Non, il n’y a pas d’erreur, Continue?9876543210 est bien le nom d’un jeu. Un nom qui annonce d’ailleurs assez bien le contenu, puisque ce dernier est pour le moins étrange et atypique. Contemplatif, métaphysique, mais n’oubliant pas de saupoudrer tout ça avec de l’action, l’expérience se construit en deux temps. Pour le meilleur ?
Au-delà de la mort
Continue marque son originalité dès les tous premiers instants : le jeu débute en effet par un… game over. Et pour cause, Continue nous raconte la mort d’un personnage de jeu vidéo, ou plutôt l’après-mort, ces instants post-game over où le personnage attend d’être tout simplement supprimé par le Garbage Collector, d’être anéanti pour de bon. Le personnage de jeu vidéo meurt deux fois.
Après tout, cette multiplicité de la mort est-elle étonnante ? Le jeu vidéo ne se caractérise-t-il pas, entre autres, par sa gestion de la mort ? Habituellement, dans le jeu vidéo cette dernière est certes frustrante, mais relève toutefois presque du non évènement, de la transition ponctuelle annonçant simplement l’essai suivant. Continue commence donc par se demander ce qu’il advient de ces avatars déchus. Derrière le game over, invisible pour le joueur qui est déjà reparti au combat avec une autre vie, il y a donc un au-delà numérique, qui se matérialise sous la forme d’une période d’attente jusqu’à ce que passe le terrible Garbage Collector, qui supprimera les données du personnage, purement et simplement. Mais qui a envie de retourner au néant ? Continue met en scène un personnage qui vient de mourir, mais qui ne veut pas disparaître. Pas encore. Il faut alors se lancer dans une nouvelle, une ultime quête pour subsister encore un peu dans la mémoire vive (ce qui donne un petit côté Tron, dans l’esprit). Une quête mêlant méta-physique et action, dans un univers graphique en voxels qui rappelle un peu Sword & Sworcery en plus sombre.
Expérience : étape 1
L’ambiance de Continue est résolument mystérieuse. Les personnages s’expriment par quelques phrases courtes, entre poésie désespérée et interrogations quasi philosophiques qui font forcément écho quelque part chez le joueur. On se sent impliqué, on expérimente des sensations atypiques, plutôt singulières par rapport à ce qu’on voit habituellement dans le monde du jeu vidéo. Chaque image se contemple avec délectation. Qu’y a-t-il après la mort vidéoludique ? Encore du jeu. Mais pas de cycle ; cette fois-ci, c’est la dernière chance. Le Garbage Collector ne va pas tarder à passer, il faut trouver un moyen de survivre, vite.
La structure du jeu est simple, elle se constitue en niveaux. Six, pour être précis (mais il y a une subtilité sur laquelle on reviendra). Chacun de ces niveaux comporte trois sorties, barrées par des blocs. L’objectif est double : il faut détruire ces blocs tout en collectionnant des Prières, qui vont permettre la construction d’abris dans une sorte de ville-refuge que l’on rejoint tous les deux niveaux. A ce moment une tempête déclenchée par le Garbage Collector s’abat sur la ville, détruisant les abris récoltés, et pouvant mener à la destruction du personnage s’il n’a plus nulle part où se réfugier. Il s’agit donc d’exploiter les niveaux proposés au mieux, afin de pouvoir en sortir indemne tout en ayant récupéré un maximum de Prières.
Gameplay multiple
Le gameplay s’avère intéressant, car il mixe une grande variété de styles différents, réduits à leur plus simple forme. Dans un premier temps, il s’agit d’exploration : chaque niveau est un environnement fermé, et le but du joueur est d’y trouver des personnages afin de dialoguer avec eux. On se sent un peu comme dans une petite ville de RPG. Certains ont des indices à fournir, qui permettront de répondre correctement à des questions posées plus tard, d’autre n’ont que quelques mots énigmatiques à partager. D’autres encore pourront vendre des clés permettant l’ouverture de portes disséminées un peu partout dans le niveau. Ces portes sont essentielles, car c’est derrière elle que l’on trouvera des habitants prêts à nous offrir leurs Prières (Prayers, qui permettent la construction d’abris) ou leur Foudre (Lightning, qui permettent de détruire les blocs pour atteindre la sortie du niveau). On rencontrera également quelques petites énigmes, dont la solution doit être trouvée en discutant avec les PNJ. Parfois, des sortes de blocs dentés et agressifs apparaissent, fondant sur le personnage-joueur, et pouvant déclencher un combat. On passe alors en vue 2D et le gameplay se fait action pour permettre au joueur de se battre.
Chaque niveau se décompose en deux ou quatre phases chronométrées, ajoutant une dimension course à l’ensemble. Il faut agir vite, ne pas perdre temps. A chaque fin de phase, le joueur est transporté dans une sorte de sous-niveau de transition, proposant là aussi son gameplay propre : une exploration de donjon, un niveau très proche de Space Invader, un autre ressemblant énormément à Mario… Ces niveaux de transition permettent de récupérer d’autres clés, afin d’ouvrir d’autres portes une fois revenu dans l’environnement de départ.
Continue réussit donc à mélanger les gameplays, à piocher dans l’exploration, le RPG, l’action, le puzzle game, la plateforme pour proposer un métissage de jeu vidéo, épuré, qui cadre bien avec le contexte du jeu, aussi bien dans la forme que dans le fond. C’est plutôt brillant. Une fois toutes les phases d’un niveau achevées, le Garbage Collector vient mettre son grain de sel, et il faut alors courir vers la sortie. Si le chemin vers celle-ci n’est pas dégagé, il faudra sacrifier un certain nombre de ses abris pour pouvoir rejoindre le niveau suivant…
Expérience : étape 2
Tous les deux niveaux, le joueur se retrouve dans sa ville-refuge et doit faire face à une tempête destructrice. Il faut se cacher dans les abris construits plus tôt, qui se font réduire à néant un par un. Le nombre d’abris perdus de cette manière est d’ailleurs plutôt élevé, et peut mener rapidement au game over (le vrai) si l’on n’a pas bien préparé les choses. L’occasion de reprendre la partie à zéro (pas de sauvegarde possible) et de s’apercevoir que les niveaux proposés ont changé. En fait, les six niveaux qui composent une partie sont choisis aléatoirement parmi onze en tout, rendant en principe chaque partie unique et mettant en valeur la replay value, puisqu’il n’est pas possible de tout voir en un seul run. Mais c’est là que les choses se gâtent. Car si jusqu’ici l’expérience Continue était unique et réjouissante, si jusqu’ici le jeu s’avérait réellement enthousiasmant, on s’aperçoit dès la seconde partie que des défauts qui n’avaient pas frappé jusqu’ici viennent tout gâcher.
Un gamedesign autodestructeur
Quelle est l’ambition du jeu ? De l’aveu même du développeur, Jason Oda, Continue se veut une expérience contemplative et philosophique. Très bien, c’est ce qu’il en ressort jusqu’ici et c’est plutôt réussi. Mais de ce point de vue, que résulte-t-il de la grande difficulté mise en place ? Puisqu’il n’y a pas de sauvegarde, puisque survivre aux tempêtes du Garbage Collector s’avère extrêmement compliqué, on recommence au début à chaque fois. Certes, on explore alors d’autres niveaux. Mais deux problèmes majeurs se révèlent tout de même.
D’abord, au niveau du gameplay. Que fait-on dans un niveau ? On cherche à récupérer des Lightning et des Prayers. Ces deux éléments sont le plus souvent proposés de façon dichotomique : on ouvre une porte derrière laquelle se trouve un personnage qui nous propose soit l’un, soit l’autre. Or on a besoin de Lightning pour sortir du niveau, de toute façon. La foudre frappe alors les blocs obstruant l’une des trois sorties. Sauf que… elle le fait de façon aléatoire. Pire, cet aléatoire ne gère pas l’historique, c’est-à-dire que la foudre peut frapper un endroit sur lequel elle est déjà passée. Autrement dit frapper un endroit déjà dégagé, alors même que d’autres blocs barrent le passage de la même sortie (il y a généralement trois groupes de blocs à détruire par sortie). Ce premier élément aléatoire a de quoi frustrer, puisqu’au lieu d’une Prayer qui aurait généré un abri dans la ville-refuge, on peut avoir choisi des Lightning qui se sont révélés inutiles. Ajoutons à cela qu’on trouve parfois derrière les portes des personnages qui n’ont rien à offrir. Car oui, la gestion des portes est elle aussi aléatoire. Or… les niveaux sont découpés en phases de temps limité (une phase dure 45 secondes ou 1 minute). Pour parachever l’angoisse, il faut également noter que les PNJ à qui il faut parler dans le niveau… apparaissent eux aussi de manière aléatoire. C’est bien simple, tout ou presque est aléatoire dans le jeu, alors même que les conditions demandées pour avancer sont drastiques et qu’il faut les réunir en un temps très limité.
Il faut donc une bonne dose de skill pour espérer s’en sortir (toutes les phases d’action doivent être exécutées impeccablement sous peine de subir des pénalités), mais il faut également de la chance, ce qui est toujours problématique. Faut-il y voir un message, une métaphore sur la bonne fortune nécessaire à la vie elle-même ? Tout porte à en douter. Parce que la notion même de skill semble complètement inappropriée à l’expérience qu’entend être Continue. Comment espérer mettre en place une expérience contemplative et philosophique s’il faut recommencer les mêmes niveaux inlassablement ? Car quand bien même l’ordre aléatoire de ces derniers varie, on ne tarde pas pour autant à rejouer dans une zone connue. Et sur la forme comme sur le fond, les masques tombent dès que l’on refait deux fois la même. Sur la forme d’abord : puisqu’on a déjà exploré le niveau, on ne prend plus la peine de s’y intéresser. On zappe les dialogues, on se dépêche bêtement, on n’a plus en vue que la réussite de son action, que l’espoir de trouver derrière cette porte quelques Prayers, que ces Lightning détruiront bien les bons blocs. Le message et la portée philosophique du jeu sont bien loin de nos préoccupations.
Pire, supposons qu’on s’attache encore à la portée philosophique. On relit les mêmes dialogues, les mêmes phrases mystérieuses. Ce qui avait paru étrange et poétique, ce qui avait fait écho à quelques pensées intéressantes au premier abord, parce qu’elles abordent des thèmes puissants comme la mort, la solitude, l’errance, se redécouvre maintenant qu’on s’y confronte à nouveau. Et l’on s’aperçoit, finalement rapidement, qu’il n’y a là qu’illusions, babillages et esbroufe. Les dialogues ne font pas grand sens, ne forment pas de message réel. Ce ne sont que des bribes éparses, qui ne tiennent que par quelques mots-clés et une atmosphère générale ésotérique. En fait de message philosophique, le jeu tient plus du trip, et c’est le joueur seul qui interprète et qui pense. Ce n’est déjà pas si mal, le jeu se posant comme une sorte de catalyseur. Mais c’est tout de même décevant : en fin de compte, le joueur n’avait pas besoin du jeu, ce dernier ne lui a rien appris.
Conclusion
En dépit de ses très gros défauts de conception, Continue?9876543210 reste une expérience unique, dont la première partie s’avère réellement marquante. Son univers artistique est indéniablement réussi (s’il peut paraître assez vilain sur les screenshots, sa beauté se révèle en jeu), et tant que l’illusion fonctionne, le jeu procure des sensations rarement éprouvées dans un jeu vidéo. Dommage que le gamedesign raté amène rapidement le joueur à comprendre qu’il ne fait que participer à un trip un peu vide, dont il pourrait très bien se passer.