Quand Petter Ljungqvist (ne me le faites pas prononcer) ne fait pas le professeur, il fait des jeux vidéo, et des point and click avec ça. C’est quelqu’un de bien forcément, et suédois de surcroît. Tout seul comme un grand, avec l’aide de la communauté AGS et une certaine Nellie Neely à la musique, il confectionnera avec amour The Samaritan Paradox, son premier travail en la matière, avec une histoire se voulant l’héritière d’un mélange peu orthodoxe entre du Stieg Larsson (la trilogie Millénium) et les frères Grimm. Le programme promet d’être intéressant.
Ord. Ord Salamon.
Suède. Quelque part dans les années 80. Ord Salamon a le blues. Sa vie amoureuse est au point mort. Sa vie professionnelle n’est guère mieux. Sa thèse n’avance pas, et il ne pense qu’à résoudre le moindre rébus qui oserait croiser son regard. Il est cryptologue, donc c’est un peu sa tasse d’aquavit. Son ami Magnus le pousse pourtant à lire le roman qu’il lui a offert, le dernier du très décédé Jonatan Bergwall, plus réputé pour son journalisme que sa littérature.
On ne change pas une mauvaise habitude facilement, et, Ord remarque alors immédiatement à sa lecture, un message caché qui semble destiné à la fille de Jonatan Bergwall. N’arrivant de toute façon pas à finaliser sa thèse, il décide de contacter cette dernière. Sara est son prénom, et elle lui demandera de déchiffrer cette ultime énigme laissée par son père en échange de la moitié d’une fortune à laquelle elle les mènerait.
Ord aura fort à faire face à cette famille aussi prestigieuse que compliquée, avec une jeune femme un peu perdue, des relations de toute évidence compliquées avec son père, ou encore sa mère atteinte du syndrome d’Alzheimer, alors que peu à peu se dévoilera derrière ce qui ne devait être qu’une chasse au trésor, un trafic d’armes et sans doute bien plus de choses encore.
Pourtant parfaitement ancré dans le réel, The Samaritan Paradox se permettra même de nous transporter le temps de la lecture des trois chapitres du livre caché de Jonatan Bergwall, dans un conte fantastique qui agira comme une espèce de mise en miroir du monde réel.
Un air de déjà vu
The Samaritan Paradox, que cela soit par son allure aussi bien que ses choix scénaristiques, me rappelle instantanément les jeux de Wadjet Eye. Je m’égare sans doute, car je pourrai aussi bien dire qu’il renvoie à n’importe lequel des jeux d’aventure d’une époque presque trop lointaine, comme Gabriel Knight ou Dig. De la même manière jusqu’au-boutiste, il est l’expression naturelle de l’envie de son créateur d’offrir son point and click tel qu’on pouvait les faire à l’époque.
Tournant d’ailleurs sur le même moteur que les Blackwell, l’Adventure Game Studio ou AGS pour les intimes, on y retrouve le même ressenti que sur la plupart des jeux qui sortent dessus. Il faut avouer que la communauté qui gravite autour de ce moteur a une sérieuse tendance à vouloir vivre et revivre le passé, ce qui n’est pas une tare, bien au contraire quand cela est bien fait.
Blackwell Epiphany a su montrer le meilleur de ce petit univers, mais que peut-on attendre de The Samaritan Paradox ? Il s’agit du premier jeu de Petter Ljungqvist, et j’avouerai immédiatement que cet homme ne s’est pas trompé. Bien évidemment tout n’est pas parfait, mais si c’est exactement un jeu d’aventure de la vieille école que vous recherchez, il y a des chances que ce jeu venu du froid vous plaise à son tour.
Fondamentalement, il sera difficile de se sentir perdu. On retrouve l’indigent inventaire qui nous fait vouloir la même veste que notre héros vu la taille que ses poches doivent avoir. On associe, on observe, Ord fera à l’occasion une remarque pertinente, et on résout des énigmes à la volée, même si cette fois-ci, cela risque d’être un peu plus dur que d’habitude. Notre samaritain reste dans la mesure du possible le plus logique et plausible possible en ce qui concerne ses puzzles, mais on constatera que pour une fois, il y a une certaine difficulté qui pousse à la réflexion.
Comme toute cette histoire se passe dans les années 80, Ord n’a pas de smartphone pour l’aider, mais un bon vieux calepin, un peu comme notre Rosa Blackwell. Relativement linéaire et proposant peu ou pas de chemins alternatifs, il faudra simplement poser les bonnes questions, et associer les bons objets entre eux. La difficulté viendra surtout du nombre d’intervenants, que cela soit le nombre de personnages, d’objets ou de notes dans le fameux calepin. Le tout forme un ensemble de possibilités qui font que l’on passe parfois beaucoup de temps à trouver la combinaison qui fonctionnera.
Dernier chapitre
The Samaritan Paradox souffre bien évidemment de quelques petites erreurs de jeunesse. Parmi les plus superficielles, il y a celle liées à son moteur un peu capricieux qui n’apprécie pas toujours les retours sur le bureau. D’un autre côté, il y a celles d‘une ergonomie parfois boiteuse, notamment avec un menu d’inventaire qui apparaît subitement pour peu que vous ameniez le curseur de la souris dans sa direction, en bas de l’écran, ce qui peut devenir très vite énervant quand on essaye de cliquer, au pixel près, sur la sortie. C’est bénin, mais c’est tout comme l’obligation de déplacer Ord quand il est devant un objet si l’on veut interagir avec, car notre héros est lui-même cliquable, et par conséquent, il peut gêner. Mais tout cela reste en fin de compte bien secondaire. En effet, ce jeu arrive à nous donner l’essentiel, c’est à dire une bonne histoire et de solides énigmes.
Si l’enrobage est rétro, les mécanismes aussi. Je dois avouer ne pas avoir eu autant de mal depuis bien longtemps avec les énigmes d’un jeu d’aventure comme ce fut le cas ici. Retorses, j’ai du me triturer les méninges à bien des reprises pour en venir à bout. Comptez d’ailleurs environ sept bonnes heures, si ce n’est plus, pour le terminer une première fois, ou moins si vous avez de la matière grise à revendre. Vous savez ce que c’est avec ce genre de jeu, vous retirez les dialogues, vous connaissez les solutions, et ils se terminent en un battement de cœur.
D’un bout à l’autre, notre paradoxe du samaritain jouit d’une esthétique sobre tout autant que ses acteurs jouent tout en retenue. Le ton est dans son ensemble délicat, et il y a assez peu de passages tonitruants, si ce n’est à la toute fin alors que les masques tombent, malheureusement trop vite. Jusque-là, Faravid avait réussi à raconter deux histoires en une seule. Il y a tout d’abord celle de Ord et de Sara. Ord va découvrir en elle une jeune femme fragile. En recherchant le trésor familial, il fera la connaissance de Signe, la mère malade de Sara, et, dans sa quête des trois chapitres du livre posthume de Jonatan Bergwall, il apprendra bien des choses sur une famille meurtrie et déchirée par un drame personnel.
Les chapitres en question sont l’occasion pour le joueur de rentrer dans une sorte de jeu dans le jeu. Fonctionnant avec les mêmes règles, il s’agit pourtant d’une histoire bien à part même si en fin de compte un lien se fera inévitablement avec le drame familial évoqué plus haut. Cette histoire alternative est celle de Freja, une jeune femme échouée sur une île qui devra se jouer d’un dragon pour espérer survivre. Vous en prendrez le contrôle le temps que son voyage durera. La possibilité d’alterner entre Freja et Ord est une initiative rafraîchissante, et de toute façon obligatoire, car sans ça, vous ne pourrez pas mener les aventures de Ord à leur terme.
The Samaritan Paradox, pour un premier jeu, s’en sort avec les honneurs. Si je dois émettre un bémol, cela serait sur une fin trop rapidement expédiée et convenue sur certains points, et, sur des méchants assez peu développés, alors que pourtant nous touchions du doigt un problème important qui sera comme résolu par un semblant de deus ex machina. Son intrigue reste tout de même dans son ensemble convaincante, suffisamment pour intéresser les amateurs que nous sommes. Le conte de l’héroïne Freja constitue par ailleurs un échappatoire à l’histoire principale tout en trouvant sens lors du dénouement final. Il est difficile, intéressant et abordable, il serait donc bête de passer à côté de ce jeu.