C’est devenu une habitude, mais le Ludum Dare est souvent l’occasion de voir des concepts de jeux devenir par la suite de véritables titres complets et réalisés de façon professionnelle. Quant on a une bonne idée, on se doit de s’y tenir fermement. C’est le cas de Gods Will Be Watching qui fit sensation lors de la 26ème édition de cet évènement de plus en plus réputé. Alors, quand un éditeur comme Devolver Digital – qui étonne par ses choix éclectiques et les risques que cela représente – décide d’être derrière Deconstructeam, on écoute ce qu’ils essayent de nous raconter.
Entre les mains des Dieux
Je n’ai jamais essayé le prototype de Gods Will Be Watching du Ludum Dare, tout en le suivant d’une oreille et d’un oeil attentifs. C’est donc relativement vierge de tout à priori et d’attentes que je me suis engagé dans la plus frustrante et l’une des plus intéressante aventure que j’ai pu avoir avec un point and click à ce jour. Sachez-le, il n’est pas à mettre entre toutes les mains, car difficile il est, cheveux arrachés vous aurez.
Cette aventure est celle de plusieurs personnes qui vont se croiser, se confronter, s’entraider et se faire du mal. On y retrouve quelques scientifiques, un ingénieur, un robot multitâches, et d’anciens soldats. A la petite sauterie s’inviteront également les rebelles de Xenolifer. Mais si on devait désigner un héros, un rôle principal, celui-ci serait en partie tenu par le Sergent Burden. C’est intriguant et peut-être révélateur pour la suite, mais burden en anglais veut dire fardeau. Quoiqu’il en soit, ce qui transparaît, et qui pourrait expliquer certaines scènes particulièrement choquantes, serait que le but non avoué est sans doute d’explorer l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus sombre, et, de plus cruel aussi. On peut comprendre alors la tendance dépressive du sergent Burden qui va devoir en porter des choses sur ses épaules.
Son histoire est donc celle d’un homme qui a toujours vécu par et pour le code militaire. Accomplir sa mission a toujours été une chose naturelle pour lui. Alors quand la Confédération Stellaire fait de lui son ennemi, il se réfugie au sein de la société Everdusk, pacifique et neutre, qui ne semble avoir pour but que de rétablir l’équilibre et la paix. En effet, cet homme va se voir propulser au sein d’une machinerie indomptable et dont le cours de ses actions semble écrit d’avance. Comme si les Dieux avaient fait de lui et des autres les jouets d’un destin incontournable.
Au milieu de tout ce foutoir, il y a pourtant une variable inconnue qui fait garder espoir à notre héros, et cette variable, c’est Liam, le leader de Xenolifer, groupuscule terroriste pour les uns, libérateurs des races aliens opprimées pour les autres, et dont le but est de mettre la main sur un terrible virus du nom de Medusea, pour l’utiliser comme moyen de pression. C’est à partir de là, et d’une prise d’otages musclée, que les choses se mettent en place, et que nous joueur prenons les commandes pour le meilleur et pour le pire.
Je vais soigneusement éviter de trop rentrer dans les détails vis à vis de l’intrigue de Gods Will Be Watching pour ne pas gâcher la moindre surprise d’importance à celles et ceux qui oseront tenter l’expérience. Ce qu’il faudra en retenir par contre, c’est qu’il s’agit là d’un véritable roman de science-fiction comme je les affectionne, y mélangeant des thèmes particulièrement matures flirtant souvent avec une moralité constamment dans le gris.
Il y aura de la mort, de la torture, de la survie en milieu hostile, dans des conditions souvent précaires et dans l’urgence tout au long des sept chapitres que compte le jeu. Des choix cornéliens, qui ne laisseront souvent que peu de temps à la réflexion, seront à prendre à la seconde près. Un peu comme au cirque, il faudra jongler avec une multitude de paramètres dans des espaces-temps très réduits, quitte à laisser quelques balles tomber au sol. Et par balles, je veux dire décider qui devra vivre ou mourir. Quelques sacrifices seront-ils nécessaires au nom du bien commun ? La décision vous appartiendra dans la plupart des cas. Il ne reste qu’à savoir si nos décisions auront une réelle influence sur le cours des évènements.
Danse sur le fil du rasoir
Il ne faut en tout cas pas croire que Gods Will Be Watching se joue comme n’importe quel point and click, dénomination facile et forcément voulue afin de le caser quelque part. J’aurai même envie de dire qu’il redéfinit le genre à sa façon dans une forme quasi expérimentale. Il y a pourtant bel et bien derrière les énormes pixels colorés de ses graphismes, une épopée qui se raconte avec une aisance effrayante en matière de mise en scène, et, parfois des passages assez gores et très difficiles. Ce n’est clairement pas un jeu tout public. Le deuxième chapitre et sa scène de torture devrait vous en convaincre assez rapidement. C’est d’ailleurs totalement étonnant, spécialement avec l’aide d’effets sonores adéquats, de voir à quel point ces petits carrés numériques, presque abstraits, sont capables de transmettre une émotion véritable, sans polygones outranciers par milliers. Ce qui prouve que quand l’intention est bonne, peu importe la forme qu’elle prend, elle vous arrachera toujours les tripes.
Il y a donc sept chapitres, et ils se construisent tous de la même façon. Si je devais imager chacun d’entre eux, je vous dirai de penser à une scène de théâtre. Effectivement, un chapitre est égal à un seul lieu. Ce lieu unique va alors concentrer la totalité de l’action qui va se jouer du début jusqu’à la fin de la pièce. Ils commencent tous de la même façon, par un passage plus ou moins long où ça parle en quantité. Les dialogues ne sont pas doublés, mais très bien écrits et passionnants à eux seuls. Les échanges entre chaque personnages peuvent ainsi donner des choses assez intéressantes. Arrivé au bout, le chapitre se clôt de la même façon qu’il s’est ouvert, c’est à dire beaucoup de textes, de mise en scène et d’échanges dans lesquels le joueur demeure relativement passif.
Le gros de l’action, et par action je veux dire le moment où vous intervenez, souris en main, se situe donc entre les deux phases narratives intenses qui entoure un chapitre. Pourtant là, bien que le contrôle vous soit donné, ça ne ressemble toujours pas à un jeu d’aventure classique. Il faudra pourtant faire preuve d’intuition et résoudre une vaste énigme qui se compose généralement d’une multitude de paramètres qu’il faudra gérer avec une rigueur et une précision hallucinante. Il faut savoir que ce jeu propose deux modes de difficulté. Un premier mode dit original, que les auteurs vous supplient de faire si vous les aimez, ce qui, croyez-moi, ne va pas durer bien longtemps. Le mode facile est pour ceux qui les détestent déjà ou ne tarderont pas à le faire. Car sachez-le, Gods Will Be Watching est d’une difficulté comme je n’en ai jamais vu, spécialement pour un point and click. Rarement j’aurai autant échoué dans un jeu de ce type qu’avec celui-ci. Et même en mode facile, terme fortement galvaudé ici, les échecs peuvent s’accumuler très vite. Du die & retry dans un titre de ce type, fallait le faire !
Tout ça, c’est parce-qu’il ne suffit pas de trouver la bonne combinaison d’objets ou le mot qui débloquera la ligne de dialogue nécessaire à la bonne poursuite de l’aventure. Non, ça serait trop simple. Dans le cas qui nous intéresse ici, chaque chapitre est l’occasion pour ses auteurs de mettre en place une énigme, ou plus exactement une série de problèmes qui forment un tout qui peut soit se résoudre en catastrophe, ou dans la plus grande des réussite pour les meilleurs d’entre nous. De choix moralement compliqués à prendre, on en viendra surtout à se mettre à réfléchir comme une calculette, à faire nos petites statistiques pour déterminer quel solution s’avérera la plus rentable. En quelque sorte, vous devrez abandonner votre humanité et ne pas hésiter par moment à sacrifier quelques compagnons d’infortune pour en sauver le plus grand monde. Pourtant, les développeurs affirment qu’il est possible de réussir chaque chapitre sans perdre un seul individu. Un conseil ? Essayez d’abord de les terminer et on verra ensuite pour optimiser chaque parcours.
Donc voilà, il n’y a pas vraiment de dialogues à choix multiples, ni la nécessité de jouer le psychologue de comptoir pour essayer de comprendre nos semblables et en tirer le meilleur profit pour terminer GWBW. Il s’agit grosso modo de jouer avec des statistiques, et surtout des probabilités. Vous devrez le plus souvent choisir quelle tâche fera chaque personnage. Par exemple, le tout premier chapitre vous met au coeur d’une prise d’otages que vous devrez surveiller. Plutôt que d’essayer de lire en eux au travers de la parole, vous devrez simplement observer leur façon de se tenir, standardisée par ailleurs, donc sans aucune variation subtile pour mettre le doute, qui indiquera s’ils ont peur, sont sur le point de se lever et donc de se rebeller, et je ne sais quoi d’autre encore. Il y a donc très peu de hasard, et le tout fonctionne de façon très codifié à tel point que à terme, il est possible de déterminer des patterns.
C’est un peu comme si vous conduisiez une locomotive à vapeur, où il faut gérer la quantité de charbon, la pression, la vapeur, tout ça de façon très minutée, car le temps y est extrêmement important, le jeu vous faisant payer chaque erreur, ces erreurs arrivant souvent à cause d’un timing tellement serré, que si on manque un rendez-vous, c’est toute la machine qui s’emballe et qui déraille pour de bon.
Verdict final
Mon avis concernant Gods Will Be Watching est véritablement partagé. D’un point de vue narratif, il gère de bout en bout et parvient même à expliquer pourquoi les morts reviennent à la vie au chapitre suivant. Il regorge de petits détails qui font que l’on reste littéralement scotché du début à la fin. Le sergent Burden, son ami Jack, Liam, tous ces personnages et les autres ont une présence incroyable. Burden notamment prend de plus en plus de place. Son importance est subtilement amené jusqu’au final qui révèle définitivement son rôle dans toute cette histoire.
S’il y a bien un aspect incontestable par sa qualité, c’est le scénario, qui malheureusement peut finir par souffrir de l’énorme challenge que représente les mécaniques de ce jeu. Les morts et les échecs à répétition, qui peuvent parfois être vécu comme arbitraires, risquent en effet d’occulter la qualité de son écriture. Cette immense difficulté, limite indécente, peut empêcher le joueur d’apprécier à sa juste valeur ce qu’on essaye de lui raconter. Car il ne s’agit pas d’un jeu où on tire dans tous les sens et où l’histoire serait secondaire, ou tout du moins tout sauf envahissante. C’est justement là où il demeure et reste un jeu d’aventure. Et dans un jeu d’aventure, l’histoire est primordiale et joue un rôle central. Mais ici, condamné à recommencer sans cesse peut finir par l’occulter, surtout quand pour la énième fois, on finit par zapper la totalité des dialogues que l’on déjà lu des dizaines de fois. Pour preuve, les musiques qui accompagnent chaque scène et qui sont magnifiques, ont parfois fini par me taper sur le système à défaut de me transporter dans cet autre monde.
L’autre problème qui m’a turlupiné reste aussi le fait que nos actes n’ont finalement aucune conséquence réelle le chapitre une fois terminé. Alors certes, il y a une explication qui se trouve à la fin, mais le résultat est le même, et c’est sans doute un peu de déception de se dire que nous sommes quand même contraint dans les limites d’un système de jeu lui-même définit par son scénario qui ne laisse rien lui échapper. Ce contrôle permanent que le jeu semble avoir sur nous, ce sont peut-être là ces fameux dieux qui nous surveillent.
Cette répétitivité qui peut s’en dégager peut alors poser problème. Certaines phases de jeu sont aussi moins intéressantes que d’autres. C’est assez inégal de ce côté là. Pourtant, si je devais le recommander, je le recommanderai, car ce n’est clairement pas un jeu comme les autres. Il y a quelque chose en lui qui attire, peut-être les ténèbres ou le plaisir pervers de jouer avec des vies humaines. S’il n’y a pas de répercussions réelles de nos choix, dans l’espace confiné d’un chapitre vous êtes malgré tout le maître de cérémonie et décidez du sort de chacun. Cette liberté se retrouve alors sous forme de pourcentages, encore des statistiques, à la fin de chacun des chapitres, vous permettant ainsi de savoir si vous êtes un bon samaritain, ou le plus sinistre des leaders. Tout ça, et ce sentiment d’urgence permanente, cette incroyable sensation de manquer de temps qui finit par nous étouffer… pour tout cela, Gods Will Be Watching peut largement valoir le coup de souffrir un peu.
Encore un test-fleuve^^
Me demande si la version Ludum Dare peut servir de « demo »: le gameplay n’a pas l’air d’avoir beaucoup changé (la difficulté était déjà présente) et le côté « die & retry » peut quand même bien frustrer pour ce type de jeu… du coup, une démo permettrait d’appréhender/tester ce jeu.
Je n’avais pas fait le niveau du LD en apprenant qu’un jeu complet allait être fait. Sur ce que je sais, le proto correspond à un des niveaux sur sept que compte le jeu final.