Imaginez un jeu vidéo composé de multiples vidéos en prise de vue réelle, reposant presque entièrement sur les épaules d’une actrice, seul personnage présent à l’écran. Imaginez-vous plongés au cœur de son histoire, parcourant les archives de la police pour découvrir ce qui est arrivé à son mari (en tout cas d’après sa version des faits). Bienvenue dans Her Story.
Full Motion Video
Le Full Motion Video, ou FMV, est un principe de construction vidéoludique basé sur l’utilisation de vidéo en prise de vue réelle, avec de véritables acteurs. L’idée est d’améliorer l’immersion, et le concept a connu un essor notable dans les années 90. Mais si certains titres ont laissé de grands souvenirs (Phantasmagoria, pour ne citer que lui), il faut reconnaître que l’essoufflement du mouvement est apparu somme toute naturel et à vrai dire n’a pas peiné grand monde. Pourtant, le potentiel demeure.
Sam Barlow (qui a travaillé entre autres sur les épisodes Origins et Shattered Memories de la saga Silent Hill) a toujours été frustré par le motion capture, souvent incapable de reproduire dans le produit final les subtilités des expressions enregistrées. Ayant également été frustré par L.A. Noire, dont l’aspect enquête ne lui a pas paru pleinement satisfaisant, il décide de réaliser son propre jeu d’investigation, entièrement porté par le FMV. De L.A. Noire, il reprend le principe d’interrogatoire, mais cette fois-ci nous avons affaire à une véritable actrice, Viva Seifert, par ailleurs plutôt convaincante. Il s’agit alors pour le joueur d’explorer les archives à sa disposition, afin de découvrir l’histoire qu’elle a à raconter.
Innovation narrative
Her Story est un jeu narratif. Concrètement, le personnage incarné par Viva Seifert a subi en 1994 une série de sept interrogatoires menés par la police, dans le cadre de la mort de son mari. Chacun de ces interrogatoires s’est ensuite retrouvé archivé selon un système de classement particulier : les entretiens ont en fait été scindés en de multiples vidéos de courte durée (parfois seulement quelques secondes), indexées dans la base de donnée selon les mots qu’elles contiennent. Le joueur n’interroge donc pas le personnage joué par Viva Seifert : il interroge la machine qui contient l’ensemble des vidéos.
Pour cela, il utilise l’interface (très début des années 90) de la police. Tout est extrêmement simple : une barre de recherche permet de taper les mots-clés désirés, et l’ordinateur renvoie les vidéos concernées… avec une subtilité toutefois. Seules cinq vidéos peuvent être affichées à la fois, même si le mot-clé saisi mène à plus de résultats. Au joueur d’affiner sa recherche, afin d’accéder à un maximum d’informations.
Le processus narratif de Her Story est exceptionnel. L’histoire est donc entièrement narrée à travers les nombreuses vidéos disponibles via le logiciel de la police. Si le jeu débute par une mise en situation (le mot « murder » est pré-renseigné, et cinq vidéos associées sont affichées), c’est ensuite le joueur et uniquement lui qui va diriger la narration, à travers les mots qu’il va saisir. Ces derniers découlent généralement des vidéos lues précédemment : on y mentionnait tel fait, tel personnage, qui pourraient bien être l’objet d’autres vidéos. La progression se fait alors selon une logique exploratoire, propre au joueur, qui se retrouve naturellement plongé dans une véritable investigation. Tout est là, et il s’agit de mettre à jour chaque pièce du puzzle pour comprendre ce qui s’est passé, pour comprendre Her Story.
La simplicité reine
Il est intéressant de constater à quel point la construction du jeu est simple en apparence : concrètement, Her Story est un ensemble de sept vidéos découpées et indexées, et le gameplay consiste en l’utilisation d’un moteur de recherche. Pour un peu, on s’imaginerait presque que le titre tient plus du film faussement interactif que du jeu. Pourtant, rien ne serait plus faux. La simplicité met au contraire en exergue la réussite de Her Story, en rendant d’autant plus visibles ses brillants choix de design. L’interaction libre du joueur assure une expérience à la fois personnelle et gratifiante, parvenant à reproduire l’expérience d’une véritable enquête : on ne cherche pas l’élément interactif, l’élément du décor sur lequel cliquer, mais bien ce que l’on veut. Et il n’est pas du tout impossible qu’un mot saisi plus ou moins au hasard mène à une vidéo se révélant intéressante et source d’inspiration pour les recherches suivantes. La mécanique est donc simple, mais terriblement pertinente pour la construction du jeu à la fois en tant que jeu, et en tant que jeu d’enquête.
Parallèlement, on comprend au fur et à mesure que l’on découvre les différentes vidéos la légitimité de l’emploi du Full Motion Vidéo, et la présence d’une unique actrice. La succession des séquences, la solitude du personnage créent petit à petit une sorte d’intimité, une atmosphère prenante et immersive indiscutablement intensifiée par la prise de vue réelle. La mise en scène est évidemment adaptée : la consultation d’archives ne souffre pas de problèmes d’intégration de ces prises de vue réelles dans un univers de pixels.
Conclusion
Her Story est brillant. Dans la simplicité de sa conception, dans la pertinence de sa construction, dans l’originalité de l’expérience qu’il propose. Le jeu bouscule les codes narratifs, proposant au joueur de fixer sa propre temporalité, tout en se montrant parfaitement judicieux quant à la mise en scène du déroulement d’une enquête. Indéniablement, Sam Barlow a réussi son pari, et prouvé que les concepts jugés obsolètes (ici le FMV) ne résistent pas aux idées innovantes.
Au vu des screens qui parsèment cette critique, il n’y a visiblement pas que l’écran qui est brillant ^^
En tout cas, j’aime beaucoup ce concept d’exploration libre. C’est assez fascinant.
Ah bah bravo. Une faute d’étourderie et toute la blague tombe à l’eau. Il fallait bien sûr lire « il n’y a visiblement pas que le JEU qui est brillant » ^^ »
Ahaha, ce fail !
Ce génie de la blague ! ^^
Les lumières qu’on voit sur les screens sont censées être les reflets des lumières du bureau où l’on se trouve (on joue un personnage devant un écran PC). Ca participe à l’ambiance 90′, avec un filtre type écran cathodique. Le filtre est d’ailleurs désactivable pour ceux qui trouvent ça trop dégueulasse, mais c’est dommage pour l’atmosphère.