Les joueuses et les joueurs sont souvent des êtres passionnés mais également rempli de paradoxes. Ainsi, même si le phénomène s’est largement calmé ces dernières années, le joueur est en quête perpétuel d’originalité ce qui pourtant est souvent cyniquement démenti par les chiffres de vente des nouveaux concepts et des nouvelles licences qui osent encore se lancer. Certes, on compte bon nombre de jeux indépendants qui tentent des choses (on ne vous apprend rien si vous avez déjà fouillé un peu ce site) mais bon nombre d’entre eux, et pas des moins vendus, font souvent dans le rétro gaming, façon « C’est dans les vieux pots que Link brise les meilleures soupes », ou sont simplement des applications académiques de genres de jeux hautement classiques. Mais à une époque où le cinéma compte un nombre grandissant de reboot de licence ou d’adaptations et où l’animation japonaise suit le même chemin, ne faut-il pas se rendre à cette évidence qui s’applique à tout : si le jeu est très bon, qu’est ce qu’on en a à foutre de l’originalité ? Pas grand-chose à vrai dire.
Vous Shantae ? J’en suis fort aise.
Un jeu mémorable commence parfois comme une histoire d’amour avec un coup de foudre puissant dès le départ. Pour Shantae, nos premiers instants ont été magiques. Certes en tant que fan de jeux de plate-formes action 2D, le jeu jouait à domicile mais tout de même, j’ai été sincèrement surpris mais surtout émerveillé très rapidement tour à tour par la maîtrise graphique de l’ensemble, la musique génialement entraînante (et de manière générale la B.O de ce jeu est exceptionnelle) , le level design très intelligent ce qui donne à l’expérience du jeu un côté pas évident mais tellement fun. Shantae and the Pirate’s Curse est le prototype parfait du bon élève qui a compris qu’on différenciait un excellent jeu d’un jeu moyen par sa capacité à proposer une expérience avec des aspects multiples. Ainsi, le jeu propose peu d’actions différentes mais beaucoup de situations variés, un enchaînement facile des mouvements mais demande quand même une certaine réflexion dans le choix de l’ordre des actions, des énigmes mais pas de prise de tête, des décors classiques mais vivants, de l’humour en cinématique et du sérieux en phase de jeux. Bref, de l’équilibre.
Difficile alors d’imaginer que ce jeu n’a pas été réalisé par des passionnés tant il transpire, voire il suinte à grosse gouttes l’envie de bien faire et de proposer une expérience aussi transcendante que cette première fois où vous avez enfin battu ce boss qui vous filait du fil à retordre depuis des jours. Je pourrais continuer à aligner les superlatifs comme certains restaurants japonais le font avec des sushis sur des tapis roulants mais je pense que vous avez compris mon propos. Sur le papier, il n’y a rien ou quasi rien à jeter.
Eh bien dansez maintenant !
Dans les faits, le seul « problème » que vous pourriez rencontrer est de vous laisser tromper par les graphismes gentillets et d’offrir ce jeu à la 3DS de votre cousin ou de votre gosse de 7 ans aux mains et à l’inexpérience bien peu compatibles avec le challenge et la difficulté certaine du titre. Après, si elle ou il survit déjà à la cantine scolaire, ça devrait bien se passer mais votre éducation vidéoludique sera vraiment « à la dure ». Plus qu’un jeu à l’ancienne, ce 3ème épisode de Shantae est surtout une application travaillée d’un genre ultra classique et qui pourtant ne s’en laisse pas impressionner en faisant confiance à l’intemporalité du style et des bonnes choses.
Les vannes semblent ainsi parfois sortir d’un Monkey Island light ? Ca passe crème. Le chara design fait un peu adulescent mâle en manque ? Le fun n’en est absolument pas impacté. Et puis surtout, Shantae s’appuie sur un argument qui fait mouche tout le temps : il est bien difficile de lui trouver une seule injustice de gameplay, une seule grosse faille dans l’ensemble, bref lorsqu’on rage, on ne peut s’en prendre qu’à un seul responsable : celui entre la console et la chaise. On enchaîne donc ainsi les dizaines de minutes de jeu sans vraiment s’en rendre compte, on râlera pour le principe sur la traduction française pas forcément des plus judicieuses et puis on retournera gaiement râler sur sa propre incompétence avant de se sentier fier lorsqu’enfin tout s’est bien passé. Super Meat Boy avait prouvé que le jeu de plate-formes 2D à challenge et thématique était un genre toujours vivant. Shantae enfonce le clou avec brio et classe, ce n’est pas tous les jours qu’on voit ça.
Shantae est un excellent jeu de plate-forme action 2D, il est graphiquement et esthétiquement irréprochable, la bande son est exceptionnellement bonne, le gameplay répond au quart de tour et le challenge est bien présent. Cerise sur le gâteau : son univers et ses personnages sont drôles et on ne s’ennuie pas un instant dans cette production au rythme impeccable et à la difficulté calibrée pour satisfaire les joueurs les plus exigeants. Une vraie perle qui aurait mérité mieux qu’une simple sortie en version dématérialisée. Bravo à Way Forward pour cet excellent travail sur un genre classique mais très exigeant du jeu vidéo. Amis lecteurs, foncez.
PS : Pour vous prouver à quel point l’OST du jeu est tout bonnement géniale, je viens de l’acheter sur Bandcamp pendant la rédaction de ce test. Journalisme engagé total.