Même quand ils ne font qu’éditer et aider à la création d’un jeu, revoir Wadjet Eye revenir à la science-fiction est toujours un plaisir. Basé sur un freeware, le jeune développeur Technocrat Games nous propose une aventure cyberpunk prenante d’un bout à l’autre. Technobabylon est sans conteste une réussite et nous allons vous dire pourquoi.
Babylone des temps modernes
Une fois de plus, les productions made in Wadjet Eye prouvent leur valeur en nous retournant l’estomac dans le bon sens. Elles arrivent en général à vous prendre aux tripes avec des histoires et des personnages passionnants. Comme c’est le cas ici avec Technobabylon de Technocrat Games, une comédie humaine excellemment rendue notamment par la qualité du jeu de ses acteurs.
On y reconnaîtra pourtant la patte typique de l’éditeur indépendant, passé maitre dans l’art du jeu d’aventure. Car Technobabylon est bien évidemment un point and click, une aventure merveilleuse qu’on ne lâche plus une fois commencée. Les principaux protagonistes de l’intrigue ont ce quelque chose de touchant et font tellement vrais. Même si leur quotidien peut nous paraître étranger. Car après tout, nous sommes en 2087, à Newton, mégalopole tentaculaire régit par une intelligence artificielle répondant au doux nom de Central.
Au milieu de la tumulte, on y suivra d’un côté la destinée d’un duo d’inspecteurs, Charlie Regis et Max Lao, membres du CEL, une police locale. Ils sont à la poursuite d’un pirate de l’esprit (mindjacker dans le texte) qui vole la mémoire de ses victimes qu’il laisse pour mortes. En effet, dans ce futur dystopien, la plupart des individus sont connectés à la Transe, sorte d’internet sous forme de réalité virtuelle, par le biais d’un implant neuronal ou quelque chose du genre, et un wetware, sorte de matière organique visqueuse qu’il faut entretenir à l’aide de protéines et d’eau.
De l’autre, nous ferons la rencontre de Latha Sesame, la vingtaine, sans emploi, vivant dans des conditions minables et fuyant sa réalité pour celle factice de la Transe. Elle devra néanmoins très vite se réveiller sous peine de périr pour de vrai cette fois. Car quelqu’un en veut à sa vie. Démarrant comme une enquête policière, on joue ici sur les plate-bandes du thriller cyberpunk dans lequel la science domine la vie quotidienne de nos anti-héros. Elle jouera d’ailleurs un rôle prépondérant dans le scénario.
Que cela soit le nom de leur ville, suffisamment évocateur, que dans l’appareillage de tous les jours, on y côtoie un questionnement régulier de l’intelligence artificielle et de la génétique. Le métal contre la chair. Ces deux grandes thématiques trouvent de nos jours un écho avec nos angoisses pour l’avenir de l’homme et vont en quelque sorte fusionner ici. Le salut de l’homme, peut-il venir de sa robotisation ou de l’évolution par la génétique, ou des deux ?
Du cyberpunk de qualité supérieure
Le scénario de Technobabylon peut paraître injustement compliqué dans ses premières heures. Il faut le voir comme un ensemble de fils conducteurs qui à terme se rejoindront et répondront à chacune de nos questions. Cette multiplicité est principalement due à la grande variété de sujets qui sont abordés. Entre l’état policier et sa surveillance généralisée, les abus de la science en génétique, le clonage, l’intelligence artificielle, la corruption des médias et du pouvoir, et la liste est encore longue.
Traiter d’autant de choses à la fois aurait pu s’avérer dangereux pour l’équilibre du jeu. Pourtant, de par la sincérité des personnages, merveilleusement retranscrite par le doublage, ces thèmes apparaissent presque communs. Ils font partie de la vie de tous les jours, qu’ils soient positifs ou non. La force du titre de Technocrat Games est d’avoir réussi à obtenir cet équilibre si fragile qui le rend crédible.
Et c’est ce qui rend cette histoire d’autant plus effrayante. Surtout quand il s’agit de ses dérives, le petit monde de Newton est angoissant, car sa réalité pourrait très bien, dans une certaine mesure, devenir la nôtre. Heureusement, malgré un portrait assez sombre, Charlie, Max et Latha apporteront avec leurs réponses une note optimiste (en partie). Je n’en dirai pas trop, car la surprise doit vous rester entière.
Sans faute de rythme, Technobabylon s’avale d’une traite sans temps morts. Bien évidemment, sa suite de puzzles, classiques mais très divertissante, auraient pu prouver le contraire, mais il n’en est (presque) rien. Une fois de plus, bien que retranché derrière l’esthétique spartiate du moteur AGS, Wadjet Eye nous montre ce que c’est un jeu doté d’une narration exemplaire.
Cette dernière sait ménager ses effets et ses rebondissements à tel point que le récit évite de s’épuiser avant d’arriver à la fin. Elle est aussi une belle leçon par ses personnages qui ne tombent jamais dans la caricature, même s’ils se permettent quelques notes d’humour. Et c’est cela qui renforce également la crédibilité de cet univers. Bien que n’étant que de simples amas de pixels colorés, ils sont plus humains que bon nombre de leurs consœurs et confrères vidéo-ludiques.
Conclusion
Technobabylon de Technocrat Games est définitivement tributaire du style Wadjet Eye. En apparence, c’est un jeu d’aventure classique aux puzzles logiques et qui savent être divertissants. Mais en profondeur, le scénario y joue un rôle très important et pas seulement de faire-valoir à quelques énigmes. Dans le cas qui nous intéresse, il nous pousse parfois à réfléchir, peut aussi nous dégoûter par moment autant qu’il puisse nous toucher. Quelque part entre émotions vives et le désir d’évoquer des sujets qui nous sont finalement très contemporains, il parvient à extrapoler avec justesse les maux de notre société actuelle sans pour être lourd dans son propos. N’y voyez aucun parti pris.
En restant sobre, humain et même réaliste d’une certaine manière, il évite le moindre faux pas ou faute de goût et nous offre une belle leçon en matière de maîtrise narrative en abordant le cyberpunk avec brio. Beau et captivant, Technobabylon fait d’ores et déjà parti des mes point and click préférés de cette année. Voire tout simplement un de mes plus gros coups de cœur vidéo-ludiques de l’année.