Locomotivah est un tout petit studio brésilien, déjà à l’origine de Cahors Sunset, un visual novel-RPG où le joueur incarnait un habitant de Cahors, au XXè siècle, devant survivre le plus longtemps possible. Pregnancy est également un visual novel (dépourvu d’aspect RPG, toutefois), dont le thème est évident : on y accompagne une jeune fille enceinte, qui se pose des questions au sujet de son enfant à naître.
Tragique tragédie
Le sujet est en réalité bien plus sombre que ne le laissent supposer le titre et le visuel doux et coloré du jeu. On suit donc l’histoire de Lila, qui se découvre enceinte après un test de grossesse positif. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’elle est mineure. Et que l’enfant est le fruit d’un viol.
C’est évidemment perturbant et choquant, et cette situation exagérément tragique pose d’emblée un problème de réception, puisque d’un point de vue strictement narratif et scénaristique, on se demande à quoi rime cette surenchère. Partant d’une situation où la venue au monde d’un enfant n’est pas une indéniable bonne nouvelle, le propos de Pregnancy est de s’interroger sur le droit à l’avortement, le droit à la vie, la possibilité ou non du choix. On comprend dès lors que le viol ou le statut de mineur (ici, mineur signifie tout de même 14 ans) constitue un moteur scénaristique pertinent. Pour autant, juxtaposer ces deux éléments, c’est trop. Certes, il existe malheureusement des cas similaires dans la vie réelle, mais du point de vue du jeu, de son sujet et de la narration, il s’agit d’une exagération qui vient heurter inutilement le joueur, sans rien apporter d’autre que sa propre lourdeur. On regrettera donc cette faute d’écriture qui sort un peu le joueur de jeu.
Game design textuel
Pour autant, il serait dommage de s’arrêter à ce défaut. Parce que la démarche de Pregnancy est tout de même intéressante. Le joueur incarne en quelque sorte la conscience de Lila, l’interrogeant, la poussant à faire tel ou tel choix, qui consiste souvent à taire sa situation ou au contraire à s’en ouvrir auprès de son entourage. Plus précisément, il est en fait question ici de donner son avis afin d’influencer ses choix, de convaincre : Lila reste seule décideuse en fin de compte. A travers ce choix de game design, Pregnancy met en place une structure conversationnelle : le jeu entier, à la fois dans le fond et la forme, constitue une sorte de débat sur le droit de la mère et celui de son enfant. Ce débat est évidemment limité : comme dans de nombreux visual novels, le joueur n’intervient que rarement, et si dans l’ensemble la qualité d’écriture n’est pas mauvaise (bien que certains personnages paraissent complètement à côté de la plaque…), la courte durée du titre (compter environ une demi-heure) empêche de plonger sérieusement dans des questionnements réellement philosophiques. Mais, après tout, on suit une adolescente qui vit et subit l’instant, il est donc normal que l’accent soit mis sur le ressenti.
Pregnancy est réellement conçu sur l’idée de la discussion : Lila réagit souvent en opposition aux choix du joueur et apporte ses arguments, forçant le joueur à les lire. Cela peut paraître tout bête, mais la mise en scène s’avère plutôt bien sentie pour faire comprendre les intentions de l’auteur, jusque dans un final particulièrement réussi. Notons qu’une fois le jeu terminé, un écran de statistiques vient informer de la proportion de joueurs ayant effectué tel ou tel choix majeur (des statistiques à prendre évidemment avec de très grandes pincettes, chacun ne jouant pas nécessairement en appliquant à ses décisions ses convictions réelles, et de nombreux joueurs aimant effectuer plusieurs parties pour tester les impacts de choix différents). Plus intéressant encore, au moment des crédits s’affichent divers liens vers des sites d’information, représentant chacun des deux camps (pro-life et pro-choix). Il y a là une volonté de réflexion et d’ouverture indéniable.
Conclusion
Il n’est guère étonnant de constater que la forme choisie pour aborder un tel sujet à travers le jeu vidéo se trouve être le visual novel. Le media a encore bien du mal à traiter de propos matures sans se placer de lui-même à sa marge, là où les jeux sont essentiellement narratifs, là où les jeux sont parfois encore taxés de « non-jeux ». Pregnancy n’est pas exempt de défauts, et n’est certainement pas un objet de divertissement amusant. Mais il apporte une pierre à l’édifice de ces jeux qui tentent de faire réfléchir, et met en place un game design cohérent pour ce faire. Pour environ 2€, c’est une expérience intéressante.
Je trouve tout de même (très) dommage de reprocher à ce jeux (et aux développeurs) d’avoir eu l’audace de traiter d’un tel sujet, de façon réaliste et sans recourir à d’artifices vidéo-ludiques habituels (où le fun doit prévaloir)…
Cela dit, le gameplay et l’enrobage graphique ne sont pas à la hauteur de cette louable ambition: c’est plus cet aspect qui me dérange.
Mon propos sur la forme vidéoludique choisie n’était pas du tout un reproche fait au jeu ou aux développeurs, mais plutôt une constatation vis-à-vis du milieu : l’industrie dans son ensemble paraît contrainte d’utiliser ces formes lorsqu’elle entend aborder des problématiques sérieuses. Ca n’enlève rien aux qualités du jeu (celui-ci ou un autre), simplement on sent en parcourant Pregnancy qu’en l’état actuel des choses, il n’y avait guère d’autre façon de le présenter que sous la forme d’un visual novel, ou au moins d’un jeu entièrement narratif. Ce n’est à proprement parler ni bien ni mal, mais c’est tout de même une forme de carcan créatif, une sorte de compartimentation du marché.
De la même façon, ma phrase indiquant que Pregnancy « n’est certainement pas un objet de divertissement amusant » prête peut-être à confusion, car elle suit directement la mention de défauts : le fait qu’un jeu ne soit pas fun n’est pas un défaut (loin de là), mais demeure atypique (encore que, c’est généralement le cas pour les visual novel, c’est vrai). J’entendais simplement avertir le lecteur qui aurait pensé « s’amuser » en jouant à ce jeu.
J’aurais certainement du tourner cela autrement ^^