Il fut un temps où l’épique impliquait des dragons, des conquêtes militaires, un danger menaçant la Terre et l’humanité, un élu, de la magie et un niveau 99. Mais pourquoi aller chercher si loin, après tout ? Développé par Vagabond Dog, Always Sometimes Monsters entend montrer que l’épique, le vrai, est celui de tous les jours. Adieu l’heroic-fantasy, bonjour l’heroic-quotidien.
Le nouveau « RPG »
Always Sometimes Monsters fait partie d’un mouvement relativement nouveau, utilisant l’esthétique du RPG 16 bits et le concept essentiellement rôliste du choix (moral, scénaristique) pour donner naissance à une sorte d’hybride entre le RPG et le visual novel. Ce mouvement s’inscrit généralement dans un contexte contemporain, souvent « réaliste », et entend aborder des thèmes proches de nous, des problématiques sociales ou éthiques, en mettant l’accent sur le ressenti, l’émotion. Ainsi le Always Sometimes Monsters rappelle fortement des titres tels que To the Moon ou Actual Sunlight.
Il s’agit donc d’un jeu d’aventure contemporaine sur fond de drame social. On y incarne un personnage ayant vécu une difficile séparation, peinant à joindre les deux bouts et pour tout dire sur le point d’être jeté à la rue. Il (ou elle, le choix du personnage principal est laissé au joueur) apprend bientôt que son ex se marie, et décide de se rendre à San Verdano pour assister à la cérémonie, ou peut-être tenter de regagner le cœur de son ancien amour. S’engage alors une sorte de course contre la montre : San Verdano se trouve à l’autre bout du pays, et il va falloir gagner de quoi se payer le voyage alors que les poches sont vides.
On trouve dans Always Sometimes Monsters de très bonnes idées. L’illustration du quotidien y est globalement intéressante, mettant en scène une quête de l’amour plutôt noble rattrapée par le besoin de gagner l’argent nécessaire au voyage, entraînant de fait une quête bien plus pragmatique de money grinding. C’est d’ailleurs sans doute le principal constat du jeu : l’argent est le moyen de toute chose dans la vie, on en définitive on ne fait que passer son temps à chercher à en gagner, quitte à parfois laisser sa morale de côté. Les moyens d’abord, les idéaux ensuite.
Le jeu s’étale au travers de multiples histoires qui ponctuent l’avancée, abordant différents thèmes comme l’addiction, le suicide, la foi, la corruption… S’il est parfois possible de gagner quelques dollars à travers ces événements scénaristiques, il est également possible de prendre un job en intérim et de travailler à la chaîne pour accumuler les précieux billets. On a alors droit à des séquences plutôt réussies de gameplay répétitif et suffisamment long pour illustrer la pénibilité du « travail alimentaire ». On notera toutefois qu’il n’y a pas de véritable recherche du travail (celui-ci étant de toute façon disponible), ni même la queue dans les centres d’intérim. Le chômage échappe donc à l’éventail des maux traités par le jeu. Le salaire n’est plus alors qu’affaire de volonté : le travail n’est pas intéressant mais il est là, et porte ses fruits pour peu qu’on accepte de s’y adonner de façon répétitive. Cela renvoie à la construction même du jeu et à son gameplay : il s’agit de faire des choix et d’accepter leur pénibilité, qu’elle soit morale ou physique. Qu’est-on prêt à faire pour atteindre l’objectif que l’on s’est fixé ?
Pas si nouveau, en fait
Always Sometimes Monsters souffre pourtant de plusieurs défauts. Tout d’abord, sa structure répétitive : le voyage vers San Verdano se fait en plusieurs étapes, chacune se déroulant de la même façon. Pour se rendre dans une ville il faut acheter un ticket de bus, et donc gagner de l’argent à travers les espèces de missions scénaristiques et/ou les missions d’intérim. On peut alors se rendre dans la ville en question… et recommencer. On a alors le sentiment de passer d’une séquence à l’autre sans qu’un véritable lien se créé, et l’enchaînement paraît n’être qu’une volonté de juxtaposer les sujet sensibles. Pour reprendre les exemples cités plus haut, la force de To the Moon ou Actual Sunlight réside dans une qualité d’écriture et de mise en scène qui transporte le joueur et lui fait vivre une expérience forte. Always Sometimes Monsters est malheureusement dépourvu de ces qualités narratives. Il y a bien quelques moments marquants, mais globalement la répétitivité, couplée à une écriture très quelconque, empêche de prendre à cœur ce qui se passe. On ne sent guère impliqué dans les choix proposés (sauf vers la fin du jeu), et les conséquences sont oubliées sitôt qu’elles se sont produites, quand bien même elles sont parfois dramatiques.
Pire, le jeu tombe dans les travers du RPG classique, en voulant manifestement proposer une durée de vie conséquente (compter environ une dizaine d’heures, là où To the Moon et Actual Sunlight proposent une expérience bien plus courte). Résultat : on a souvent le sentiment d’avoir affaire à du remplissage, avec des sortes de quêtes annexes sans intérêt qui fragilisent l’immersion (mention spéciale aux petits vieux qui nous envoient acheter du bois pour faire cuire des œufs au bacon), et un game design général qui pousse à grinder de l’argent comme on ferait du level-up (certes, il y a là du sens et on comprend le message… mais on le comprend dès la première fois, et l’illustration de la pénibilité finit par n’être plus qu’artificielle par la suite). Et lorsque ce ne sont pas les creux d’intensité qui se dressent devant le joueur, c’est parfois une franche maladresse dans la mise en scène, comme cette course de voitures au drama exagéré et à la conclusion morale plutôt niaise (du moins en termes d’écriture).
Conclusion
Plein de promesses et possédant un potentiel indéniable, Always Sometimes Monsters ne parvient pas à véritablement convaincre, malgré une certaine réussite dans le côté « choix et conséquences ». Trop peu d’intensité, trop peu d’émotion alors que ces notions sont au cœur du jeu, les qualités narratives du titre ne sont clairement pas à la hauteur de ses ambitions. A trop vouloir en faire (toutes les petites histoires avec leur thème « mature » chacune), le jeu se perd et finit par ennuyer le joueur, qui n’en voit pas le bout. Dommage, car les idées étaient là.