Après une trilogie rondement menée tambours battants jusqu’à un final controversé auprès de ses fans, et alors même que ses créateurs nous avaient juré que c’était fini pour de bon, voilà que Deponia, planète maudite et malodorante, revient vers nous dans une nouvelle aventure inédite. Toujours avec Rufus, son anti-héros asocial par excellence. Arrivé comme un cheveu sur la soupe ou comme une bonne surprise selon le point de vue, Doomsday se révèle assez atypique dans la saga fétiche de Daedalic et se réserve une place à part. Tout du moins du côté de son histoire.
La fin du monde est proche
Les prémices de Doomsday se passe sur ce que l’on suppose être Deponia plongée dans une période de grand froid. Un homme chaudement vêtu s’avance vers une tour délabrée de l’Organon. Elysium se trouve étrangement à terre, penchée vers le sol, sans sa beauté d’antan quant elle flottait encore dans les airs. Soudainement, l’homme en question à la voix grave révèle sa véritable identité. Un Rufus âgé, les cheveux grisonnants et une balafre sur le visage, provoque sa dernière bêtise, mais volontaire cette fois, en déclenchant une bombe aux proportions dantesques.
Après ce début haletant et une explosion plus tard, le calme revient auprès d’un Rufus plus jeune de nombreuses années, croyant s’être réveillé d’un horrible cauchemar. Les amoureux de la série apprécieront sans doute peu cet apostolat de départ faisant des trois premières aventures de Rufus les simples illusions d’un esprit endormi. Rassurez-vous, l’intrigue de Doomsday est plus complexe que cela, s’aventurant cette fois-ci dans les eaux dangereuses d’un récit jouant avec le temps. Et comme souvent dans ce genre d’histoire, il s’agit d’un exercice périlleux qui pardonne assez peu les incohérences scénaristiques.
De nombreux personnages des épisodes passés ne reviendront pas cette fois-ci. On y retrouve à la place de nouvelles têtes qui n’y tiennent cependant qu’une place toute relative due à leur implication fugace dans cette saga. Il faut avouer que le moteur principal de l’action est émulé par la relation chaotique de Rufus et Goal, assortie d’une réflexion presque philosophique sur le caractère inextinguible du destin.
Une aventure qui se mange sans fin
Fidèle à leur réputation, Daedalic nous sert un jeu admirablement réussi sur le plan technique. De la musique aux graphismes en passant par le doublage et les animations, Doomsday reste dans la moyenne de ce que l’éditeur teuton sait faire de mieux en nous offrant un jeu absolument magnifique à tous les niveaux. Et ce n’est pas dans le département des énigmes tordues qu’ils nous décevront non plus.
La série des Déponia a toujours eu un pied dans l’héritage aventuresque à la Monkey Island, s’amusant dans le même registre de l’humour irrévérencieux et des puzzles tarabiscotés dans tous les sens, en jouant régulièrement avec nos nerfs par le biais d’énigmes parfois vicieuses. On se souviendra dans Chaos on Deponia de celle nécessitant de baisser le son des musiques à zéro dans les options pour pouvoir la résoudre. Dans un registre assez similaire, ce nouveau chapitre dans la vie de Rufus et cie se permet quelques entourloupes du même acabit.
On en redemande pourtant, puisque dans Deponia, la réussite de l’une d’entre elles est toujours ludique et gratifiante. L’inventivité de ses développeurs est sans borgne et par extension sait nous maintenir captivé. Doomsday reste donc dans la même lignée que ces prédécesseurs. C’est un excellent point and click sur le plan du gameplay, qui bien qu’il tente d’introduire quelques ersatz de QTE, reste timide de ce point de vue pour demeurer dans le fond classique mais classiquement bon.
Le plus gros bémol reste notre incursion sur Elysium, qui est enfin visitable. La cité s’avère malheureusement décevante peut-être parce-que nous en espérions un peu trop ou que justement, on ne nous en donne pas assez. Le focus ayant été mis sur la relation de Rufus et Goal, c’est cette dernière qui devient le centre d’intérêt de notre héros – comme toujours diront certains – qui pour l’occasion met un peu de côté la légendaire cité dans l’ordre de ses priorités.
Une histoire sans fin
On a droit au final à un mélange d’humour et d’absurde lorgnant du côté de toute les fictions portant sur la manipulation du temps, de La Machine à Voyager dans le Temps à Un Jour sans Fin. Ainsi, on se retrouve à vivre certaines situations en boucle jusqu’à ce que nous finissions par trouver la solution permettant d’avancer dans l’intrigue. Doomsday n’hésite ainsi pas à nous embrouiller en multipliant les éléments flous dans l’intrigue qui devront attendre la fin pour prendre sens.
Si la pirouette temporelle finale est assez convenue, la véritable fin qui s’en suivra se chargera de faire taire une bonne fois pour toute les détracteurs de celle de Goodbye Deponia. Un final qui divisera une fois de plus et risquera de ne réconforter personne ayant été déçu par le destin funeste de Rufus. Il y a une forme puissante de la fatalité dans l’histoire de Deponia. Et plutôt que de céder à la pression populaire et ses desiderata, Doomsday ne fait que réaffirmer avec conviction les choix artistiques voulus par ses créateurs.
Si le joueur peut s’approprier le temps du jeu un univers, ce dernier n’appartiendra réellement qu’à ses concepteurs. Une décision louable et courageuse dans une industrie qui a souvent tendance à céder aux caprices de son public. Et puis surtout, comédie n’est pas forcément incompatible avec le dramatique. Doomsday n’en reste pas moins dénué de défauts conceptuels.
L’histoire justement peine par moment à cause d’un rythme asthmatique. Elle semble injustement étirée et remplie pour justifier une durée de vie suffisante. Alors qu’en fin de compte, ce quatrième épisode n’est qu’une fin alternative déguisée. Comme une ultime tentative de nous faire comprendre les raisons qui les ont conduits à ce choix scénaristique.
Deponia Doomsday re-explore son univers en se jouant du temps et de ses accidents. Mais plutôt que de nous faire revivre en boucle les mêmes situations pour nous faire rire comme pendant un certain jour de la marmotte, c’est plutôt un moyen pour Daedalic d’explorer de nouvelles manières de jouer avec nos nerfs en matière d’énigmes tordues du ciboulot. Et c’est d’ailleurs là que ce quatrième opus se démarque totalement des autres. Il se joue différemment comme s’il était la combinaison de deux jeux en un.
D’un côté, on retrouve le concept encore immature d’un point and click s’amusant d’entourloupes temporelles. De l’autre, on y retrouve l’histoire de deux personnages appréciés que sont Goal et Rufus qui nous reviennent pour une dernière danse comme pour justifier un au-revoir trop brutal dans Goodbye Deponia. C’est alors en grattant la surface que cette seconde facette dévoile derrière l’humour de facade de Rufus, une profonde tristesse de l’inéluctable impossible à éviter. La fatalisme de Déponia n’est finalement qu’une résonance d’un style allemand, coutumier du fait.
Deponia Doomsday reste néanmoins un jeu plaisant et amusant, bourré d’un humour noir souvent trash. Cependant, ceux que ça intéresse y verront une profondeur subtile mais inattendue sous la forme d’une réflexion sur le concept du destin et surtout en fin de compte, que ne ferions-nous pas pour nos êtres chers ?