Il aura fallu attendre deux mois pour voir enfin débarquer le troisième volet de la saga de Telltale, inspirée par les comics de Bill Willingham. Une attente bien longue pour les joueurs qui avaient mené Bigby à la fin de l’acte précédent, qui se concluait évidemment par une révélation ne pouvant engendrer qu’une seule chose : l’envie de continuer. Voyons ce que donne ce nouvel opus. Garanti sans spoiler.
Telltale tombe le masque
Sans revenir en détail sur l’histoire, les deux premiers épisodes de The Wolf Among Us avaient sans conteste réussi leur pari : la série de Telltale s’est rapidement imposée grâce à l’univers original de Fables, son ambiance sombre et mature, son orientation policière, sa narration travaillée et son couple gameplay/gamedesign repiqué de l’étalon The Walking Dead. Les personnages secondaires se succèdent, chacun apportant sa petite touche personnelle et décalée, et l’intrigue parvient à captiver grâce à des montées en puissance agrémentées de mystère. Seulement voilà : maintenir le rythme n’est pas chose aisée, et ce troisième volet des aventures de Bigby commence à montrer les limites de Telltale.
On n’y peut rien, mais l’écriture d’une série est assujettie à la loi du cliffhanger. Il faut qu’un épisode se termine sur une révélation marquante, un rebondissement inattendu d’importance, qui force le joueur ou le spectateur à consommer la suite du produit (car on peut bien parler de produit : il s’agit là d’une loi purement marketing). C’est malheureux dans le sens où cela formate l’écriture et la construction de la plupart des œuvres du genre, tant dans le fond que dans la forme. The Wolf Among Us respecte cette loi, et ses deux premiers opus s’achevaient donc chacun sur un cliffhanger haletant. Le hic, c’est que comme pour l’épisode précédent, Telltale désamorce ce cliffhanger en utilisant des clichés scénaristiques assez grossiers. Et c’est là tout le problème que met en évidence A Crooked Mile : maintenant que la phase de découverte de l’univers est passée, maintenant que les bases de l’histoire ont été intégrées, le joueur se rend compte que le masque séduisant de The Wolf Among Us ne parvient plus qu’à grand peine à cacher ses lacunes.
Des lacunes multiples
Nous sommes à la moitié de la saison, et il devient préoccupant de constater que l’univers dépeint n’a finalement que peu d’intérêt : à quoi sert le fait d’avoir Blanche-Neige, ou Le Grand Méchant Loup, ou Barbe-Bleue dans cette histoire ? Certes, on retrouve çà et là un point de caractère ou de background de ces personnages classiques. Mais… pour quoi faire ? Le monde de The Wolf Among Us n’a en réalité rien de particulier, et sa touche fantastique aurait très bien pu s’accommoder de personnages entièrement nouveaux, plutôt que de pensionnaires de contes. En l’état, l’univers semble presque gratuit, construit autour d’une idée de décalage qui ne va pas plus loin que son statut d’idée. Malheureusement, si ce n’est pas dramatique en soi, ce schéma d’idée non exploitée (ou mal exploitée) se retrouve à tous les niveaux.
Si jusqu’ici l’aspect découverte permettait d’accepter ce qu’on nous proposait sans se poser de question, il devient donc difficile de ne pas déceler les poncifs scénaristiques qui mènent l’intrigue. Les personnages qui ne sont pas ce qu’ils semblaient être, les petits secrets, l’existence d’une engeance inconnue qui tire les ficelles en coulisse… Les ressorts de l’histoire font dans le vu et revu, et les protagonistes ne sont pas suffisamment originaux ou charismatiques pour compenser. On pourrait passer outre pour bon nombre de jeux, mais voilà : The Wolf Among Us est une aventure narrative avant tout, et y retrouver aussi ostensiblement des schémas narratifs éculés est pour le moins problématique.
Pire, certaines séquences peinent à s’inclure de façon fluide à l’ensemble du récit. Ainsi, Bigby est amené dans cet opus à croiser une vieille dame. Si la séquence en elle-même est sans doute la plus intéressante de l’épisode (notamment parce qu’elle aborde une question purement morale), elle cadre mal avec l’ensemble, comme si elle y avait été ajoutée indépendamment du reste. A bien des égards, A Crooked Mile semble avoir été écrit trop vite, sans prendre le temps de régler les détails et de fignoler la finition. L’aventure n’en est pas pour autant déplaisante, mais elle n’a plus grand-chose de remarquable.
Un gameplay problématique
L’autre problème mis en évidence par ce troisième épisode concerne le gameplay. Tout d’abord, il ne s’intègre pas bien avec les éléments du scénario. A Crooked Mile met en effet en scène une course contre la montre, introduit une notion d’urgence dans l’enquête de Bigby. Or, ce sentiment d’urgence n’est absolument pas ressenti par le joueur, libre de prendre son temps comme bon lui semble sans que cela ait la moindre répercussion sur la suite. Certes, il ne sera possible de visiter que deux lieux d’investigation sur trois lors d’une même partie, et il y a des différences notables selon qu’un lieu est visité en premier ou en second, ce qui est appréciable. Mais la course contre la montre n’est aucunement mise en scène à travers le gameplay, et flâner ou aller à l’essentiel ne changera rien, ce qui nuit à la narration, qui ne fait plus sens.
On note également une certaine mollesse dans le gameplay, qui pose problème en particulier lors de la séquence finale : alors que la tension atteint son point d’orgue et qu’une réaction explosive se déclenche, le rythme est complètement gâché par la lourdeur du gameplay, qui hache la scène et la rend poussive. C’est d’autant plus dommage que cette dernière introduit un personnage charismatique qui permettait presque à l’épisode de se clore sur une bonne impression (malgré un nouveau rebondissement scénaristique vu mille fois), ainsi qu’un choix drastique qui devrait avoir de vraies conséquences par la suite.
A Crooked Mile est donc une déception. Telltale donne l’impression de ne plus trop savoir ni où il va, ni comment. Est-ce à dire que le jeu est à jeter ? Non. On prend malgré tout plaisir à le parcourir, la déception étant simplement à la hauteur des ambitions et des espoirs suscités par les premiers volets. Il reste encore deux épisodes à Telltale pour corriger le tir et retrouver de sa superbe. Gageons que le prochain épisode saura faire mentir cet article.