Leviathan : The Last Day of the Decade

Les visual novels sont à la mode ces temps-ci. Longtemps quasi circonscrits au Japon, on voit de plus en plus d’avatars du genre en provenance d’Amérique du Nord (les jeux de Christina Love, par exemple) ou même d’Europe. C’est le cas de Leviathan : the Last Day of the Decade, développé par le studio russe Lostwood Games. Comment le visual novel est-il abordé ici, et que nous raconte le jeu ?

The Decade

Le monde de Leviathan est plutôt original. Mettant en scène une société structurée en familles de nobles qui méprisent évidemment les roturiers, le design de l’univers est d’inspiration Fantasy (présence de magie, grande utilisation du bois et de la pierre dans les constructions, armures de cuir ou de métal typiques, même les couleurs évoquent le medfan), mais on y trouve également des technologies plus inhabituelles, comme des téléphones portables et même un métro. Ce monde est rythmé par la Decade, une sorte de peste qui le frappe à intervalles irréguliers. Nul ne sait quand la Decade va débuter, ni pourquoi, mais elle dure invariablement dix années. Elle ne touche pas les nobles de sang pur mais les bâtards, les gens du commun, qui n’y survivent pas bien longtemps. C’est une purge.

Le joueur incarne Oliver Vertran, un jeune garçon de noble lignée (quoique sa famille ne soit pas non plus au sommet de la hiérarchie sociale) qui va à l’école, doit composer avec les petites brutes locales et possède une histoire familiale peu évidente : il n’a pas vu son père depuis des années, et pour une raison inconnue sa mère semble ne plus avoir toute sa tête. Bref, la vie n’est pas vraiment un cadeau pour le petit Oliver. Elle va prendre une tournure inattendue lorsqu’il va procéder à un rituel magique et entrer en contact avec un démon, puis lorsqu’un être cher se fera assassiner presque sous ses yeux… Il se fera alors un devoir de mener l’enquête et de confondre le tueur, mais… les choses sont-elles aussi simples ?

Ecriture inégale

L’un des points essentiels, lorsqu’on expérimente un visual novel, est évidemment la qualité d’écriture du titre. Leviathan : the Last Day of the Decade est à ce sujet plutôt inégal. L’histoire commence de façon un peu bancale : les dialogues sont moyens, et on tombe d’emblée sur une mécanique de légère amnésie qui vise à expliquer au joueur des choses qu’Oliver devrait savoir. Pas très subtil, déjà vu et peu convaincant pour une ouverture… On trouve également quelques moments un peu aberrants, comme ce passage lors de l’invocation d’un démon : la situation est dangereuse, il faut réagir, et le jeu nous donne le choix entre la fuite, le combat, ou… prendre son téléphone pour appeler un ami. La logique peut paraître étrange.

Pour autant, le jeu sait tout de même se rattraper. Lorsqu’apparaît le personnage d’Edna, les dialogues se font plus savoureux, cette dernière instillant un humour qui fonctionne plutôt bien. Surtout, l’histoire principale, qui prend la forme d’une grande enquête, devient rapidement captivante, se dévoilant petit à petit tout en conservant des zones d’ombres, des mystères qui donnent envie d’en savoir plus. Pourquoi la mère d’Oliver a-t-elle été assassinée ? Comment ? Qui sont ces deux nouveaux lycéens qui viennent d’être transférés et dont l’une semble particulièrement s’intéresser à Oliver, et à un évènement qu’il préfèrerait garder secret ? Qui est l’Arbre, cet esprit qui lui parle en songe et sous-entend qu’il possède un grand pouvoir qui pourrait le corrompre ?

Visual novel et point’n click

En termes de gameplay, Leviathan opte pour des mécaniques très proches du point’n click. Bien sûr on reste dans le visual novel, avec de très longues phases de dialogues (avec une petite animation des visages lorsqu’ils parlent, ce qui est plutôt agréable), et quelques choix d’ordre narratif. Mais entre deux scènes, il est possible d’observer des éléments du décor, d’interagir avec certains et de collecter des objets qui viennent garnir l’inventaire. Cela reste assez limité, mais ce choix de game design s’accorde plutôt bien avec la thématique d’enquête qui constitue le cœur du jeu : on observe le monde et on recueille les indices comme le ferait tout détective. Cette orientation enquête atteint son apogée lors d’une séquence particulièrement réussie où il s’agit d’observer une photographie afin de déterminer si ce qu’elle représente est une mise en scène ou non. Observation, déduction et mise en situation.

Ellipses

Leviathan est un jeu épisodique, qui comporte cinq volets. Pour le moment, seuls les trois premiers ont été traduits en anglais (et rien en français). On trouve ça et là quelques coquilles dans la traduction, mais dans l’ensemble rien qui n’empêche de jouer et de comprendre les rouages de l’intrigue. On est tout de même surpris en attaquant le second épisode : le premier mettait en scène un Oliver enfant se découvrant un pouvoir immense mais étant confronté à la mort d’une personne chère… puis arrive la deuxième partie, dix ans plus tard, alors qu’Oliver est au lycée. Si le jeu nous annonce que durant ces dix années Oliver n’a cessé de chercher le meurtrier, la fin de l’épisode précédent laissait supposer qu’un aussi long délai ne serait pas nécessaire. On retombe sur l’écriture parfois un peu bancale du jeu, qui heureusement parvient à compenser lors d’autres scènes.

Avec ses visuels plutôt attractifs et sa direction artistique marquée, Leviathan : the Last Day of the Decade réussit à accrocher le joueur grâce à une histoire captivante et quelques personnages intéressants qui font oublier ses défauts d’écriture. Notons que le jeu aborde parfois le thème de l’homosexualité, et que si c’est relativement anecdotique (du moins pour ces trois premiers épisodes), cela a suffi à voir le jeu classé 18+ en Russie, où le sujet est encore bien tabou (l’homosexualité masculine y était encore un crime en 1993, et les mesures favorisant son acceptation ne s’y bousculent pas).

L’histoire n’est pas encore terminée (du moins pour ceux qui ne lisent pas le russe), et il reste deux volets pour toucher au terme de l’enquête d’Oliver. Parviendra-t-il à son objectif sans se laisser consumer par le pouvoir et la haine ?

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