nouvelles tombes n’est pas pour le rassurer… Son enquête va cette fois-ci être émaillée de nombreux dialogues, qui le plongeront au cœur des événements passés comme présents. Un frère trahi par sa sœur, des nones qui perdent la foi, un malade enfermé dans un cercueil alors qu’il est encore en vie, une lutte entre philosophie classique et dogme religieux perverti… Le chapitre s’achève sur une scène fabuleuse, qui laisse le joueur hagard, bluffé, et furieusement impatient de toucher au prochain épisode.
The Last Door est pour le moment une véritable réussite. L’ambiance du jeu est tout simplement enivrante, distillant son horreur physique et psychologique avec beaucoup de maîtrise, au sein d’un univers rappelant Edgar Allan Poe. La bande-son n’est pas en reste et sublime l’atmosphère. Enfin il faut signaler que le nombre d’éléments cliquables n’étant pas très important, la difficulté du jeu n’est pas très élevée. Un choix judicieux : cela permet d’éviter les gros blocages et ainsi de ne pas nuire à l’ambiance. Et tout ça (presque) gratuitement… vivement le chapitre 3 !