Une rupture amoureuse n’est jamais facile. Mais lorsqu’on ne la comprend pas, lorsqu’on la subit sans l’avoir vue venir, lorsqu’on ne parvient pas à s’en détacher, à passer à autre chose, elle s’insinue en nous et nous paralyse. Bienvenue dans The Unnamed Feeling, une expérience gratuite sous forme de fiction interactive à ne pas mettre entre toutes les mains.
Repli sur soi
Le sujet de The Unnamed est dur, sur le fond et la forme. Quoi de plus normal ? La cassure brusque d’un relation transforme l’amour en haine, les sentiments se mélangent, bouillonnent, pour donner… quoi, au juste ? A force d’essayer de comprendre, à force de se remettre en question, ou pas, de se focaliser sur ce qui a compté, ou non, l’on ne sait plus très bien où l’on en est, comment qualifier ce sentiment qui reste, qui demeure et prédomine. On oscille entre la haine de l’autre et de soi, le désespoir, la rage, l’apathie, l’envie d‘en finir, même. Tous ces sentiments sont abordés de façon franche, crue, et l’ensemble est à déconseiller aux personnes trop sensibles, particulièrement si elles se sont déjà trouvées dans une telle situation.
The Unnamed Feeling utilise l’apostrophe (« you ») : le jeu s’adresse directement au joueur, qui en est le personnage principal. En ne s’attardant pas vraiment sur le background, sur le détail de la relation amoureuse comme l’ex-partenaire amoureux, le jeu favorise d’autant plus l’identification et l’implication du joueur. C’est sans doute là sa plus grande réussite : en se dégageant en partie d’une certaine forme de roleplay imposé, le jeu amène le joueur à se jouer en quelque sorte lui-même, et de ce fait à s’explorer à travers les différents choix qu’il sera amené à faire. Etant donné la nature du sujet abordé, cela rend l’expérience à la fois plus intimiste et plus intéressante. Dommage toutefois que transparaissent çà et là des éléments venant quelque peu briser cette identification, lorsque le jeu fait directement référence à des œuvres culturelles en leur adjoignant un jugement qui n’est pas forcément celui du joueur (lorsque, cherchant à se détendre, on choisit un jeu vidéo ou un film à regarder). Il eût été préférable dans ces cas de se passer de la nomination des œuvres en question, afin de ne garder que l’idée de leur ressenti.
Un gameplay minimaliste mais intéressant
Le rythme de la narration se construit en suivant le processus de pensée du personnage : les phrases et les textes sont courts, les idées sont ressassées, pour bien marquer le piétinement, la difficulté à surmonter l’épreuve, à aller de l’avant. Certains textes se dévoilent petit à petit, en introduisant des étapes qui permettent de faire monter la pression, en général sous forme de haine ou de désespoir.
Forcément, s’agissant d’une aventure textuelle, le gameplay est limité et tient à des choix proposés régulièrement. Pourtant, la mise en forme de ce gameplay minimaliste offre quelques bonnes idées. Ainsi par un simple jeu de ponctuation l’on sait si la réponse sur laquelle on clique correspond à un dialogue (utilisation de guillemets), une pensée (utilisation d’apostrophes) ou un simple lien narratif vers la suite de l’histoire. Par ailleurs, le jeu assume pleinement son statut en affichant clairement certaines options, alors même qu’elles ne sont pas sélectionnables à cause de choix précédemment effectués (elles sont alors visibles, mais barrées). De la même façon, une fois parvenu à la fin du jeu, ce dernier indique clairement le numéro de la fin atteinte, sur un total de huit. Ces fenêtres ouvertes sur d’autres possibilités sont non seulement une invitation à parcourir à nouveau The Unnamed Feeling pour en découvrir tous les aspects, mais sur le fond c’est également un moyen de rappeler (au-delà du jeu) qu’il existe d’autres alternatives, d’autres issues. Que les réactions que l’on peut avoir à la suite d’un évènement aussi difficile qu’une rupture abrupte pourraient être différentes et que ces différences reposent finalement sur une seule chose : les choix que l’on fait.
The Unnamed Feeling est donc une expérience intéressante, autant pour le jeu que pour soi. On pourra regretter une qualité d’écriture variable, qui abuse parfois des clichés et joue un peu facilement la carte de la subversion, mais la construction globale accroche, grâce à un rythme maîtrisé et un sujet inhabituel et mature. A noter que le jeu est également disponible en « payez ce que vous voulez » à cette adresse (ce qui donne la possibilité d’y jouer offline).