L’introversion n’est pas un thème très répandu dans le jeu vidéo. C’est pourtant bien le sujet de Social Caterpillar, petit jeu indépendant développé par Lannie « Merlandese » Neely III, qui entend mettre en scène la difficulté des relations sociales subies par un personnage introverti.
Un peu de définition
Social Caterpillar envisage l’introversion telle qu’elle est définie par la Myers & Briggs Foundation, elle-même s’inspirant des travaux de Carl Gustav Jung. Il ne s’agit pas de timidité, comme on le pense souvent, ce qui renverrait à une sorte de peur de l’extérieur. Il s’agit plutôt d’une façon de se ressourcer : l’introverti tire son énergie psychique de son monde intérieur, se sent plus à l’aise en pratiquant des activités solitaires et en prenant le temps de réfléchir, d’analyser. L’extérieur est donc vécu comme un monde à comprendre, un monde qui pompe de l’énergie, et par conséquent un monde dans lequel il est difficile d’évoluer. Durant environ une heure de jeu, Social Caterpillar tente de matérialiser tout ça, à travers un gamedesign franchement intéressant.
Doux monde intérieur
Le joueur incarne donc un personnage introverti, dont l’énergie psychique est matérialisée par une barre de Stamina, qui représente en quelque sorte l’envie, mais aussi la capacité à sortir de chez soi, à aller à la rencontre du monde extérieur, à s’adonner à des activités sociales telles que le chat internet, la discussion avec ses parents, le jeu de société avec ses amis… bref, des activités banales, mais qui requièrent néanmoins un effort pour l’introverti, sapent son énergie et le force, une fois la barre de Stamina vidée, à s’isoler dans sa chambre pour se ressourcer (ici en jouant à des jeux vidéo, mais cela n’est en rien caricatural ou péjoratif, ç’aurait très bien pu être en lisant ou en classant des timbres, simplement Social Caterpillar étant un jeu vidéo, cet élément est forcément parlant pour le joueur).
Chaque pièce traversée diminue la barre de Stamina, comme si l’éloignement du lieu sanctuaire (la chambre) nous fragilisait. A l’inverse, elle se remplit lorsqu’on retourne sur nos pas et qu’on s’en rapproche à nouveau. Le jeu fait également intervenir directement notre fameux monde intérieur, par l’intermédiaire d’une voix (intérieure elle aussi), sorte de conscience, qui s’adresse à nous à chaque fois que l’on tente de quitter une pièce pour s’éloigner un peu plus. « Mais… tout ce dont tu as besoin se trouve ici ! », nous murmure-t-elle lorsqu’on quitte la chambre, le gameplay nous forçant alors à ignorer l’avertissement et continuer, ou au contraire à l’écouter et demeurer où nous nous trouvons. Un peu plus loin, lorsque l’on tente de sortir de la maison, la voix revient : « Il n’y a rien d’intéressant dehors ». Très simplement, le jeu exprime l’état d’esprit et la réalité de l’introversion, qui ne craint pas l’extérieur tant qu’elle s’en désintéresse par nature, et ne sait y puiser l’énergie nécessaire à la moindre action.
L’interaction sociale est un puzzle
Chaque pièce du jeu est comme un tableau de jeu vidéo, qui représente un type d’interaction sociale assorti d’un mini-jeu en rapport, prenant la forme d’une communication. Il est intéressant de constater que toutes ces communications se font par l’intermédiaire de signes : pièces de puzzle, formes colorées, billes, smileys… Comme pour mieux représenter le caractère étranger de l’extérieur, l’effort à fournir pour le comprendre et s’y intégrer. Les seules vrais textes du jeu (au sens : écrit alphabétiquement) proviennent de la voix intérieure, donc de son propre monde, seul univers que l’on saisit parfaitement, qui est suffisamment clair et confortable pour qu’on s’y sente à l’aise.
Chaque conversation se présente donc plus ou moins de la même façon : l’interlocuteur émet un symbole ou un ensemble de symboles, et il faut alors répondre celui qui est le mieux adapté, parmi trois proposés. On ne va pas détailler l’ensemble des quinze mini-jeux-conversations proposés pour ne pas gâcher la surprise, mais à chaque fois leur forme se rapporte au fond, en faisant une sorte de métaphore. Ainsi lors d’un chat internet, l’idée est de se conformer à l’opinion générale en utilisant des symboles ressemblant à ceux de l’interlocuteur, plutôt qu’en trollant à coups de hors-sujets négatifs. Les conversations avec ses parents, elles, prennent la forme de pièces de puzzle, dont les formes qui s’emboîtent rappellent les liens familiaux, qui ne se trouvent pas toujours.
Où le gamedesign va peut-être un peu loin
En somme, Social Caterpillar dépeint l’interaction sociale comme un élément essentiellement analytique, ce qui n’est pas inintéressant, mais constitue certainement un effet de bord non souhaité de son gamedesign. Car si le message du jeu est clairement d’attirer l’attention sur l’introversion de façon bienveillante, en aidant le personnage à se dépasser (après tout, le monde requiert du contact, et trouver l’amour ne peut se faire qu’à l’extérieur de soi), la représentation de l’interaction sociale sous la forme de mini-jeux de logique peut poser problème. Bien sûr, dans un sens cela signifie que ce n’est pas si difficile, qu’il suffit d’essayer, voire de réessayer pour y arriver (notons d’ailleurs que les conversations sont invariables : il s’agit toujours des mêmes réponses à donner dans le même ordre, ce qui abolit toute difficulté dès lors qu’on se contente de réessayer). Mais d’un autre côté, on ne peut s’empêcher de remarquer que cette représentation est très proche de la façon dont sont présentées nombre de questions d’un test de QI, et qu’en ce sens l’échec dans l’interaction sociale relèverait d’une certaine forme de stupidité. Nul doute que ce n’est pas là l’intention de l’auteur. C’est peut-être d’ailleurs pour cela que le jeu est facile : pour évacuer le cas du joueur bloqué et donc renvoyé à l’état d’idiot, pour véhiculer un message plutôt porteur d’espoir. Essayer, c’est presque déjà réussir.
Toujours à propos de la facilité et des effets de bord du gamedesign : que conclure de la répétitivité invariable des conversations ? Chaque personne n’a-t-elle véritablement qu’une chose à dire, une chose toujours dite de la même façon ? Et si oui, finalement quel est l’intérêt de converser ? Quelle raison l’introverti a-t-il d’entrer en interaction sociale, si cette dernière est de toute façon prédéterminée ? En somme, cette mécanique de jeu qui visait à exalter son essai ne finit-elle pas par pointer l’inutilité de la conversation ? Un point vient légèrement tempérer cette remarque : le fait que quelques (rares) symboles nécessaires à la réussite d’une conversation ne sont parfois pas disponibles d’emblée. Pour les obtenir, il faudra réussir d’autres conversations. En d’autres termes, la solution d’une discussion peut se trouver dans une autre discussion, l’interaction sociale prenant donc sens dans son côté pluriel.
Social Caterpillar est une expérience assez singulière pleine d’intérêt, qui aborde un sujet finalement peu traité, à travers un gamedesign intelligent, dont même les défauts font réfléchir. Une petite perle à faire, tant pour le message que pour la construction.