Les univers post apocalyptiques ont toujours attiré les jeux vidéo. Qu’ils soient rongés par les zombies, infestés de mutants ou envahis par des démons, notre médium s’est très vite doté de sagas catastrophes aux influences diverses. Les Wasteland et autres Shin Megami ouvrèrent la voie, des générations entières suivirent l’exemple. En 2014, que restait il à exploiter ? Dingaling Games (Austin Jorgensen) choisit d’appliquer une couche d’humour à son rpg en scrolling horizontal, partageant son jeu entre brutalité et rire riche.
Prenant Earthbound pour base, Lisa The Painful reprend le JRPG là où la vague 16 bits l’avait laissée, la gueule de bois en plus. Le rythme vif et régulier rappelle l’efficacité d’un Chrono Trigger, la trentaine de personnages, chtarbés et touchants, évoque Romancing Saga 3. Principalement dans cette façon de définir son casting par un mince background et des physiques plus que spéciaux. Mais Lisa se démarque de ses aïeuls par une ambiance sous prozac, dépressive et débarrassée du visage guilleret des grandes odyssées épiques des années 90.
Du sang, de la sueur et des larmes
Vaguement inspiré par les Fils de l’homme, Lisa The Painful déroule son récit sanglant dans les contrées d’Olathe après le « white flash », mystérieuse catastrophe responsable de la disparition des femmes et de la quasi extinction des nuits. Brad, ancien professeur de karaté, recueille une enfant, la dernière, en la protégeant du monde extérieur. Jusqu’au jour du kidnapping, précédent le départ immédiat de Brad. Sur sa route, Brad croisera de nombreux marginaux, régnant par défaut sur ce monde stérile et sans repos. Difficile de dormir, contrairement à tout bon JRPG, la sieste n’apporte rien de bon dans Lisa. Un membre disparaît, un insecte vous empoisonne… Impossible de trouver un abris.
Même l’avancée réserve son lot de sales surprises. Nous sommes régulièrement confrontés à des dilemmes cornéliens, enracinés dans les mécaniques mêmes. Chaque choix compte et peut rendre les combats suivants ardus, en plus de vous coûter émotionnellement. Dans la mouvance des Walking Dead, Last Of Us et autres Dark Souls, Lisa nous fait éprouver la perte, avec quelques petits ajouts bien personnels tout du moins. Son scrolling 2D donne à la platitude de ce monde un goût fataliste, parabole douloureuse d’un « don’t look back » éreintant.
Emaillée de flashback et de délires sordides, le jeu rappelle constamment l’enfance de Brad, bousillée par un père alcoolique et violent. Lisa The Painful semble alors porté sur une critique acerbe du modèle parental. Mais en se penchant sur ses jointures, nous observons des thèmes un peu plus intéressants que les simples circonvolutions du petit théâtre familial. La bande originale nous met sur la piste. Entre les tartines techno hardcore et les nappes inquiétantes de claviers tuberculeux, nous découvrons des pistes joyeuses et douces, séduisantes dans leur étrangeté.
Un semblant de bienveillance
Car le cœur de Lisa The Painful réside dans ses détails. Sous la noirceur trame principale vit un monde peuplé de personnages moins hideux qu’ils n’en ont l’air. Si ce monde sans lois regorge de gangs patibulaires et de dangereux psychopathes, le jeu s’efforce surtout de globaliser le freak, dans toute sa diversité. Les villages disséminés ça et là paraissent bien paisibles, réintroduisant tant bien que mal un peu de civilité et d’hospitalité. Lisa The Painful retrouve la normalité sereine éparpillée dans les JRPG classiques, tout en gardant en tête son propos, peignant des communautés variées, des trans hédonistes aux weirdos passionnés d’arts martiaux.
Les personnages enrôlés révèlent parfois des surprises positives. Une description est disponible pour chacun, à la fois sur le site et dans le jeu. Etonnamment, la majorité des membres rééquilibre un poil la balance morale, contrebalançant les défauts du héros. Malgré son quart de psychopathes, le gang rassure, nous autorisant à imaginer une tonne d’histoires, de trames, où l’horreur pourrait être étouffée. Si Lisa the Painful marque par sa violence, il surprend aussi par ses petits soins.
Lisa The Joyful
NB: si vous n’avez pas fini Lisa The Painful, cette critique pourrait vous faire bobo au spoiler (si vous êtes vraiment, vraiment -mais alors vraiment- sensibles aux spoilers). Suite au titre trompeur, Lisa The Joyful élude entièrement l’humour au profit d’une barbarie continue. Sorti 7 mois après The Painful, ce stand alone donne les armes à Buddy, la fille recueillie par Brad, transformée pour l’occasion en kunoichi détraquée. Reprenant les mécaniques du premier épisode, The Joyful s’apparente à une échappée sanglante achevant la série à grands coups de katana.
Mieux écrit, ce grand final témoigne des efforts de Dingaling. Malgré ses qualités, The Painful semblait parfois sortir du crâne d’un adolescent, The Joyful balance ces imperfections à la poubelle pour en finir en beauté avec Olathe. Sans verser dans le fan service, la quête de Buddy répond à toutes (ou presque) les questions soulevées par le premier épisode. Nous risquons de vite oublier les réponses sans négliger la puissance assassine de The Joyful. L’histoire étonne peu, et pourtant, cette charge vénéneuse vous pénétrera au plus profond.