Belladonna est un point and click loin d’être compliqué abordant des thématiques qui le sont beaucoup plus. Parler d’amour, des relations entre les hommes et les femmes, de la place que certaines minorités essayent de se faire dans ce monde, n’est jamais chose simple. Les défauts dont souffre Belladonna sont peut-être dus à son manque de moyens. Réalisé par un seul homme, Niklas Hallin, il est évidemment pardonnable que tout ne soit pas parfait. Par contre, ses dernières minutes de jeu peuvent être sujet à discussion. De fait, je risque très fortement de révéler des points cruciaux de l’intrigue. Si vous désirez éviter que cela soit le cas, passez directement à la conclusion.
Amours contrariés
Plutôt que de m’étaler trop longuement sur l’intrigue, passons rapidement au vif du sujet. C’est l’histoire d’un homme, scientifique brillant, promis à un bel avenir, dont le nom est presque imprononçable pour nous autres français : Wolfram von Trauerschloss. Il était marié à une certaine Belladonna et ils se portaient l’un pour l’autre un amour réciproque. Enfin ça, c’était avant que leur jeune fils Lucas ne décède à cause d’une santé trop fragile. Wolfram se réfugia alors dans ses recherches, tandis que son épouse tomba dans la dépression. Elle ne trouva réconfort et à nouveau l’amour que dans les bras de sa servante, Klara.
Wolfram n’étant pas la moitié d’un dupe, et, jaloux à en crever qu’il était, il porta un coup fatal à cette dernière. Il en fit de même pour sa chère et tendre qu’il, tel un Prométhée moderne, ramena à la vie pour mieux en faire son jouet. Bien que devenue une poupée à taille humaine qui doit être remontée à l’aide d’une clé – comme une horloge – son âme resta accrochée désespérément à la vie. Une fois en possession à nouveau de son corps, elle tua son mari et fit revenir d’entre les morts sa bien-aimée.
It’s alive, alive !
C’est en tout cas ce que nous raconte les pages des journaux intimes de Wolfram et Belladonna que l’on trouvera éparpillée dans tout leur château. Nous dirigeons alors une jeune inconnue qui ne sait rien d’elle-même. Est-elle Belladonna, Klara ou encore une autre ? L’amnésie facile est un ressort narratif pratique dans ces cas-là. Ce que nous savons par contre sur son compte, c’est qu’elle s’est réveillée dans un étrange laboratoire, une cicatrice énorme parcourant le haut de sa tête, et entourée d’une sorte d’étau. Sans oublier une clé dépassant l’arrière de son crâne, en mouvement. Sorte de petite poupée à la tête vide, nous la dirigeons alors que nous dévoilons page après page les secrets les plus sombres de ces lieux.
Belladonna n’est très clairement pas le genre de jeu d’aventure qui vous fera suer. La difficulté est inexistante. L’intérêt se trouve principalement dans le récit que couvre ces quelques pages de leurs journaux intimes. Malheureusement, ce ramassage de papier constitue l’essentiel de cette expérience avant que nous retrouvions la maîtresse de ces lieux. Les retrouvailles entre Klara et Belladonna sont maladroitement assez froides. Le doublage mécanique de cette dernière n’a pas du m’aider énormément à les sentir si proches que cela.
Du besoin d’exister
Ne tournant pas autour du pot, l’intrigue s’attarde à nous conter un amour lesbien naissant menacé par la figure paternaliste d’un mari jaloux. Alors qu’il a pourtant en quelque sorte renoncé à son amour pour sa femme depuis longtemps, en raison de la torture que fut pour lui le décès de son unique fils. En effet, perdu dans ses recherches tel un docteur Frankenstein, il était obsédé à l’idée de défier la mort, la laissant seule gérer sa détresse au lieu d’être à ses côtés.
Wolfram était ainsi perdu dans un océan de superficialité en ne mettant l’accent que sur la résurrection du corps et non de l’âme. En comparaison, l’amour de Belladonna et Klara se voulait plus sincère et chaleureux dans cette demeure froide et angoissante. Malheureusement, si les pages des journaux le retranscrivaient assez bien, dans la mouvance du roman gothique anglais du 19ème siècle, le grand final a de quoi laisser perplexe.
Il y a tout d’abord cette étrange sensation de déséquilibre dans les rapports entre Klara et son amoureuse. Belladonna insiste pourtant qu’elle ne peut vivre sans elle. Il faut comprendre qu’elle a besoin d’être remontée comme une horloge régulièrement. La clé qui se trouve dans son dos, rappelez-vous, elle ne peut l’atteindre seule. Mais ce symbolisme n’aide pas à ce que leur relation n’est pas suffisamment développée. Et j’ai ressenti Belladonna comme étant particulièrement hautaine vis à vis de Klara.
Il m’aura fallu moins d’une heure et demie pour venir à bout de ce jeu d’aventure. La majeure partie du temps consistant à se déplacer, résoudre deux ou trois énigmes et lire quelques textes. Cela laisse finalement peu de temps pour rentrer en détail dans cet amour apparaissant hors des conventions sociales et cherchant à se créer un monde pour soi. Un monde dans lequel il pourrait exister. Belladonna cherchera ainsi à créer de nouveaux morts-vivants à leur image pour ne plus être seules.
Il y a dans le propos une forme de parallélisme entre cet amour lesbien et celui qu’elles soient des monstres contre nature. Elles seraient des monstres, du coup le monde humain conventionnel les rejetterait. Ai-je besoin d’en dire plus sur la symbolique recherchée ? Je ne pense pas. Ce qui me dérange le plus par contre, outre la maladresse des retrouvailles de nos deux « héroïnes », c’est ce final qui laisse un arrière goût malsain. Klara souligne avec justesse que leur nouvelle nature de revenant semble les avoir débarrassées de tout sentiment de culpabilité. Elle donne pour exemple la mort qu’elle a donné à un chat tandis que Belladonna tua son époux sans le moindre remord. Si Belladonna, victime en premier de son mari, avait toutes les raisons de se défendre contre la folie de ce dernier, cette absence de tout sentiment de culpabilité est dérangeant.
Conclusion
La séquence de fin, qui n’est en vérité qu’une illustration représentant Belladonna surmontant une foule de morts-vivants comme elle, a des allures de la « Liberté guidant le Peuple » d’Eugène Delacroix. Ce final presque guerrier rejoint ce que j’ai pu dire précédemment et laisse un goût amer dans la bouche en plus de la sensation d’un raccourci scénaristique en total désaccord avec les journaux intimes décrivant une histoire pourtant sensible et tragique.
Belladonna est un jeu d’aventure trop court (et trop facile) pour arriver à développer la moindre de ses thématiques efficacement. Neckbolt aurait sans doute gagné à délaisser les énigmes classiques du genre pour se concentrer sur de la narration pure à l’image des productions Telltale. Peut-être ainsi cette histoire où un couple hors des conventions cherche à se créer une place dans un monde qui ne voudrait pas de lui, aurait pu offrir un dénouement un peu plus satisfaisant et surtout moins à côté de la plaque.
Le graphisme est sympa
Oui, c’est pourquoi j’espère revoir son développeur revenir avec un titre qui prendra cette fois le temps de développer un peu mieux son histoire.