Pour son premier jeu, le studio White Paper Games annonce clairement des ambitions. Un scénario qui entend explorer les souvenirs des gens, des environnements ouverts, un gamedesign atypique et une direction artistique convaincante, voilà de bien belles promesses. Ether One parvient-il à les tenir ?
Ambiance et narration
Ether One part d’un postulat scénaristique qui a de quoi captiver : il met en scène un univers alternatif, dans lequel une technologie permet de plonger à l’intérieur des souvenirs d’une personne, ceci à des fins médicales. Le procédé est en effet utilisé pour aider des patients atteints de démence à retrouver les souvenirs, les traumatismes qui les ont menés à ce triste état. Le joueur incarne un Restorer, un individu plongeant justement dans les mémoires.
Le jeu nous prend à contre-pied dès la fin de l’intro : alors que cette dernière présente l’institut technologique Ether dans une ambiance rétro-SF, le jeu lui-même prend place dans des souvenirs beaucoup moins originaux, puisqu’ils nous feront explorer la ville portuaire de Pinwheel. Une petite ville du milieu du XXè siècle avec ses maisons de pierre et de bois, près de laquelle se trouve une mine, principale pourvoyeuse d’emplois de la région. En dépit de son pitch, Ether One ne transpire pas la SF, mais distille soigneusement cet aspect à travers sa narration, principal point fort du jeu.
L’histoire se dévoile par le biais de plusieurs éléments. Il y a d’abord l’histoire de la patiente dont on explore les souvenirs. Pinwheel est déserte, mais partout on y décèle des traces de vie : les environnements sont ouverts et l’on peut entrer à sa guise dans les maisons, trouver des éviers plein de vaisselle, des jouets d’enfant semblant attendre qu’on les reprenne en main, un feu dans une cheminée, un pique-nique comme suspendu dans le temps… et des notes, des journaux, témoins de cette vie qu’on ne peut plus qu’imaginer et reconstituer. A travers son exploration, le joueur s’approprie la ville, fait connaissance avec les habitants par l’intermédiaire de leurs messages, comprend peu à peu ce qui s’y est passé. Rien d’incroyable, d’ailleurs : Ether One n’entend pas verser dans le fantastique ou l’invraisemblable mais opte pour un sujet plus sobre ; il est question ici de problèmes dans la mine, de la nécessité de fermer cette dernière, de relation entre les gens.
La bande-son et le travail graphique, ainsi que cette étrange solitude au milieu de toutes ces traces du passé, forment une ambiance calme et hypnotisante, motivant le joueur à avancer, à fouiller les moindres recoins. Le principe de narration à travers l’exploration est repris dans la méta-histoire, celle du Restorer et de la technicienne qui lui parle régulièrement, voix omniprésente sans qu’on puisse jamais voir celle à qui elle appartient. Des nœuds rouge sont en effet disséminés dans chaque zone de jeu, et les trouver permet en quelque sorte de réparer les souvenirs, de provoquer l’avancée purement scénaristique du jeu, en d’autres terme de valider l’avancée du travail du Restorer. On n’en dévoilera pas plus sur l’histoire pour ne rien spoiler, mais elle parvient, tout en demeurant relativement sobre, à captiver le joueur en nimbant son propos de mystères et de moments touchants.
Un gamedesign qui laisse le choix au joueur
En termes de gameplay, Ether One joue les métamorphes. Il se présente tout d’abord comme un point’n click à la première personne. Le jeu est en effet parsemé d’énigmes à résoudre, d’objets à collecter pour les utiliser dans le lieu qui convient. On notera au passage un choix étrange et contestable : le personnage ne peut avoir qu’un seul objet en main à la fois, et plutôt que de gérer un inventaire de façon classique, il faut stocker le reste des objets trouvés dans une pièce spéciale, au sein d’un hub que l’on peut rejoindre à tout moment en pressant une touche. Certes, le passage au hub et le retour à Pinwheel sont instantanés, mais cela rend la gestion des objets bien plus lourde que l’ouverture d’un inventaire directement accessible. Il faut toutefois reconnaître que ce système met en valeur les objets trouvés, qui sont stockés manuellement par le joueur sur des étagères prévues à cet effet, comme autant de témoins de l’exploration de la ville. Ils sont d’ailleurs la plupart du temps inutiles à l’avancée dans le jeu, et leur rôle est généralement plus narratif que ludique.
Régulièrement, le joueur tombera sur des projecteurs brisés, qu’il faudra réparer en résolvant les énigmes de la zone où ils se trouvent. Ces dernières sont discrètes, dans la mesure où rien ne vient clairement signifier leur présence au joueur. Encore une fois, c’est à lui d’explorer, et d’explorer encore pour dénicher les indices qui lui permettront de résoudre les différents puzzles, et ainsi réparer les projecteurs – qui le récompenseront par une petite séquence mettant en lumière un élément du background.
L’un des coups de génie d’Ether One est d’avoir rendu tous ces puzzles impliquant les projecteurs complètement facultatifs. Non pas qu’ils soient inintéressants ou mal fichus, mais leur côté vague, laissant le joueur faire tout le travail, amène à prendre le risque de casser le rythme du jeu. Un risque important lorsqu’on porte une telle importance à la narration. White Paper Games a donc décidé de faire lorgner son jeu sur le First Person Walker : il est tout à fait possible de terminer le jeu en se contentant de récupérer tous les nœuds rouge, et d’avancer ainsi dans l’histoire sans se préoccuper des projecteurs (cela impliquera tout de même d’explorer Pinwheel méticuleusement). Les amateurs d’histoire ne souhaitant pas s’arracher les cheveux seront donc servis, tandis que les afficionados de challenge et de complétion pourront s’attarder sur les puzzles pour profiter de toutes les subtilités du jeu.
Ether One est une expérience singulière, à la fois narrative et contemplative, qui fait la part belle à l’exploration. Tout en sobriété, le jeu dévoile d’intéressantes idées dans son gamedesign, s’adaptant naturellement aux envies des joueurs, et dans son scénario, mature et efficace. Un joli moment.