Void & Meddler est une étrange expérience narrative au confluent de multiples influences qui pioche allègrement dans le cyberpunk et la science-fiction en général, traitant de la perte de réalité des êtres humains dans une société ultra-moderne. Collaboration entre No CVT et Mis-Clos, ce point & click est difficilement identifiable mais néanmoins digne de votre intérêt.
Point and click rétro-futuristique
De gros pixels forment les silhouettes humanisées des protagonistes de cette histoire. Tandis que les décors ne sont qu’une sorte d’accumulation d’aplats aux couleurs fluorescentes et à la luminosité éparse et vibrante. Les graphismes restent évasifs sur ce qu’ils essayent de représenter. Cela leur donne un côté flottant et irréel que l’excellente musique renforce. Rien n’y est de toute façon clairement défini par des lignes pleines et franches.
L’imagerie de Void & Meddler est comme un immense glitch permanent à la mesure de ses perturbations et artéfacts visuels constants. L’ambiance lumineuse et diffuse ajoute un peu plus de flou à une aventure à la frontière entre la réalité et l’illusoire. Forcément, on se pose la question de savoir si Fyn, qui en est l’interprète principal, ne serait pas en vérité plongé dans un profond sommeil. On pourrait y voir l’influence d’un David Lynch, qui voulait que ses spectateurs aillent voir ses films comme s’ils rentraient dans un rêve.
La progression est en partie linéaire. Par moment, elle apparaît comme aléatoire puisqu’il n’y a pas de but clairement défini. Ce premier chapitre, avant que les deux autres n’arrivent en 2016, se compose de deux parties. Je suis parfois resté à la fin de celles-ci avec divers objets sur les bras, sans les avoir utilisés d’une quelconque manière. Tout comme sa direction artistique, les objectifs à remplir ne sont pas clairs. Ce côté imprévisible dans le gameplay participe un peu plus à faire de Void & Meddler cet ovni difficile à cerner.
La quête identitaire de Fyn
Fyn y est une jeune femme aux émotions en stand by. Elle ne semble pas avoir de goût pour grand chose. Elle trouve refuge et excitation dans les rencontres sans lendemain, dans une sexualité débridée, sans tabous, la musique et les drogues. Ces dernières participent à cette constante fuite en avant qui la projette dans une réalité faussée au même titre que ses congénères.
Dans cette vision d’un futur proche, une bonne partie des gens y a perdu toute mémoire et donc identité. À force d’user et d’abuser des moyens mis à leur disposition pour transformer leur corps, changer de sexe ou même avoir une tête animale, ou encore des drogues, ils ont fini par perdre l’essence même de leur être. La chair y est faible et leur esprit semble ailleurs. Fyn ne déroge pas à la règle de son époque, et, espère trouver un individu qui saura lui fournir des souvenirs concrets avec les pieds sur terre. Quelque chose de vrai pour qu’elle se sente moins superficielle. C’est sans doute là le seul semblant de quête que vont nous donner les développeurs de Void & Meddler.
Ces deux mots d’anglais résument d’ailleurs assez bien ce qu’elle est. Elle souffre d’un vide intérieur et ne peut pourtant s’empêcher de se mêler de tout et rien dans l’espoir, peut-être, de provoquer un changement, une réaction souvent au détriment des autres. Elle est tout le contraire d’une héroïne. Elle est très loin d’être affable et s’avère plutôt dotée d’une personnalité pour le moins cruelle par moment. Pour parvenir à ses fins, elle ira jusqu’à humilier un peu plus un cœur brisé au point de le blesser aussi bien mentalement que physiquement. Les gens ne sont pour elle que des objets pour satisfaire ses désirs immédiats.
Fyn est complètement détachée des autres et ne fait preuve d’aucune empathie. Sa recherche de souvenirs authentiques est plus proche de la recherche d’un fix rapide de stupéfiants que d’une volonté d’atteindre l’épiphanie. C’est ce qui rend d’ailleurs Void & Meddler difficilement appréciable par moment. Pas inintéressant, au contraire, mais durement attachant tant son univers est froid et dépossédé de toute humanité. Pour en retrouver, il faut la chercher par touches subtiles dans les échanges d’un couple peut-être pas si libre que ça, ou dans cet homme à la mentalité punk refusant les excès de son monde.
Construction aléatoire de l’âme humaine
Comme beaucoup d’autres, Fyn ne se souvient plus de qui elle était au départ. Son désir de souvenirs réels est un moyen pour elle de retrouver sa part d’humanité oubliée. Car un être humain ne serait non pas défini par la matière organique qui lui sert de corps, mais un assemblage de mémoires collectées au cours de toute une vie. Les expériences passées, les peines et les joies, les émotions vécues et reçues, voilà ce qui ferait de nous des êtres humains. L’essentiel se trouverait alors dans ces informations stockées dans notre cerveau et notre capacité à les utiliser pour communiquer avec autrui.
En fin de compte, en ayant la possibilité de se transformer superficiellement à l’envie, les gens ont oublié ce qui était réellement important. Tels des zombies, ils se plongent dans les artifices des narcotiques dans l’espoir d’y retrouver un semblant de sensation. En accompagnant Fyn, on saisit du doigt cette importance de l’âme (ou de l’esprit). Elle est sans empathie et ses rencontres charnelles ne laissent aucune place à l’affection. Pourtant, on a le sentiment que derrière son égoïsme, elle chercherait à se rappeler ce que cela veut dire que vivre en étant réellement soi-même. D’où sa pulsion ardente de se construire une personnalité, même d’emprunt, pour se sortir enfin de cette prison mentale.
Sur un seul premier épisode aussi mystérieux sur ses réelles intentions, il est forcément compliqué de savoir où l’on va. Il faudra attendre bien sagement que le puzzle soit entièrement fini pour avoir un avis définitif, ou peut-être pas. La narration avec ses accents d’onirisme sentant l’opium, pourrait n’être qu’un rêve éveillé, ou une expérience perdue dans les confins de la tête de Fyn. Comme si ce monde n’était qu’une vaste aberration numérique. De la réalité virtuelle en somme.
Conclusion
Difficile de se prononcer sur ce premier chapitre de Void & Meddler. C’est un jeu d’aventure certes, mais aussi et surtout une expérience narrative d’apparence erratique qui pose plus de questions qu’elle n’en résout. Le joueur est assez libre d’y évoluer comme il l’entend sachant qu’il y a plusieurs variantes pour la fin des deux parties qui le composent. C’est donc un jeu qu’il est nécessaire de recommencer plusieurs fois pour ne serait-ce que pour essayer de vaguement en saisir le ou les sens cachés.
Agissant sous forte inspiration de la culture pop comme les bande-dessinées de Enki Bilal et sa foire aux immortels, ou sa construction narrative qui s’inspire sans doute des Lost Highway et Mulholland Drive d’un Lynch nébuleux, Void & Meddler se la joue récit de science-fiction abordant un sujet difficile qui a tendance à souvent tendre vers le mysticisme plus que le rationnel, comme chez un Philip K. Dick sous influence qui rêverait de moutons électriques. Il aborde des questions intéressantes sur la relation de l’être humain à son corps et son esprit, et de sa perte de connexion avec ses semblables, dans un monde qui serait pourtant hyper-connecté. La réponse à la question sur ce qui ferait de nous des humains ne sera peut-être là que dans les prochains chapitres. Le final de cette première approche restant encore dans l’incertitude, et, ouvert à l’interprétation et à la réflexion du joueur.
On a vraiment pas eu une même approche de ce que représente Fyn dans le jeu. Elle est, pour moi, l’incarnation même de l’être humain, aussi bien dans ses vices que ses besoins, capable aussi bien de blesser que « d’aimer » (le robot qui vend du poisson), symbole d’une grande solitude au point de n’avoir comme unique interlocuteur le joueur.