Pac-Man : Et si le game design avait du sens ?

Ha, Pac-man… emblème du jeu vidéo et de la pop-culture, le célèbre disque jaune a fait le bonheur de Namco et des salles d’arcade dans les années 80. Et il continue de nos jours, d’ailleurs, puisqu’on le retrouve encore actuellement sous diverses formes sur toutes les machines en circulation. Ancêtre de la famille vidéoludique, « simple » jeu de poursuite, le jeu semble suffisamment explicite sur son propos. Et pourtant, il se pourrait bien qu’une analyse un rien tirée par les cheveux puisse nous apprendre des choses. Et si le game design avait du sens ?

Pac-Man

L’importance du territoire

Ben sûr, de prime abord il n’y a pas vraiment de background derrière Pac-man. Nous sommes en face du principe ludique simple du chasseur et du chassé, le chassé poursuivant un but permettant de mettre fin à la chasse. Très bien. Mais… le jeu, sa conception, ses mécaniques… ne nous apprennent-ils rien de plus ?

Considérons l’aire de jeu. Il s’agit d’un labyrinthe, construit autour d’une zone centrale abritant les quatre fantômes. Cette zone est très clairement leur habitat, le labyrinthe faisant alors office de voisinage direct. Pac-man ne cherche pas à s’échapper de ce voisinage. Certes, il serait bien en peine de le faire, puisque le labyrinthe est fermé. Mais le fait demeure : Pac-man ne cherche pas à s’évader, il cherche à gober les pac-gommes. Le héros-camembert ne serait donc pas un prisonnier mais un vulgaire intrus, un voleur s’en prenant aux richesses présentes sur la propriété des fantômes, qui après tout ne feraient que se défendre en chassant l’importun.

Gourmandise exacerbée

Que nous dit le game design ? Il s’agit de manger les pastilles disséminées dans le labyrinthe. Première chose : l’acte de manger. C’est un acte utile par essence, nécessaire au maintien de la vie. Pourtant ici il ne s’agit pas simplement de subvenir aux besoins de Pac-man. Il faut consommer toutes les pac-gommes du plateau, afin de mettre fin à la chasse et de passer au niveau suivant. Il faut tout manger, ne rien laisser. Nous sommes dans la gloutonnerie plus que la satisfaction de la faim, dans l’orgie, dans l’abus (d’autant qu’au niveau suivant, il faut recommencer, et au suivant, et au suivant : le festin sans fin est dépourvu de sens). Pire, il faut également se ruer sur les récompenses (là aussi en forme de nourriture pour la plupart) qui apparaissent régulièrement au centre de l’aire de jeu, mais de façon éphémère. On peut bien sûr y voir une sorte d’allégorie capitaliste, une mécanique portée vers le toujours plus, la nécessité de saisir les occasions, même superflues (dans l’absolu), pourvu qu’elles continuent à nous engraisser et à faire fructifier notre compte en banque virutel matérialisé par le score (et ce, toujours sur le dos de nos pauvres fantômes). Mais après tout, voilà qui est vrai du principe de scoring en général. Si la fonction de nourriture rend la chose un peu plus évidente ici, exacerbant la différence entre le besoin et l’envie, cela n’a rien de très surprenant (et puis, le fait de gagner une vie tous les 10 000 points rejoint en quelque sorte la conservation de la vie de Pac-man à travers la nourriture, puisqu’elle permet au moins au joueur de conserver sa partie, de continuer à jouer).

pac_man_ghostersUne histoire de rancune ?

Mais ce sont bien les fantômes qui rendent le jeu intéressant. D’une certaine façon, ils cherchent à défendre leur territoire en chassant la petite boule jaune qui vient le dépouiller de ses ressources. Peut-on vraiment le leur reprocher ? Or, le plateau dispose de quatre pastilles spéciales, qui modifient complètement la situation. Sitôt absorbées, les fantômes prennent peur. Ils deviennent bleus (couleur symbolisant la terreur – une « peur bleue »), et leur design les montrent clairement terrorisés, la bouche ondulante, les yeux vides. Ils fuient le joueur, qui pourrait alors en profiter pour terminer son larcin tranquillement, puisqu’il est venu pour ça. Mais non. En accordant des points lorsque l’on attrape un fantôme à ce moment-là (un fantôme terrorisé), le jeu encourage le joueur à devenir alors le chasseur. Pire encore, enchaîner les fantômes déclenche un combo multipliant les points. Après avoir été chassé, le joueur se venge en chassant à son tour, et autant que possible en chassant tous les fantômes. Pas de quartier.

A travers cette mécanique de scoring et la mise en scène des éléments du jeu, que nous dit donc le game design ? Et bien il nous encourage tout simplement à nous venger. A chasser ces fantômes qui nous chassaient et qui maintenant nous fuient, inoffensifs et apeurés. A les chasser tous, sans pitié, tout en sachant pertinemment que cela ne facilitera pas notre tâche de voleur glouton, puisqu’une fois croqués les fantômes reviennent à nouveau sous la forme de chasseurs (et dans leur bon droit, finalement). Le game design de Pacman fait du héros du jeu un voleur vengeur, adepte de la violence gratuite, ou de la violence comme échelle de valeur (puisque c’est elle qui déterminera le score).

pacman3_1343053406Un reste d’honneur ?

Voilà qui n’est pas très glorieux pour notre petite boule jaune. Mais alors, Pac-man serait le chantre de la vengeance, la glorifierait ? C’est oublier un aspect fondamental du jeu : l’enchaînement infini de ses niveaux. L’action se répète, inlassablement. Et à l’arrivée ? Le score a beau augmenter, l’issue est inéluctable : Pac-man doit finir dévoré, vaincu par les gardiens qu’il cherchait à voler, par sa gloutonnerie irraisonnée, par sa vengeance aveugle qui, en définitive, ne pouvait être une solution. Le jeu n’aura été qu’un apprentissage de tout cela, de toute cette absurdité. L’honneur est donc sauf, Pac-man n’est pas encore le jeu vidéo immoral qui poussera les enfants sur une mauvaise pente en leur inculquant sournoisement des valeurs nauséabondes.

A moins, bien sûr, que l’on évoque le fait que le jeu était buggé au 256è niveau (à cause du codage sur un seul octet), qui constituait alors une fin artificielle, un but à atteindre qui rendait le joueur vengeur vainqueur de l’épreuve, impuni, renversant totalement la morale de l’histoire. Mais… là encore, le bug, crash brutal et définitif de la réalité virtuelle, n’est-il pas la meilleure forme possible pour punir le joueur d’être parvenu si loin à l’aide de si vils moyens ?

Tout ceci est évidemment tiré par les cheveux et n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais après tout… les éléments s’emboîtent de façon troublante, non ?

8 réflexions au sujet de “Pac-Man : Et si le game design avait du sens ?”

  1. Analyser un jeux vidéo comme on analyse une œuvre d’art.
    C’est la première fois que je vois ça.

    Personnellement, je déteste ces « analyse » qui veulent donner du sens a tous.
    Que ce soit pour les livres, les films, de même pour les jeux vidéo.
    (si je devais supprimer une chose dans le programme du lycée, ce serait l’analyse de texte ^^)

    Ce n’est que mon avis, peut être que d’autre aiment.
    En tout cas, si d’autre articles paraissent, j’aimerai que la mention « Et si le game design avait du sens ? » reste.
    Pour être sûr de ne pas cliquer dessus…

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    • Sauf que la science infuse, le savoir ultime, n’existe pas. Et que passer par une étape de réflexion plutôt qu’une autre est toujours un bon moyen de savoir comment pensent certains, comment on pense soi-même, comparer cela pour mieux apprécier certains textes.

      C’est nécessaire de lire de tout et dans tous les sens. Désolé que tu n’y trouve pas d’intérêt, tant pis dirais-je, même !

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  2. Dommage si ça ne plait pas, en même temps j’ai l’honnêteté de préciser que c’est un rien tiré par les cheveux, et que par conséquent ça n’a pas vocation à être pris au pied de la lettre, mais simplement à être une fenêtre vers une réflexion possible ^^

    Je ne pense pas qu’il s’agisse « d’analyser un jeu vidéo comme une oeuvre d’art » (chose qui se fait pas ailleurs fréquemment sur nombre de sites et blogs…). Il s’agit plutôt d’analyser un objet culturel et ce qu’il dit en tant qu’expression d’une culture à destination d’une culture (la notion d’art, c’est du vent, ou du moins des heures de débats philosophique en perspective, autant ne pas s’en encombrer). Bien sûr, le propre de ce genre d’interprétation, c’est qu’on peut en trouver plusieurs, qui éventuellement se contredisent alors qu’elles partent du même matériau. Qu’importe. Il n’y a pas de vérité, seulement des points de vue, et des pistes de réflexion. Si ce que j’ai écrit ne semble pas cohérent, à aucun moment, alors je m’y suis mal pris, mais pour ma part je trouve que la lecture proposée se tient plutôt bien. Est-ce ce que les auteurs ont voulu exprimer ? Probable que non. Mais là encore, qu’importe. Les auteurs savent-ils seulement ce qu’ils créent ? Il me semble avoir lu un échange épistolaire entre Isaac Asimov et un fan, qui lui écrivait ce qu’il avait pensé d’une nouvelle de l’auteur de Fondation. Il lui décrivait ce qu’il en avait perçu, et Asimov lui a répondu qu’il n’avait jamais voulu exprimer ce que le fan décrivait. Ce à quoi le fan répondit « ce n’est pas parce que vous en êtes l’auteur que vous savez ce que ça raconte ». Cela me paraît très vrai, et complètement passionnant. L’influence culturelle et l’inconscient jouent un grand rôle dans la création d’une oeuvre.

    Je comprends tout à fait que ça puisse ne pas intéresser certaines personnes, mais dans l’absolu ça ne me paraît pas être une chose à rejeter (et j’espère que d’autres auront été plus réceptifs).
    Et à mon sens, l’analyse de texte au lycée fait partie des rares choses qui font appel à l’intelligence, ce serait dommage de s’en passer ^^

    Rassure-toi, j’ai d’autres idées en tête et j’ai bien prévu de garder la mention « et si le game design avait du sens ? ». D’ailleurs, répondre « non » à cette interrogation me paraîtrait assez dramatique pour le jeu vidéo.

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    • Content que ta réaction soit calme face a mon avis extrêmement négatif ^^.
      Pas de problème de cohérence ou de logique dans ton article.
      C’est juste que j’espérai ne jamais croiser de « critiques d’art » dans le jeux vidéo.
      (Une interprétation tellement poussé qu’elle en devient déconnectée du support de base)
      Vu que c’est la première que j’en vois, c’est sur toi que ça tombe ^^.

      Bien sur que le game design a du sens, mais une interprétation ne donne pas de sens, elle en invente.
      Pour qu’une analyse du game design par rapport a la culture aie du sens, il faudrait une comparaison entre plusieurs jeux.
      Cela rendrait l’analyse plus factuelle, moins lié a l’interprétation.
      par exemple : Company of heroes / settlers (4 ou moins) / age of empire (1 ou 2)
      Tous les trois des STR représentant l’espèce humaine.
      Mais avec des game play très différent et montrant des visions de la guerre très différente.
      En fait, j’adorerai ce genre d’analyse ^^.

      Tu est chanceux si l’analyse de texte faisait appel a l’intelligence lors de ta formation.
      Ayant fait une filière scientifique (il y a 15 ans), la moindre notion d’intelligence ou d’analyse personnelle était lourdement sanctionné.
      Il fallait apprendre l’analyse officielle…

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      • « une interprétation ne donne pas de sens, elle en invente. »
        C’est pas complètement faux, mais c’est pas complètement juste non plus. Une interprétation possible est un regard possible sur une oeuvre. Qui peut dire s’il est erroné ? Je te rejoins sur le fait qu’on voit parfois des analyses complètement farfelues sur des choses a priori anodine (rien qu’ici, tiens), et dont la portée dépasse très clairement le matériau de base. Il est important de ne pas prendre une telle analyse au pied de la lettre et entièrement au premier degré, c’est évident. Pour autant, je pense qu’il ne faut pas non plus rejeter entièrement les réflexions que ça peut apporter.

        Encore une fois l’idée derrière l’article est d’interpeller (en ayant choisi un exemple où l’analyse paraît volontairement provocante vu le jeu dont elle est tirée), de pousser (peut-être) à se demander ce qu’on fait lorsqu’on joue, et à quoi correspondent les mécaniques mises en oeuvre (l’important n’est pas d’en tirer une réponse claire, mais de se poser la question).

        Il y a aujourd’hui des jeux dont on ne peut pas parler correctement sans évoquer le discours du game design et du gameplay (au hasard, Ico ou Papers, Please, par exemple). Passer à côté est une erreur (à mon sens). Est-ce que c’est aussi essentiel pour Pac-man ? Sans doute pas. Est-ce qu’on peut y voir un signe de l’évolution et la maturité du jeu vidéo, dont les mécaniques se complexifient et qui affiche des ambitions de plus en plus marquées ? Peut-être.

        En tout cas tu as raison sur l’intérêt qu’il y aurait à comparer plusieurs jeux et leurs différentes représentations d’un même phénomène. J’aimerais bien avoir le temps nécessaire pour pouvoir m’y consacrer, mais c’est pas vraiment le cas ^^

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  3. Salut j’ai trouver ton analyse vachement sympa , mais je me pose une question ( grace au commentaires publiés ) le jeux video fait partit de notre culture mais va t’il etre consideré comme tel par les gens . dans 50 ans sera t’il possible de voir l’histoire du jeux video , sa musique … enseignait ?

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    • A mon avis c’est assez peu probable. On n’enseigne pas le cinéma ou la BD à l’école. Le côté interactif serait pourtant assez adapté à un enseignement pédagogique, en revanche le côté divertissement rend la chose un peu malaisée pour un public non mature. Encore que récemment on nous a annoncé que le code serait enseigné en option dès la primaire, la suite logique voudrait qu’on ait ensuite des modules qui se penchent sur le jeu.

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