Le studio russe Ice-Pick Lodge n’a pas pour habitude de verser dans le conventionnel. Des productions telles que Pathologic ou The Void ont su marquer les joueurs par leur singularité. Maîtres de l’étrange, leurs fans sont en attente de Knock Knock que ses créateurs ne définissent pas comme un jeu, mais plutôt comme une méditation interactive, fruit des archives d’un inconnu tombées entre leurs mains. Ils n’auraient fait que suivre les directives dictées par ces documents pour aboutir à ce qui va suivre. Un dernier conseil pour la route ? Il faudrait y jouer dans le noir et seul de préférence.
Avertissement : ceci n’est peut-être pas un jeu
La période est propice. Halloween pointe le bout de son nez et le temps se rafraîchit dangereusement. L’horreur est à nos portes et Knock Knock ne veut pas y faire exception. On se réveille difficilement au côté d’un jeune hurluberlu aux cheveux hirsutes et aux yeux injectés de sang. La migraine et le manque de sommeil ne l’aide pas vraiment à se rappeler où sont les choses dans sa vaste et effrayante demeure. On le déplace vers la gauche ou vers la droite, de pièces en pièces, sans véritablement savoir quel est notre objectif.
Par moment, notre hôte nous stoppe dans sa progression pour prononcer dans un langage incompréhensible (heureusement sous-titrés, mais uniquement en anglais, allemand, polonais ou russe) quelques phrases plutôt obscures pour le commun des mortels – la partie saine – portant sur l’importance d’archiver toutes trouvailles pour le bien de la science, combien l’isolement de longue date peut être néfaste pour la psyché, et autres banalités sur son état d’esprit. C’est ainsi qu’il communique avec le joueur.
On tourne en rond jusqu’à se rendre compte qu’il est possible d’interagir avec certaines choses. On s’affairera donc à rouvrir les portes fermées, à remplacer une ampoule grillée, ou encore à se cacher derrière un meuble. Alors que nous n’en sommes encore qu’à tâtonner histoire de comprendre comment tout cela fonctionne, le tableau commence à prendre forme.
Une porte claque, le tonnerre gronde, une ampoule éclate dans une des autres pièces de la demeure, des bruits de pas se font entendre au grenier. Violemment, par intermittence, quelqu’un semble frapper à la porte, mais impossible de l’ouvrir. Une voix d’homme ou de femme glauque nous interpelle, nous donne même des ordres. Traînant péniblement les pieds, on déplace notre hôte armé d’une lampe à huile ou d’une bougie afin de rétablir la lumière dans tous les endroits assombris. Plus le temps passe, et plus la nécessité de survivre à la nuit se rapproche. Dans le noir, une brèche s’ouvre avec en son centre un œil immense et inquisiteur. De cette brèche surviennent parfois des créatures aux allures de spectres, se déplaçant de façon lascive ou flottant, attirées par l’être fragile que vous êtes. Ils seront vos principaux ennemis.
Le seul indicateur à l’écran de cette fragilité est une montre qui se remplit à mesure que le temps passe. Pour l’aider à se remplir plus vite, quelques horloges, étrangement semblables à notre protagoniste en pantoufle et robe de chambre, apparaîtront de temps à autre quand vous aurez rétablir la lumière. S’ensuit alors une partie de cache-cache sachant que si vos adversaires vous rattrapent, vous perdrez un peu de ce précieux temps nécessaire pour vous rapprocher de l’aube libératrice. Perdez-en la totalité, et vous êtes bon pour recommencer le niveau.
Voilà ce à quoi ressemble Knock Knock, une partie de cache-cache dans un univers glauque, magnifiquement servi par des graphismes dessinés à la main. Exceptée la 3D utilisée pour le »squelette » de la maison, les personnages et tous les décors sont plat avec des couleurs franches et lumineuses, assorties d’animations simples et peu nombreuses mais efficaces. L’œil est irrémédiablement attiré par l’esthétique de ce jeu, sans doute la plus accessible de tous les titres d’Ice-Pick Lodge, qui prend des allures de diorama ou d’une maison de poupées macabre.
La musique est par contre discrète, préférant sans doute laisser la place à un environnement sonore redoutable et appuyant comme il faut pour nous prendre par surprise. Le casque sur les oreilles, on se sent comme enveloppé. L’ambiance est posée et va de paire avec le gameplay aux frontières floues. La première heure sur Knock Knock est par moment effrayante, met mal à l’aise et parvient à captiver.
Tout paraît plus beau dans le noir
La lune de miel ne durera par contre pas vraiment longtemps. Il y a deux types de niveaux jouables en alternance. Le premier est tel que décrit plus haut. Une course poursuite contre les ténèbres dans laquelle il faudra survivre le plus longtemps possible aux attaques répétées de vos »invités » si vous avez l’espoir de revoir un jour la lumière du jour. L’autre genre est plus pacifique, pour ne pas dire ennuyeux et absolument sans enjeu. Une pièce s’illumine avec en son sein une des fameuses horloges dont j’ai déjà parlé. Il suffit d’aller la chercher, et la porte d’entrée s’ouvrira par la suite, l’occasion d’effectuer enfin une ballade dans une forêt peu accueillante. Hélas, ce n’est pas dans ce niveau que vos talents s’exprimeront. Ce type de niveau est plutôt l’occasion d’en apprendre un peu plus sur notre avatar, ou de récolter de nouvelles pages d’un journal au contenu obscur.
Je pourrai continuer des heures à théoriser sur le fond de son concept sans véritablement réussir à le comprendre. Je ne suis pourtant pas allergique aux œuvres expérimentales. Il m’est arrivé parfois de me dire que le véritable ennemi ici est sans doute nous même, où plus exactement l’ermite que nous contrôlons. Il m’est même arrivé de me demander si j’avais véritablement le contrôle sur ce qui se passe. Le game over auquel j’ai du faire face alors que la fin était proche était si arbitraire que la colère a pris peu à peu le pas sur la moindre peur ou angoisse. Vraisemblablement, je n’ai pas été assez rapide dans les niveaux précédents, n’ayant plus comme seule solution de tout recommencer à zéro. Et tout cela dans le but d’obtenir une des fins offertes, qui ne sont de toute façon pas plus explicites que le reste.
Voilà donc la faiblesse de Knock Knock. On est constamment dans la brume sans réellement savoir quoi faire et quand, sans savoir qu’elles sont les répercussions de nos actes, ni même si ceux-ci sont les bons. La seule pénalisation est de recommencer un niveau, ou bien de recommencer depuis le tout début. Et ça, c’est seulement si tout se passe bien.
Régulièrement, on a l’impression que l’on se joue de nous. Il faut savoir qu’il y a beaucoup d’aléatoire dans le gameplay. Les spectres pourront par exemple apparaître directement sur vous ne vous laissant ainsi aucun échappatoire possible. A d’autres moment les portes fermées et les ampoules explosées s’accumuleront à vitesse grand V, tandis qu’à d’autres vous arriverez à vous en sortir en vous dépêchant de récolter toutes les horloges disponibles sans avoir été embêté ou presque. Il y a un manque d’équilibre évident dans la difficulté supposée, et le côté cache-cache de l’entreprise est finalement plutôt superficiel.
Avec l’expérience vient la sagesse. On arrive à terme à plus ou moins saisir comment la machine fonctionne. Par exemple, il sera aisément possible de se jouer des spectres en frappant frénétiquement sur la touche haut et bas de votre clavier en étant en face d’une échelle, vous permettant ainsi d’y rester, cette échelle devenant alors une sorte de zone neutre de laquelle vos ennemis ne peuvent vous voir, vous rendant en quelque sorte invincible à toutes attaques. Je ne compte plus les fois où je me suis joué de mes adversaires d’un soir et attendu le petit matin de la sorte.
GAME OVER
Déconcertant est le mot qui me vient quand je repense à mes heures passées dessus. De la découverte merveilleuse, je suis passé à la frustration la plus totale. J’attendais avec anticipation l’idée avec laquelle j’allais pouvoir m’adonner à une partie de cache-cache horrifique. Malheureusement, Knock Knock ne se définit pas ainsi. Et là est bien le problème car il se retrouve coincé entre la volonté de nous faire vivre une aventure dans la psyché tordue d’un individu, bercée entre réalité et cauchemars, et celle plus classique d’un survival horror avec tout ce que cela implique. Mais le mélange ne prend pas.
Le gameplay est bâtard et trop aléatoire pour y trouver une consistance appréciable. Le plus souvent, les tâches à accomplir sont redondantes et fastidieuses. Les niveaux se ressemblent tous et ne se renouvellent presque pas, voire pas du tout, quand on ne passe pas son temps à tourner en rond sans savoir quoi faire.
J’aurai pu trouver un peu de réconfort en me disant que l’histoire que l’on essaye de me raconter est passionnante, bouleversante. Si seulement. Mais bien trop souvent, que cela soit dans l’écrit ou la parole de notre hôte, cette histoire qui essaye peut-être de se faire est trop hermétique. Les textes sont opaques et ne trouvent pas toujours sens, tout du moins immédiatement. Au joueur-spectateur de tricoter tout ça pour en trouver.
Répétitif et fastidieux, Knock Knock peut finir par fatiguer et faire perdre patience. Jamais il ne s’ouvre à nous et demeure énigmatique en étant légèrement autiste sur les bords. C’est alors que l’ennui ou l’énervement, ou bien les deux, prennent le pas sur tout le reste alors que l’on refait inlassablement les mêmes actions dans chaque niveaux avec les mêmes résultats. Mais peut-être s’agit-il d’une tentative de la part de ses auteurs de nous faire vivre interactivement ce que serait la folie chez l’être humain. Après tout, Albert Einstein disait : »La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Dans ce cas, je devrais acquiescer avec cette citation. Oui, ce jeu m’a rendu fou sur la fin, et frustré. N’espérez donc pas trouver ici un jeu classique, ni même une histoire droite dans ses bottes. Le gameplay est bancal et insatisfaisant et l’histoire trop embuée. Vous voilà prévenu.