Cet article est une adaptation de celui que j’ai originellement posté sur wefrag.
Lorsque l’on voit divers studios ouvrir leurs portes, on s’imagine souvent qu’ils ont réussi à obtenir un financement leur permettant d’assurer le développement de leur(s) premier(s) titre(s). En réalité, je ne pense pas être loin en disant que 90% des nouveaux studios indé français sont sans le sou (et le restent souvent 1 à 2 ans). Même les grands noms vous le diront : il n’y a pas de secret. Le but de cet article est de désépaissir le sujet et de mettre en avant la difficulté de créer une entreprise dans le secteur du numérique en France. Nous verrons que les options les plus pragmatiques sont souvent celles auxquelles on s’attend le moins. Tour d’horizon des possibilités.
Le contexte : vous désirez créer une entreprise de conception de jeux vidéo, vous n’avez pas de fonds propres et vous n’avez aucun projet commencé. Partons également du principe que vous êtes moins de 5 personnes sur le projet. Le cas échéant, j’imagine que ce n’est pas votre première expérience entrepreneuriale et que vous savez où vous allez.
N.B. : ces éléments sont relatifs à la France et en date de Mai 2015.
A. Les options « tête dans les étoiles » et/ou « YOLO »
Je qualifie ces options ainsi car je vois très, ou trop souvent, de nouveaux groupes débarquer et croire qu’il s’agit de la voie royale traditionnelle, alors que c’est souvent la plus casse gueule (ou du moins la moins évidente à suivre pour un premier projet).
Le prêt bancaire
En France, la création d’une entreprise passe très souvent par un prêt bancaire permettant le lancement de l’activité immédiatement (on achète machines et/ou marchandises, et l’activité peut commencer à générer un chiffre d’affaire quasi immédiatement). Plusieurs types de prêts sont possibles, dont le PCE (Prêt à la Création d’Entreprise, un prêt sans caution mais limité à 7000€) ainsi que les prêts bancaires traditionnels.
Dans la pratique, le PCE ne peut que financer un investissement initial (outils de dev, licences, matériel) et demande à ce que l’entrepreneur contribue à hauteur d’au moins 2 fois le montant du prêt. C’est probablement le seul prêt qui vous sera possible d’obtenir pour un lancement d’activité dans le jeu vidéo.
Les prêts bancaires classiques sont, pour ainsi dire, hors de portée. La raison est qu’aucune banque n’acceptera de vous prêter avec ce type d’activité au moment de son lancement. Avant de vous prêter de l’argent, les banques estiment que votre activité génère un chiffre d’affaire dès votre premier mois. On vous demandera même votre « carnet de commandes » ou votre « business plan » (voire une étude de marché) afin d’estimer votre chiffre d’affaire et votre capacité à rembourser l’emprunt. Sauf que l’industrie du jeu vidéo (et plus généralement les entreprises du numérique, à risque et/ou startup) ne fonctionne pas comme cela, vous n’aurez pas de chiffre d’affaire avant plusieurs mois et encore moins de carnet de commandes ou une preuve satisfaisante pour une banque. Elles ne vous suivront généralement pas sur votre projet de création d’entreprise, à moins d’être un commercial expert et de pouvoir fournir des garanties solides sur votre business.
De plus, suivant le statut de votre boîte, il peut être risqué de contracter un prêt. Par exemple, si vous êtes auto-entrepreneur ou en micro-entreprise, vous engagez votre responsabilité personnelle et encourez les dettes de votre entreprise si celle-ci ne parvient pas à rembourser l’emprunt.
En résumé : ne comptez pas trop sur un prêt pour vous financer et évitez cette éventualité si vous êtes en micro-entreprise.
Le financement participatif
Réponse courte : vous allez vous ramasser.
Créer un studio – ou en tout cas financer son premier projet – sur la base d’un financement participatif a toutes les chances d’échouer. Qu’on se le dise, à moins que votre projet (qui à ce stade n’existe pas encore) soit extrêmement innovant et que vous passiez 3 mois à temps plein à faire de la relation presse (car il ne faut pas croire qu’un projet parle de lui-même, c’est un taff pharaonique), le scénario le plus probable est que vous passiez inaperçu.
Les financements participatifs réussis pour de jeunes studios ont généralement une ou plusieurs des caractéristiques suivantes : il s’agit d’anciens membres d’un studio (re)connu ; un prototype avancé existe déjà et a fait parlé de lui à d’autres occasions (salons, concours, etc.) ; le projet est ultra innovant ; le studio à des personnes à temps plein sur la comm’.
De plus, les financements réussis sont souvent ceux qui ne misent pas tout sur le participatif. Il faut savoir que les budgets affichés représentent généralement moins de la moitié du budget complet du projet.
Bref, ne misez aucune de vos cartes sur le financement participatif. Si vous décidez tout de même de sauter le pas, assurez vous que votre studio ne ferme pas si la campagne échoue et préparez vous à faire de la relation presse et du community management à temps plein pendant 3 mois.
En résumé : vous allez vous ramasser.
Les aides du CNC
Le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) est connu pour aider la création de jeux vidéo à travers différents dispositifs. Ils sont néanmoins attribués en priorité à des studios qui ont un certain potentiel de croissance.
De nos jours, ce qui fait la valeur d’un petit studio, ce sont ses créations, ses marques/franchises, et non pas son expertise. Il fut un temps où les studios pouvaient se vendre grâce à leur expertise, et ainsi faire des jeux de commandes ou des portages pour le compte d’éditeurs (ou se faire racheter). C’est toujours le cas mais dorénavant, un petit studio se valorise d’avantage sur son empreinte en terme de propriété intellectuelle. Du moins c’est comme ça que le CNC voit les choses et son but est de favoriser ce type de valorisation et de croissance.
Il est donc préférable d’avoir déjà des projets publiés qui ont un potentiel pour devenir des propriétés intellectuelles et d’avoir une vision à plus long terme.
Le mieux à faire si l’on souhaite monter un dossier auprès du CNC, est d’aller dans les différents salons et conférences où les membres du comité de sélection sont disponibles afin de se renseigner poliment sur les attentes du CNC et les critères d’attributions, ou encore de demander à des développeurs ayant bénéficié d’une aide si ils peuvent vous aiguiller. Il s’agit de bien se renseigner pour monter un dossier, car des fois cela se joue à de petits détails de forme. De plus, cela démontrera votre détermination et professionnalisme dans la gestion du financement de votre studio.
Le CNC propose 3 dispositifs concernant la production de jeux vidéo :
1) L’aide à la pré-production
Elle concerne uniquement la phase d’amorçage de projets, jusqu’à la création d’un prototype, notamment en vue de le proposer à un éditeur. Elle couvre jusqu’à 35% de vos dépenses en pré-prod’ et consiste en une avance à rembourser à 50%.
En tant que studio qui débute, vous n’aurez très probablement pas de phase de pré-prod’ suffisamment longue et complexe pour justifier une aide en R&D. Si vous passez plus d’un mois sur du prototypage, il est surement temps de revoir vos ambitions ou vos projets à la baisse.
2) L’aide à la création de propriété intellectuelle
Comme souligné plus haut, cette aide concerne les studios et projets ayant un potentiel de croissance. L’aide consiste en une subvention à hauteur de maximum 50% du budget du projet, dans une limite de 200 000€.
A moins que votre projet ait un fort caractère d’innovation et que vous en maîtrisez la production et les coûts, il est peu probable que votre premier projet puisse en bénéficier.
3) Le crédit d’impôt
Le fameux, dont on entend parler régulièrement dans la presse. Celui-ci concerne les projets budgetés à plus de 100 000€. Autant dire que vous avez de la marge avant de tendre vers ce type de production. Si le prévisionnel de votre premier jeu dépasse ce montant, j’espère que vous savez ce que vous faites.
Le crédit d’impôt consiste en la possibilité de déduire de son chiffre imposable des dépenses relatives à la production de jeux, allant jusqu’à la possibilité d’un remboursement.
En résumé : à moins que votre projet soit très innovant ou que vous montrez une maîtrise dans sa production, il est peu probable que vous obteniez une aide du CNC. De manière générale, il est surement trop tôt pour vous pour y prétendre.
B. Les options pragmatiques
Pôle Emploi
De loin le partenaire le plus répandu auprès des développeurs indépendants. Le chômage (ou ARE : Aide au Retour à l’Emploi) est une opportunité idéale pour préparer un projet. Pôle Emploi a plusieurs dispositifs concernant les créateurs d’entreprises.
Il faut tout d’abord savoir que suivant vos projets et votre situation, vous n’êtes pas considéré de la même manière auprès de Pôle Emploi et qu’une maladresse ou un empressement de votre part peut entraîner la fin de l’ARE. Pôle Emploi distingue 3 cas dans un projet d’entrepreneuriat (qui ne sont pas cumulables) :
1) Vous avez déjà une boîte (ou souhaitez en créer une) mais celle-ci n’est pas votre source principale de revenu
Auprès de Pôle Emploi, vous êtes encore en recherche d’un emploi et vous devez donc justifier de cette recherche régulièrement. Dans le présent cas, vous êtes un bénéficiaire normal de l’ARE. Néanmoins, les revenus que vous touchez de votre boîte sont retirés de vos allocations. Si ces revenus dépassent 70% de votre salaire de référence (ou plus généralement votre ARE), vous perdez vos droits à l’ARE.
Cette situation est convenable uniquement si votre activité de jeu vidéo n’est pas votre source principale de revenu et qu’à terme vous préférez maintenir un emploi à côté. Attention au plafond cela dit.
2) Vous êtes en préparation de création d’entreprise qui sera votre source de revenu principale
Ici aussi vous êtes un bénéficiaire normal de l’ARE, sauf que Pôle Emploi vous considère comme étant en montage de projet. Vous n’avez plus à justifier une recherche d’emploi mais vos droits à l’ARE seront plafonnés à 15 mois (dans la limite de vos droits restants) et ici aussi, si vos revenus dépassent 70% de votre salaire de référence, vos droits s’arrêtent. (Voir la documentation sur le cumul d’activités.)
On vous encouragera sûrement à suivre le NACRE, un dispositif d’accompagnement géré par des organismes indépendants (généralement des associations) et qui vous aide à formuler votre projet, obtenir des prêts bancaires et tenir la barre de votre entreprise pendant quelques temps. Ce système est surtout là pour favoriser la reprise d’activité, et les organismes qui gèrent cela ne sont pas tous très bien renseignés sur les particularités du monde numérique. Pour savoir si vous allez être bien encadré, le test est simple : allez voir les organismes de votre région et demandez leur d’emblée si ils ont déjà encadré une boîte qui vends des applications mobiles (même si vous ne faites pas de jeux mobiles, vous saurez si ils sont habitués à conseiller des entrepreneurs qui auto-publient leurs créations).
Le mieux ici est de profiter de votre temps pour suivre des formations de gestion, de comptabilité, etc. et de vous renseigner sur les meilleurs statuts à adopter pour votre future boîte. Il existe beaucoup d’associations qui dispensent ces formations et conseils (souvent les mêmes que celles qui gèrent le NACRE), et Pôle Emploi pourra probablement vous aiguiller vers l’une d’elle. Pôle Emploi peut aussi dans une certaine mesure vous payer des formations, mais si vous êtes sur-qualifié (cadre+), ils vous le refuseront probablement car vous n’êtes pas un demandeur prioritaire.
3) Votre boîte vient d’être créée, et vous ne cherchez plus d’autre emploi
A partir de ce moment la, vous n’êtes plus affilié et ne touchez plus aucune indemnité. Vous devrez donc vous couvrir vous mêmes et cotiser en tant que patron si vous voulez garder votre couverture sociale (pro-tips : faites un check up médical complet avant de monter votre boîte, si vous n’êtes plus couvert, vous serez bien emmerdé d’avoir une rage de dent).
Pour la création d’une entreprise qui a pour but d’être votre revenu principal, Pôle Emploi peut vous proposer l’ARCE (Aide à la Reprise ou la Création d’Entreprise). Il s’agit du versement de 45% du reste de vos droits d’ARE (versé en deux fois : la moitié à la création de la boîte, la seconde 6 mois plus tard).
Pro-tips : le cas 3) vous « prive » de 55% de vos droits restants, à vous de bien mettre à contribution le temps qu’il vous est accordé en cas 2), ou peut être 1), pour que le temps passé en création et le montant de l’ACRE conviennent à votre projet. N’oubliez pas qu’avec le cas 3) vous risquez une période sans couverture sociale.
En résumé : votre meilleure chance de réussir.
Bonus stage : les aides de l’URSSAF
En tant que chômeur créateur ou repreneur d’entreprise, vous pouvez prétendre à l’ACCRE (à ne pas confondre avec l’ARCE de Pôle Emploi) qui est une exonération partielle et dégressive des charges sociales vous concernant sur plusieurs mois. Et mine de rien, ça fait la différente (quasi pas de charges le premier trimestre). La demande se fait en même temps que le dépôt des statuts de la boîte.
Les aides régionales
Certaines régions ou institutions locales sont sensibilisées à la problématique de la création numérique et proposent des aides. C’est notamment le cas du Poitou-Charentes à travers le pôle image Magelis qui peut subventionner le jeu vidéo à hauteur de 30 000€.
De ce point de vue là, je n’ai pas une veille complète sur l’ensemble des régions. Mon seul conseil ici : s’investir dans les réseaux professionnels locaux et ne pas hésiter à rentrer en contact avec les institutions officielles (mairies, conseils régionaux, etc.) pour se tenir au courant des structures qui existent autour de la création numérique. Pas mal de régions commencent à faire bouger les choses en mettant en place des pôles image ou numérique, avec des incubateurs, fablabs, etc. Il y a aussi des cartes à jouer en s’investissant dans les candidatures au label French Tech. Surfez sur la vague si vous le pouvez.
En résumé : faites beaucoup de réseautage et renseignez vous bien.
Rationaliser l’équipe, faire des commandes, garder une activité parallèle
Il sera peut être plus rentable pour vous de ne pas avoir toute votre équipe en tant qu’employé. Par exemple, graphistes et musiciens ont sûrement plus d’intérêt à être des travailleurs indépendants que vous sous-traiteriez. Ceci leur permettra de travailler pour d’autres personnes que vous en attendant une rentabilité, et vous aurez moins de charges à payer. L’inconvénient, c’est que vous ne maîtriserez peut être pas toujours l’emploi du temps de vos prestataires et qu’ils peuvent vous envoyer promener si votre collaboration n’est pas au beau fixe (et c’est d’ailleurs dans votre intérêt qu’une mauvaise relation pro s’interrompt rapidement et sans accroc).
Pour ces mêmes raisons, vous pouvez vous aussi avoir une activité parallèle, telle que donner des formations, prendre des missions de consultances, ou avoir un job à mi-temps. Attention toutefois, suivant votre statut et le code APE de votre entreprise (qui détermine votre secteur d’activité), vous ne pourrez pas exercé n’importe quelle activité. Vous pouvez dans une certaine mesure le faire, mais renseignez vous sur les éventuels plafonds de chiffre d’affaire lié à ces cas particuliers.
Il y a également la possibilité de faire des jeux de commandes, c’est-à-dire de développer des jeux pour le compte d’autres entreprises. Être sous-traitant en somme. Ce créneau est notamment développé via ce qu’on appelle les « advertgame » (advertisement + game), c’est-à-dire créer des jeux publicitaires, tel qu’un jeu web pour une marque de soda, des bornes interactives, etc. Pour cela, il faut se faire connaître sur ce segment afin que les entreprises puissent venir vous trouver le jour où elles auront une commande. Il faut donc veiller à ce que votre site web soit bien référencé et qu’il soit spécifié que vous faites des commandes. Un peu de marketing ne ferait pas forcément de mal, sachez vous placez sur le web et faites du networking pour atteindre vos potentiels clients, quitte à démarcher. Prenez également contact avec des agences de communication qui sont généralement commanditaire de tels jeux et qui sous-traitent leur réalisation.
En résumé : votre seconde meilleure chance de réussir.
Se faire incuber
Les incubateurs d’entreprises sont des structures qui vous proposent un hébergement, des conseils, du matériel, voire des services divers et variés pour vous aider à vous lancer en toute quiétude (comptabilité, marketing, etc.). Ils peuvent également vous aider à obtenir des subventions, trouver des investisseurs, etc.
En retour, les incubateurs prennent soit un pourcentage de votre chiffre d’affaire, soit un « loyer » mensuel, soit des parts dans votre entreprise pour les revendre plus tard à votre sortie de l’incubateur et faire une plus-value.
Il y en a très probablement dans votre région.
En résumé : une fois votre boîte montée, cela peut être une très bonne idée de vous faire incuber le temps de prendre votre envol. Attention néanmoins à bien choisir son incubateur suivant ce que vous attendez de lui.
Le crédit d’impôt recherche et les entreprises innovantes
Merci à Melibelulle de m’avoir indiqué cette possibilité.
Le crédit d’impôt recherche est un dispositif similaire au crédit d’impôt jeux vidéo, à la différence que les dépenses déductibles sont relatives à toutes activités de recherche scientifique au sein du studio. Concrètement, il permet par exemple de déduire 30% du salaire d’un doctorant de son chiffre imposable. Ajoutons à cela que le doctorant est généralement financé dans le cadre d’une thèse CIFRE et il devient dès lors assez intéressant de mener des activités de recherche dont les résultats pourront bénéficier à vos projets.
Il est également possible de bénéficier du statut de jeune entreprise innovante si au moins 15% de vos charges sont en lien avec la recherche. Ce statut permet d’être exonéré en partie de certaines charges patronales et d’impôts.
En résumé : il s’agit d’une aide à laquelle on ne pense pas souvent. Bien qu’elle ne contribue pas directement à un projet, elle ouvre la possibilité à des embauches de doctorants et des activités de R&D.
C. Les options « l’herbe des voisins »
L’indie fund
L’indie fund est une initiative de plusieurs indés dont Jonathan Blow (Braid, The Witness), les gens de 2D Boy (World of Goo) ou encore thatgamecompany (Journey). Le concept est simple : on vous prête de l’argent et une fois votre jeu sorti, vous reversez 25% de votre C.A. à l’indie fund jusqu’à ce que vous ayez remboursé 2x la mise de départ. Si au bout de 2 ans votre jeu n’a pas permis de rembourser l’indie fund, vous êtes exonérés des sommes dues restantes.
Cependant, on ne prétend pas aux aides de l’indie fund, c’est l’indie fund qui vient vous trouver. Ces aides sont donc réservées aux microcosmes de développeurs participants régulièrement à l’IGF, l’Indicade, etc, ou qui ont un très bon bouche à oreille. Grosso modo, il faut être intégré et reconnu dans la communauté internationale des développeurs indés. Et ils choisissent plutôt bien leurs poulains, quand on sait que des jeux comme Dear Esther ou Antichamber ont intégralement remboursé l’indie fund quelques heures après leur sortie.
En résumé : vous n’êtes pas le prochain .
Le mécénat
Le mécénat, c’est quand une autre entreprise vous fait don de matériels ou d’argent. Quel intérêt pour cette entreprise/mécène ? La possibilité de déduire ce don de son C.A. imposable, et donc de payer moins d’impôts. Cette pratique a plus ou moins cours dans certains pays d’Europe comme l’Allemagne ou l’Italie.
En France, le mécénat est légiféré depuis 2003 seulement et peu d’entreprises le pratiquent. Il s’agit principalement de grandes entreprises, qui préfèrent donner à des actions culturelles ou dans le développement durable, ces catégories de dons étant éligibles à une réduction d’impôts plus importante (qui favorise donc la culture plutôt que l’entrepreneuriat).
Le mécénat est surtout pratiqué aux États-Unis, notamment dans la Silicon Valley où les startups qui grimpent financent les plus jeunes pousses (et aussi beaucoup les actions culturelles/sociales, c’est ce qu’on appelle là bas le « give back »). Cela est néanmoins à tempérer avec le fait que les grosses startups ont plutôt tendance à vous financer en prenant des parts dans votre entreprise pour vous revendre après (voir le point suivant). Ajoutons à cela que des festivals tels que l’IGF ne se déroulent pas bien loin de la Silicon Valley et on peut comprendre l’attrait de certains studios pour la Californie.
En résumé : l’étranger, c’est bien, mais tout n’est pas forcément rose. Pour tempérer ces propos, je vous invite à lire les planches du blog de Laurel, qui content l’expatriation du studio PixOwl.
Les investisseurs et levées de fonds
Une levée de fonds consiste à trouver des investisseurs qui vont prendre des parts dans votre entreprise et faire gonfler votre capital en vue de toucher des dividendes sur votre bénéfice (ou éventuellement de revendre ces parts pour faire une plus-value). Cela signifie également que les investisseurs ont des sièges au conseil d’administration de votre boîte, et donc des droits sur vos décisions dont potentiellement celui de vous mettre à l’écart. Vous n’aurez pas la même liberté, voire des comptes à rendre.
Trouver des investisseurs est une tâche fastidieuse et nécessite d’être un très bon commercial et gérant. Cela demande d’avoir un business plan très élaboré (et si possible d’avoir déjà rencontré un succès) qui présente bien afin que les investisseurs puissent mesurer le risque et leur retour sur investissement. Ces business angels et autres capital-risqueurs ne sont pas facile à débusquer et il faudra énormément s’investir dans les réseaux professionnels locaux et la politique locale autour de votre activité. Il y a bien sûr les fonds d’investissement, mais en tant que petit studio, il y a très peu de chance que vous intéressiez des investisseurs avec de petits projets et un faible chiffre d’affaire (vous pouvez toujours vous renseigner auprès de votre banque qui a surement un fond d’investissement, mais il est très probable qu’on vous rit au nez pour les raisons évoquées dans la toute première partie). De plus, le jeu vidéo a encore une très mauvaise image dans ce monde financier français, beaucoup s’imaginent des nerds dans leur cave, en plus du fait que les investisseurs fuient certains secteurs en raison de changements dans la fiscalité française (et ce n’est pas parti pour s’améliorer). Le récent cas Dont Nod n’a d’ailleurs pas apaisé cette situation. D’où la nécessité d’être bon commercial et de savoir donner des arguments qui rassurent, ou d’avoir un projet de grande ampleur (AAA, et même là les investisseurs sont souvent étrangers). Le jeu vidéo a meilleure image dans certaines régions, notamment en région parisienne.
En résumé : peine perdue.
Le mot de la fin
Alors, cette recette magique ? Au final, elle n’est pas bien compliquée : avoir de l’argent de côté (quitte à travailler plusieurs années à temps plein sur un autre job, pour économiser et s’assurer un chômage en plus d’un coussin financier), diversifier les sources de revenu (en faisant du service ou de la commande), amorcer le projet sur votre temps libre et s’investir au maximum en cas de période de chômage. Il faut bosser dur, rester humble, et assurer ses arrières. Et surtout être pragmatique.
Moralité de l’histoire ? Si un conseil pouvait être donné ici, ce serait dans un premier temps de ne monter aucune structure avant d’avoir un projet avancé, idéalement fini. Tant que vous pouvez tourner sur fonds propres, sur votre job actuel ou sur des aides, bossez sur votre projet sans monter de boîte. Une boîte coûte cher, ne vous rapportera sûrement rien avant plusieurs mois et met plus ou moins fin à certaines aides dont vous pourriez continuer à bénéficier. Visez juste et ne soyez pas pressé de créer votre studio.
Passé ce cap et la boîte montée, assurez vous encore de pouvoir subsister un moment, car il est peu probable que votre premier projet vous fasse atteindre la rentabilité. Visez plus loin, sur plusieurs projets, minimisez les temps de développement et multipliez les sources de revenus via du service ou des commandes, si il le faut.
Point bonus
Ces derniers temps, nous entendons beaucoup parler de potentielles futures aides de l’état ayant pour but de revaloriser la création française et sa compétitivité, notamment face à la fuite des développeurs vers le Canada. Malheureusement pour les indés, ces dispositifs concernent essentiellement les gros studios/éditeurs, ceux qui ont l’opportunité de créer de l’emploi en masse. Ce qui parait logique et bien évidement important pour la création française.
Le « hic » là dedans, c’est que les petites structures sont laissées pour compte. Évidemment, d’un point de vue économique, encourager la création d’un petit studio de 5 personnes n’a rien à voir avec Ubisoft qui créerait 300 emplois. Nous venons de le voir, il y a plusieurs dispositifs pour les créateurs d’entreprises, c’est une très bonne chose, mais nous avons aussi vu que ces dispositifs ne sont pas adaptés aux entreprises du numérique (qui ne génèrent pas immédiatement un chiffre d’affaire et présentent un risque), ou plus généralement aux startups. Il serait intéressant qu’une réflexion soit mené à ce sujet. Fleur Pellerin avait commencé à amorcer le sujet et mener des actions (dont le label French Tech), oeuvre qu’Axelle Lemaire poursuit, mais son incidence sur le secteur du jeu vidéo indépendant reste encore à prouver.
J’espère que cet article met un peu plus en lumière la difficulté de créer une entreprise dans le numérique en France alors même qu’il s’agit d’un des secteurs au plus fort taux de croissance et pourvoyeur d’emplois.
Concluons avec une vidéo de Steve Jobs sur l’économie numérique (déjà relayée par Skaven) qui est très parlante car le contexte français n’a pas changé, et qui a malheureusement 30 ans…
Merci à DarkNemo et Divide (dont son article sur la fiscalité des indépendants m’a poussé à sortir ce texte de mes brouillons) pour leurs relectures et commentaires.
L’article est très bon, à la fois dans son exhaustivité et parce qu’il impose au dev une approche rationnelle du problème.
Je n’aurais qu’une seule critique : tu dis qu’il y a des sous pour les gens qui savent faire un business plan et marketer leurs idées, mais tu n’encourages pas les devs à le faire. Or il me semble que ce secteur s’est justement créé sur des dévs qui n’ont pas voulu s’intéresser à la vie économique des entreprises, qui ont laissé ça à d’autres (éditeurs notamment), ce qui a donné un marché de l’emploi extrêmement défavorable aux devs, et des conditions de travails peu propices à l’innovation. Des dévs qui s’intéresseraient à l’économie, à la gestion et au marketing pourraient (commencer à) faire évoluer la situation.