Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. Mais dans celui confiné de votre salon, vos voisins vous entendront pleurer. Suivant le renouveau du survival horror, Sega et The Creative Assembly s’attaquent à l’origine de bien des cauchemars et surtout des miens. Créature fascinante il est vrai, le xénomorphe est de retour afin de respecter les traditions familiales. Car cette fois-ci c’est au tour de la fille d’Ellen Ripley, Amanda, d’affronter le monstre qui se terre sous son lit.
Prologue de l’angoisse
Cela faisait un bon moment que l’une des saga de science-fiction et d’horreur les plus connues n’avait pas eu droit à un jeu digne de ce nom. Aliens: Colonial Marines était en effet bien en-dessous du potentiel de celle-ci en omettant d’être un bon jeu. Il fut donc difficile pour les fans d’avoir une dose de flippe xénomorphique de qualité.
The Creative Assembly, principalement connu ces derniers temps pour leurs jeux de stratégie, s’essaye donc avec Alien Isolation à cet exercice périlleux de proposer une expérience qui se devra d’être à la fois satisfaisante et surtout effrayante. N’espérez point de fusil d’assaut ni de grenades explosives, car cette fois-ci vous aurez droit au même niveau de dénuement et d’intimité que dans le film par lequel tout commença.
Cependant, le théâtre de nos aventures ne se limitera pas aux quelques mètres de surface d’un vaisseau de transit. Amanda, incitée par un membre de la Weyland-Yutani, se joindra à une expédition pour récupérer la boîte noire du vaisseau où sa mère officia dans l’espoir de comprendre les raisons de sa disparition. Or, cette boîte noire se trouve sur Sevastopol, une station perdue dans les confins d’un espace peu visité. Ce qui explique l’état de délabrement de cette dernière et le peu de membres à bord, sachant qu’elle était sur le point d’être démantelée faute d’activité suffisante. Sauf que les affaires y ont apparemment très vite repris, à cause notamment de l’arrivée d’un invité inattendu.
Voilà donc Amy au milieu d’un sacré foutoir duquel elle devra se dépêtrer tant bien que mal. Seulement elle n’est qu’un ingénieur et la bagarre, ce n’est pas son train-train habituel. Du coup, c’est son aptitude à bricoler des gadgets qui lui servira. Plutôt que de flinguer de l’étron spatial à coup de mitraillette, la fuite sera bien souvent notre unique porte de salut.
Quoiqu’il en soit, le ton est donné dès le départ. Forcément, une catastrophe arrive et vous sépare du reste de votre équipe. Seul(e), vous voilà obligé de vous débrouiller et d’apprendre à maîtriser votre environnement. A l’appréhender. Même si l’Alien ne vous sautera pas à la gorge immédiatement après avoir mis les pieds dans la station spatiale, l’atmosphère ambiante aura vite fait de vous faire croire le contraire. Prudemment, le joueur apeuré avancera avec beaucoup de précaution sachant déjà ce qui l’attend. Et quand bien même cela ne se révèle pas forcément essentiel au tout début, il s’agit pourtant d’une habitude à prendre le plus tôt possible s’il vous reste un mince espoir de survie.
Héroïne sous haute tension
Le premier contact avec la station est rude. Très vite, le joueur devra comprendre qu’il sera un peu seul dans la bataille. Même si un premier allié vient assez vite faire notre connaissance, n’étant qu’un second rôle très secondaire, sa participation se verra réduite à néant très rapidement lors de notre premier contact avec la forme de vie extra-terrestrement dangereuse qui rôde dans les parages.
Pourtant dans Alien Isolation, la menace n’est pas unique. Elles sont nombreuses en vérité et hiérarchisées. Il est très important de le comprendre, sachant qu’il faudra parfois choisir un mal plutôt qu’un autre. En haut de la chaîne alimentaire se trouve bien évidemment notre xénomorphe préféré. Juste en dessous, on a les Working Joe, pendant sérialisé de Ian Holm qui incarnait l’androïde psychopathe du premier film. En dernier, au bout de la chaîne, pendouillent quelques humains sous-équipés. Le danger que chacun d’entre eux représentent, avec les gadgets d’Amy, les conduits de ventilation et l’environnement en général, font d’Isolation un jeu d’infiltration en nous offrant les outils nécessaires pour contourner la plupart des problèmes se posant à nous.
C’est sans doute aussi la solution la plus viable et la plus simple, la confrontation directe n’étant jamais bonne. Les humains, souvent dotés de revolver, vous tueront en quelques balles. Les Working Joe ne sont pas armés mais étonnamment forts et résistants (et silencieux). Quant à notre alien, il vous dévorera avec sa double mâchoire avant même que vous ayez eu le temps de dire: »Et mer**! ». Il arrivera même que tout ce petit monde soit présent en même temps. En jouant avec finesse, il sera possible de pousser l’Alien à se charger des humains belliqueux vous faisant face il n’y a même pas deux secondes. Par contre, parfois, il faudra choisir de se confronter à eux plutôt que l’Alien. Tout n’est qu’une affaire de choix en définitive. La stratégie à adopter vous appartiendra toujours.
Tout cette joyeuse compagnie non créole aura donc à coeur de vous mettre en tension permanente, même à côté des systèmes de sauvegarde. Car il n’y a ni checkpoints, ni la possibilité de sauvegarder à la volée. Ici, il faudra se rendre à des espèces de téléphones d’urgence. Le processus de sauvegarde prend à chaque fois de très longues secondes. Le jeu vous préviendra également si des personnes ou des choses hostiles se trouvent dans le coin. Vous pourrez en effet enregistrer votre partie malgré leur présence. A faire à vos risques et périls ! Heureusement, il sera toujours possible de recharger une précédente sauvegarde plus sûre au cas où.
Mac Ripley ou comment construire une bombe avec un trombone
Amanda Ripley est donc ingénieur. L’excuse est bonne pour lui permettre de bricoler pas mal d’objets qui ne seront pas nécessairement létales, mais lui serviront de diversion quand cela s’avèrera nécessaire. Parmi son inventaire, on comptera des grenades éblouissantes ou des fumigènes fait maison, des appareils produisant des sons stridents afin d’attirer l’alien ailleurs que dans votre direction et j’en passe. Chacun des ces items utilisés stratégiquement viendra rallonger votre courte durée de vie. Néanmoins, vous ne les trouverez pas prêt à l’emploi comme ça. Il faudra explorer un peu, fouiller des caisses, histoire de récolter de quoi vous fabriquer cela.
Quelques armes viendront compléter le tableau comme un revolver et le fameux lance-flamme. Le premier ne sera pas très utile contre l’alien. Sur les humains et les androïdes, beaucoup plus… mais au prix d’un bruit pouvant rameuter vous-savez-qui illico presto. Le briquet amélioré s’avèrera une solution plus efficace mais temporaire. Et surtout très limité en munitions. L’Alien est puissant et apparaît indestructible. Vous pourrez le repousser, mais la plupart du temps vous devrez surtout le fuir. Même avec un lance-flamme qui ne sera de toute façon pas éternel.
Il s’agit donc de survivre, la majeure partie du temps en évitant tout affrontement direct. Amy n’y fera pas exception. Si vous voulez un petit conseil pour y arriver sans trop souffrir : avancez le plus souvent possible accroupi. Ainsi, vous serez moins visible et vos pas nettement moins bruyants. Même à une dizaine de mètres de vos ennemis, dans cette position, ils pourraient très bien ne pas vous remarquer. Contournez le plus possible et utilisez au mieux vos gadgets pour vous dégager un passage ou une porte de sortie.
Aliénation totale
La première fois que la fascinante créature se présente à nous, elle descend à demi-recroquevillée d’un conduit d’aération, un immense filet de bave l’ayant annoncé juste avant. Oubliez les versions rabougries des trois derniers films de la saga. The Creative Assembly a toujours voulu coller à l’esprit du chef d’œuvre intemporel de Ridley Scott. Alors quand l’Alien se relève dans toute sa hauteur, il impressionne, dépassant allègrement les deux mètres, avec un corps étrangement fin mais imposant et une queue serpentine. Mais ce que l’on retient très vite, c’est la lourdeur de ses pas. Quand il n’est pas dans un conduit, nous angoissant inévitablement, car on l’y entend sans réellement savoir où il est. L’entendre marcher suffira à alimenter notre peur.
Il en sera de même en étant caché dans un placard, obligé de retenir notre souffle par moment. Car c’est un prédateur et l’un des meilleurs de la galaxie, si ce n’est le meilleur. Ses sens sont extrêmement aiguisés, et plus spécialement l’ouïe. Je ne saurai donc que trop vous conseiller de ne pas courir si vous ne voulez pas immédiatement signer votre arrêt de mort, car il pourrait alors surgir n’importe quand. Sachez que même le détecteur de mouvements que vous finirez par trouver, pourra vous trahir par son bip sonore caractéristique.
Si à première vue la créature semble imprévisible, en analysant son comportement il sera possible d’arriver à mieux prévoir sa façon de réagir et peut-être même d’entr’apercevoir les limites de son intelligence. Cela ne la rendra pas moins menaçante, mais une fois de plus vous permettra au moins de vivre toujours un peu plus longtemps. Certains passages étant particulièrement retors, car courir n’est vraiment pas une bonne solution et les couloirs trop étroits pour se cacher.
Il a parfois été souligné que l’Alien était doté d’une forme d’omniscience, la rendant très difficile à éviter. En quelque sorte, l’IA tricherait pour vous trouver. De telles allégations sont absurdes. La difficulté est là, surtout en dehors du mode facile (pas si facile que cela) et quand bien même l’IA a ses particularités, elle ne triche pas. Alien Isolation est en plus d’un survival-horror, un jeu d’infiltration. Courir ou être débout vous rendra inévitablement vulnérable. Mais en faisant profil bas, la progression sera un peu plus aisée. Un petit peu. Il faut simplement faire bon usage du décor, repérer très vite les endroits où l’on peut se cacher, et user des gadgets à bon escient. En jouant avec la tête plutôt que les poings, on peut s’en sortir. Bien évidemment, il y aura des passages crispants impossibles à éviter, mais une issue sera toujours disponible pour qui saura être observateur et rapide dans ses décisions.
Le Huitième Passager
S’il y a un point sur lequel les développeurs avaient insisté pour parler de leur bébé, c’est qu’il voulait que nous ayons l’impression que tout ce qu’il y aurait dedans, aurait pu sortir directement des studios dans lesquels ont été tournées les scènes du film de Scott. De ce côté-là, on n’a pas été trahi, dans ce qui pourrait très bien être la version la plus fidèle à la série.
Que cela soit les énormes tuyaux apparents, la fumée diffuse qui en sort, les écrans aux teintes verdâtres d’ersatz d’ordinateurs Apple II, le cliquetis incessants des serveurs aux boutons multiples et luminescents, les bandes magnétiques qui tournent sans cesse, chaque recoin de Sevastopol est dans un relief qui sent bon la science-fiction des années 70. Le niveau de détail est conséquent, et l’immersion totale. Par un jeu subtil d’ombres et de lumières, neutre et réaliste, la station spatiale respire la vie, ou plutôt la mort, en offrant un spectacle sons et lumières comme on en voit rarement.
Les similitudes avec l’original sont nombreuses. On se sent à la fois dépaysé et en terrain connu. Malheureusement, une station de ce genre doit bien faire face à certaines limites, et celles-ci sont le peu de renouvellement des décors. Un sentiment de répétition évident se fera sans doute sentir, mais la tension permanente prodiguée par un Alien à l’IA surprenante et l’atmosphère générale devrait suffire à ne pas trop le remarquer.
Sur le même registre esthétique, les musiques, bien qu’en retrait, font un travail pourtant admirable en appuyant avec force ou délicatesse les moments calmes et ceux qui le sont beaucoup moins. Dans Isolation, la qualité sonore est excellente, et l’immersion y gagne forcément.
Conclusion
Alien: Isolation, est-il parfait ? Très certainement pas, mais pour autant, il ne démérite pas et surtout se pose comme un très bon jeu de survie et d’horreur, et un bon épisode dans la saga. Il repose sur une recette très efficace, déjà abordée par Amnesia. Celle-ci consiste à rendre le joueur quasiment impuissant face à une menace prétendument imprévisible. The Creative Assembly a essayé de pousser ce concept un peu plus loin que le simple fait d’aligner des scripts courus d’avance en dotant le grand méchant loup d’une capacité d’adaptation pointue et de sens, surtout l’ouïe, très aiguisés.
On regrettera quelques passages particulièrement tendus qui amèneront très certainement à plusieurs morts à répétition. Mais avec un peu de sang-froid – très dur à garder – et du courage, il est possible de se jouer de l’Alien, ne serait-ce que l’espace d’un instant, pour pouvoir lui échapper. Pour cela, il faudra faire preuve d’audace, et surtout d’observation. Cela est plus facile à dire qu’à faire, il est vrai.
En mode facile, la difficulté reste là, mais elle n’est pas insurmontable et offrira une véritable partie de cache-cache excitante et surtout effrayante. Au-delà, vous risqueriez de vous confronter à la mort très souvent. Il y a du challenge dans ce jeu, et il faut accepter de suite son rythme lent, car seule la discrétion vous amènera assez loin.
La durée de vie est du coup relativement longue, et encore plus selon votre peur. S’il y a parfois quelques passages un peu plus lourds que d’autres, une seule envie limite masochiste demeure après chaque partie, et c’est celle de vouloir y retourner. Alien: Isolation est très attrayant. Une fois qu’on y accroche, on ne décroche plus. On a envie d’y jouer, encore et encore. Dans ces cas-là, sa fin se vit comme une déchirure.
Même si je n’y jouerais probablement jamais (l’aspect « mort à répétition » risque d’avoir raison de ma patience), ça fait plaisir de voir un jeu à ce point jusqu’au-boutiste dans son concept et, qui plus est, de grande qualité.
(petite note au passage : « éviter le plus possible de ne pas courir » revient à courir la majorité du temps – deuxième paragraphe de la section « Aliénation totale »)
Oops, merci. Je corrige 🙂