Gabriel Knight fait parti de ces jeux qui bénéficient d’une aura largement amplifiée par ce que certains appellent la nostalgie. Si quand bien même on ne pourra retirer à cette saga pas comme les autres qu’elle a toujours du charme à revendre, 1993 ce n’est pas 2014. On peut alors se demander si un simple coup de peinture suffira à enjoliver les différences culturelles et de perception entre cette époque et la nôtre. Quoiqu’il en soit, Gabriel est de retour avec une nouvelle coupe de cheveux, et l’optique de séduire un nouveau public. Et pourquoi pas convaincre Activision, détenteur des droits, d’ouvrir la porte à de nouvelles aventures pour l’écrivain le plus célèbre de la stratosphère vidéoludique.
Même Gabriel, nouveau brushing
Qui dit remake dit ravalement de façade. Pourtant, d’après nos standards actuels, Sins of the Fathers est sans doute l’épisode qui en avait le moins besoin. C’est celui qui a le mieux vieilli. La full motion video du second et la 3d du dernier ont en effet pris un sacré coup dans l’aile, là où les gros pixels du premier sont toujours aussi séduisants.
Pour autant, cet amour du rétro concerne essentiellement les vieux de la veille. Or, cette édition spéciale anniversaire vise avant tout de nouveaux joueurs plutôt que les anciens. Le but à demi avoué serait à terme de pouvoir réaliser de nouvelles aventures pour notre Gabriel. Du succès de ce remake il en dépendra.
Du coup, Pinkerton Road, associé une fois de plus à Phoenix Online Studios, ne s’est donc pas gêné pour y mettre une grosse couche de vernis par dessus. Sorte de mix entre décors en 2d traditionnelle et utilisation de la 3d pour les personnages et certains objets, le résultat est dans son ensemble convaincant malgré quelques défauts.
Les décors sont toujours aussi détaillés voire même plus. Ils ne sont par contre pas tous logés à la même enseigne. Jackson Square par exemple reste toujours aussi vide et sans intérêt visuellement parlant à côté du musée voodoo ou de la boutique de livres anciens de Gabriel, bien plus attrayants et mieux ambiancés.
Le choix de couleurs vives et riches donnent parfois un mélange étrange où teintes chaudes et froides peuvent se mélanger dans une même pièce. Mais après tout, on est à la Nouvelle Orléans. L’original affichait en effet des couleurs moins disparates pour un résultat souvent plus uniforme. Soyez donc prévenus si vous êtes fans de la première heure, car cette nouvelle version est bien plus colorée, et dans un sens plus lumineuse.
Par contre, si les lieux mythiques de Gabriel Knight sont joliment restitués, les personnages en 3d le sont un peu moins. Lors des dialogues, nous avons toujours droit à un gros plan de leur visage qui sont bien rendus dans leur ensemble. En dehors de ça, c’est la loterie pour les personnages, dont la modélisation est parfois un peu grossière, surtout s’ils sont secondaires. Le contraste est du coup étonnant vis à vis des décors ou de leur gros plan lors des dialogues. L’intégration des personnages et de certains objets en 3d ne fonctionne d’ailleurs pas toujours avec merveille.
Cependant, la principale cause de désagrément concerne l’animation. S’il y a très clairement du mieux par rapport aux précédentes productions de Phoenix Online, elle est souvent encore un peu rigide. Sans oublier la présence de bugs de pathing, collision et autres. Ces derniers peuvent néanmoins être réglés par un patch.
Côté musique, Robert Holmes a repris ses instruments pour réorchestrer la totalité de la bande son de Sins of the Fathers. Par contre, si le thème du commissariat vous cassait déjà les pieds à l’époque, ça ne changera avec cette version. Ce sont les mêmes, mais avec une qualité sonore et d’orchestration supérieure. C’est d’ailleurs toujours un plaisir d’entendre résonner les thèmes majeurs de Gabriel Knight, notamment celui d’introduction.
Par contre, n’espérez pas y retrouver le même casting qu’avant aux voix. Exit donc les excellents Tim Curry, Mark Hamill et tous leurs comparses. Les enregistrements d’origines étaient apparemment d’une qualité sonore trop médiocre par rapport aux standards actuels, et donc impropre à l’utilisation pour ce remake. Du coup, Pinkerton Road a fait appel à d’autres personnes pour le doublage de cette version. Le choc sera là, c’est certain. Les nouvelles voix ne déméritent pourtant pas. On trouvera que certaines d’entre elles surjouent peut-être un peu trop, avant de finalement s’y habituer. On pourrait même se demander si cette exagération ne serait pas volontaire pour appuyer une sorte d’effet comique subtil. Chacun y verra son compte.
Gabriel a du coup un ton bien moins détaché qu’avec Tim Curry. Il laisse désormais place à une voix plus langoureuse lui donnant instantanément un côté charmeur plus appuyé, peut-être trop. Même la narratrice et son accent très prononcé exagère un peu dans sa manière de parler, mais là encore une fois, on s’y habitue. Ces changements de voix ne plairont sans doute pas à tous le monde. Pour autant, ce nouveau casting ne démérite pas, et on imagine très bien la pression qui a du être la leur de passer après celui très prestigieux de l’original.
Un Gabriel Knight revisité
Si en dehors de son esthétique entièrement revue vous vous imaginiez ne rien trouver de neuf, et bien détrompez-vous, car il n’y a pas que cela. L’intrigue reste inchangée. Les dialogues sont les mêmes autant que je puisse m’en souvenir. La progression dans l’histoire est par contre différente.
Sins of the Fathers n’était pas complètement linéaire en 1993. Il reposait sur dix journées, et passer de l’une à l’autre exigeait d’accomplir certaines tâches. L’ordre pour les accomplir était entièrement laissé à l’appréciation du joueur dans une certaine mesure. C’est toujours le cas dans cette édition, à ceci près que si vous connaissiez par cœur la première version, et bien oubliez tout ou presque, parce-que l’ordre des énigmes a entièrement changé. Par exemple, il était possible de rendre visite à la grand-mère de Gabriel dès le premier jour. Ce n’est plus le cas. Pour les fans, cela a au moins le mérite d’apporter un peu de fraîcheur à l’expérience plutôt que de retrouver un bête copier-coller.
Avec l’évolution technologique, certaines énigmes ont du même être entièrement refaites. Par exemple très tôt dans l’aventure, au lac Ponchartrain, le joueur devait se livrer à une chasse au pixels pour trouver un indice sous la forme d’une écaille de serpent. Désormais, retrouver cette écaille passera par un mini-jeu. Plusieurs nouveaux puzzles ont ainsi été intégrés. Que l’on aime ou pas ces changements, les puzzles incriminés sont plutôt sympathiques et ajoutent un peu de sang neuf à une recette déjà bien connue.
L’interface a aussi au passage bénéficié d’un relooking. On y retrouve toujours le lion et le serpent pour la décoration, mais c’est le système d’actions plus complexes d’auparavant qui brille par son absence. Maintenant, toutes les actions seront contextuelles. Derrière la simplification du gameplay que cela semble représenter, il s’agit surtout de rendre la jouabilité plus agréable en éliminant les lourdeurs d’antan. Le jeu n’en est pas forcément plus simple.
On regrettera juste que les dialogues qui sont importants et font réellement avancer l’histoire soient surlignés en jaune. Maintenant, rien ne poussera le joueur, si ce n’est sa curiosité naturelle, à lire/écouter les autres lignes de dialogues pour trouver la bonne pour progresser. Du coup, il passera à côté de pas mal de répliques souvent drôles ou donnant une profondeur inattendue à certains personnages.
Lord knows I’m a voodoo child baby
Gabriel Knight: Sins of the Fathers aura beau ajouter une mention vingtième anniversaire à son nom, il n’en reste pas moins le même. L’optimisation de son interface le rend moins lourd à l’utilisation. L’ordre des énigmes et les nouveaux puzzles donnent de l’inédit à celles et ceux qui ont connu le jeu à sa sortie en 1993. Les décors, n’en déplaisent à certains, sont souvent magnifiques. Il y a de la superbe dans ce jeu. Et les musiques ! Les musiques. Je suis fan.
Il n’est pourtant pas dénué de défauts. Les travers de Phoenix Online sont toujours là en matière d’animation et de bugs. Rien pour réellement bouder notre plaisir cependant. Cette aventure sur fond de meurtres motivés par des rites voodoo au sein d’une inquiétante Nouvelle Orléans est toujours aussi intéressante.
Gabriel est voyez-vous un écrivain au succès difficile. Depuis, il traîne des pieds pour écrire un autre livre tout en galérant financièrement. Il essaye vaguement de s’intéresser à ces meurtres sans doute relancer une machine créative qui ne fonctionne plus. Il se perd en conquêtes féminines et martyrise son employée qu’il paie si peu, voire pas du tout. Elle s’appelle Grace Nakimura si cela était encore nécessaire de la présenter. Bref, Gabriel est à un moment de sa vie où il aurait bien besoin de se prendre un bon coup de pied au derche pour se remettre dans le droit chemin.
Ce coup de pied, il l’aura en rencontrant une jeune femme à la beauté envoûtante, et héritière d’une grande fortune locale. Son amour naissant et son enquête sur ces meurtres le mèneront au devant de dangers, mais aussi de la découverte de son passé. Il apprendra bien des choses sur lui et le rôle qu’il est censé tenir en tant que chasseur d’ombres.
Entre fantastique et policier réaliste, Gabriel Knight maintient du début à la fin un suspens haletant. Bien rythmé, avec des personnages plus profonds qu’ils n’y paraissent au premier coup d’oeil, il est un titre qu’il ne faut pas rater. Après, entre l’original et ce remake, je vous dirai que les deux se valent, le remake ayant le bon goût d’offrir une progression et des puzzles différents pour se démarquer.
Lors de mes pérégrinations sur le web, j’ai pu entrapercevoir l’idée selon laquelle Gabriel était un personnage sexiste, voir misogyne. Misogyne me semble un terme un peu fort, car Gabriel ne hait pas les femmes. D’autant plus que c’est une femme qui l’a crée.
Un minimum d’intérêt pour les dialogues amènera le joueur à découvrir bien des choses sur le passé de Gabriel. Cela lui révèlera une personne bien plus complexe qu’il n’y paraît. Gabriel est un jeune homme qui a peu connu ses parents. Il a été élevé par sa grand-mère, la femme qu’il vénère sans doute le plus. Sa relation compliquée avec Grace se retrouve bloquée entre admiration et amour qu’il ne peut exprimer qu’au travers de remarques souvent lourdes. Grace ne s’en laisse pourtant pas compter et lui rend la monnaie de sa pièce par des réponses pleines d’humour cinglant.
Tout cela pour vous dire que Gabriel est un beau parleur, mais aussi un personnage un peu perdu, qui connaît mal ses origines. Il est poursuivi dans ses cauchemars par les réminiscences d’un autre passé. Sins of the Fathers, c’est en plus d’une histoire d’amour une forme de quête d’identité. On ne changera pas sa personnalité, mais nier ses multiples facettes ne serait pas lui faire honneur.
Cette édition vingtième anniversaire tient relativement bien ses promesses d’aventure et de joliesse graphique pour peu que vous lui laissiez le bénéfice du doute sur ses bugs et ses animations un brin trop rigides. Pour le reste, c’est du Gabriel, c’est Sins of the Fathers jusqu’au bout des clics. Les nouveaux apprécieront une aventure old school avec de nouveaux graphismes. Les anciens pleureront peut-être devant tant de changements. On ne saura alors que trop leur conseiller de retourner sur l’original, car une chose est sûre, ces deux versions peuvent vivre ensemble.