Animé par le même StoryNexus Engine que pour Fallen London, Failbetter s’essaye autrement au jeu vidéo que par navigateur internet interposé. Dans l’Unterzee, la mer se fera maîtresse sinon indomptable, au moins difficile à cerner. Sunless Sea flirte agréablement avec un fantastique que beaucoup d’auteurs classiques n’auraient pu renier. Un petit côté julesverniste font de ce récit maritime un titre à part dans la production souvent musclée du jeu vidéo. Misant sur un mélange surprenant de survie assez standard et d’écriture raffinée, il pourrait très bien créer la surprise chez les joueurs amateurs de singularités.
Le vieux joueur et la mer
Les premiers pas de loup de mer dans Sunless Sea donnent immédiatement le ton. Vous y êtes cordialement invité à construire le personnage que vous incarnerez selon des choix prédéfinis mais ouvert à l’imagination et à l’interprétation. Peut-être serez-vous un poète ou au contraire un homme plus terre à terre. Votre profession de base déterminera ainsi vos bonus de statistiques. Choisissez également comment vous voulez qu’on vous appelle. Capitaine ou citoyen ?
Sunless Sea est d’emblée très éloigné des canons habituels en offrant ainsi des classes et des descriptifs très différents de ce à quoi nous sommes habitués. L’explication du pourquoi repose sur le passif de Failbetter Games. Fallen London était une aventure très littéraire. La prédominance du texte sur l’action n’y étant pas étrangère. Le procédé sera répété ici, bien qu’une part de votre aventure se fera en temps réel comme dans un roguelike plus classique. Malgré la présence d’un bouton pause.
En effet, après avoir choisi les éléments qui dresseront votre portrait en tant que capitaine de votre bicoque à vapeur, vous pourrez partir explorer ces troublantes noirceurs océaniques. La représentation se fait ainsi. Avec une vue du dessus, votre bateau et quelques monstres marins constituent la majeure partie des éléments animés. Le reste de ce petit monde prend des allures de carte maritime, dessinée à la main qui rappelle les belles gravures d’antan.
Pourtant basé sur une colorimétrie non monochromatique mais assez peu variée, Sunless Sea ne pêche pourtant pas de ce côté-là. Le parti pris est audacieux mais fonctionne assez bien. Quelques rares musiques et effets sonores viennent donner du corps à un jeu qui n’en avait pourtant pas spécialement besoin. Il s’agit donc de petits plus appréciables pour l’ambiance.
Voguelike et peur de l’inconnu
Au royaume des noyés, les marins sont rois. Vous démarrez en partant du port d’un Londres qui se trouve être en grande partie six pieds sous l’eau. Votre bateau de départ est assez basique. Votre équipage est limité. Les débuts dans Sunless Sea sont assez ardus. L’interface est riche en informations que vous n’assimilerez qu’au fur et à mesure de vos parties. Ceci fait, ce n’est qu’une sorte de roguelike comme un autre avec une petite dose de stratégie dans les combats et dans la gestion de vos ressources.
Bien faire attention à la quantité de nourriture et de fuel restante est important pour éviter d’avoir recours au cannibalisme, ou bien de vous retrouver perdu au milieu de l’océan à la merci de crabes géants. De la maîtrise de ces éléments dépendra votre survie et votre santé mentale. La mutinerie ne sera jamais bien loin si vous n’êtes pas un bon capitaine.
Mais surtout, c’est la peur qui va s’accumuler comme une donnée quantifiable qui en trop grand nombre ne vous causera que des soucis. S’aventurer trop loin dans l’obscurité inconnue ou par le biais de rencontres fortuites, pourront augmenter votre peur. Heureusement, en quelque sorte, votre trépas ne sera pas pour autant définitif sachant que votre personnage laissera une sorte d’héritage derrière lui pour le suivant sous la forme d’un bonus bienvenu.
On sent de façon subtile la dimension humaine qui a été donnée dans chaque élément de gameplay, qui plutôt que de n’être que de simples statistiques, se défendent comme étant aussi partie intégrante d’une aventure humaine. Cela a pour effet de donner un côté très organique à Sunless Sea. Ce n’est pas plus mal.
Le système de combat n’était pas des plus passionnant. Passif, il s’agit de choisir les bonnes attaques dans un système en tour par tour ou »éclairer » l’adversaire est capital. La raison est que tout ce petit monde est plongé dans le noir. La lumière est donc essentielle pour ne pas rater son coup. Depuis peu, une importante mise à jour aurait entièrement remanié le dit système de combat. N’ayant pu le constater en détail au moment où j’écris ces lignes, je laisserai cela pour la critique du jeu final. Sunless Sea est toujours prévu pour une sortie officielle aux alentours de février 2015.
En dehors du combat, le commerce sera un bon moyen pour accumuler des richesses sachant que votre bateau peut être amélioré, voire carrément changé pour un bien meilleur. Il y a donc une forme de progression même si les débuts peuvent s’avérer particulièrement difficiles. L’expérience feront vous passer du marin d’eau douce à un vieux briscard brisé par l’amertume d’expéditions toujours plus dangereuses.
La plume plus forte que le harpon
C’est à peu près tout ça Sunless Sea. Un gameplay relativement déjà vu qui se différencie surtout pour la qualité de sa plume et sa richesse. Le texte y revêt une importance de premier plan. Et l’écriture y est soignée. Le seul souci auquel vous devrait faire face est l’anglais. La quantité d’écrits est plus que conséquente et rien ne sera jamais traduit dans la langue de Molière. Le travail serait trop astronomique, difficile et sans aucun doute coûteux. Un bon niveau est donc demandé pour comprendre le langage soutenu dont il est question ici. A chaque nouvelle partie, les cartes seront redistribuées, synonymes d’une histoire différente.
Un peu comme dans Un Livre Dont Vous Êtes Le Héros, les dés en moins, vos choix vous amèneront d’un événement textuel à un autre. Leur issue relèvera la plupart du temps d’un pari risqué plus ou moins dépendant de vos statistiques. Et quand bien même le jeu occupe la totalité de mon écran, notre journal de bord qui doit n’en utiliser qu’à peine un quart, est pourtant ce qu’il y a de plus précieux. C’est par lui que l’histoire avance. Chaque fois que l’on mouille dans un port, on y trouvera des possiblités d’enrichir notre savoir, de quérir des informations ou de nouvelles histoires qui serviront comme une monnaie d’échange pour de futures transactions.
L’univers de Sunless Sea est étrange et mystérieux. Il arrive à sentir l’iode et le sel marin tout en étant dans une représentation visuelle assez simple, sans fioritures. C’est sublimement écrit. Pour l’instant, Failbetter a bien respecté les mises à jour prévues. Il devrait donc sortir de l’early access dans les temps. On regrettera peut-être la présence de l’aspect survie avec sa gestion de ressources qui fait presque anecdotique en comparaison de son côté très littéraire. Ce dernier se révèle son atout majeur et le plus passionnant.
Si vous n’aimez pas lire, et surtout ne maîtrisez pas l’anglais, passez votre chemin. Dans le cas contraire, votre boussole vous attend pour d’excitantes péripéties dans l’Unterzee.