Sentiment bien connu des initiés, le premier A MAZE est une claque. Petit temple du jeu vidéo alternatif depuis 2008, l’événement berlinois agrège une quantité impressionnante de talents. Multipliant les casquettes, les intervenants/développeurs/musiciens n’ont parfois que peu à voir avec les jeux vidéo, offrant au festival une fraîcheur artistique encore trop rare.
Malgré les menaces pesant sur la capitale allemande (augmentation des loyers notamment), Berlin reste le territoire idéal pour accueillir et rassembler cette folle faune. Pour bercer et porter le festival, l’Urban Spree, immense espace où un mur d’escalade plein air côtoie une galerie d’artistes.
Comme pour accorder sa géographie à son nom, A MAZE laissait le festivalier déambuler dans tous ses recoins, planquant parfois ses jeux au fin fond d’un sous sol mal éclairé, au détour d’un coin de verdure, à l’abris des regards… Moins sinueux, un second lieu collait le premier. Dédié aux talks, aux workshops et surtout… à une piscine ! Prévu pour accueillir un workshop d’un genre bien particulier, elle donnait au festival un parfum estival que le seul le froid germanique -tout relatif- pouvait contredire.
Cette année, le programme débordait de partout, fourmillant d’activités, entre jeux, concerts, talks et workshops. En plus des jeux en compétition, plusieurs pâtés disséminés présentaient open screen et jeux top secrets. Trois soirs d’affilés explosaient concerts electro, expérimentaux et punks. Impossible de suivre tous les talks puisque deux chaines se déroulaient simultanément… Quand aux workshops, ils jouirent tous d’un succès éclatant, bouclant toutes réservations peu de temps après leur annonce.
Mouvements sans corps
C’était sans compter un gentil désistement qui me permis d’assister au workshop de Shalev Moran, « Performing in digital space, a videogame Choregraphy workshop ». Shalev est un habitué de A MAZE, curateur et artiste, l’israélien présentait Hug Gods en 2014, jeu de câlins en coopération.
Croisant chorégraphie et jeux vidéo, Shalev Moran nous invitait à danser au sein même du jeu, s’appuyant sur un corpus savamment choisi. Entre Gang Beasts et Hatchling, notre groupe opta pour le plus alien des deux. La bizarrerie de ce sandbox nous permettait de scénariser et organiser des danses ouvrant d’intéressantes pistes de réflexion.
Des hommes et des jeux
Il y aurait tant de choses à dire à propos des jeux: Expérimentaux, sympathiques mais foirés, foirés tout court, géniaux, malins, curieux, tarés… Difficile de faire la fine bouche face à la richesse de la curation.
Casque Hervé
En première ligne -évidemment- la fameuse VR qui n’en finit plus de faire parler d’elle. Je vais être franc avec vous, cette technologie me passionne peu. Je veux bien admettre son potentiel (en particulier dans les champs extra vidéoludiques) mais j’ai tendance à considérer les casques comme des outils rigolos soumis aux talents des développeurs.
J’ai de vagues souvenirs d’un jeu présenté, fainéante histoire spatiale à la première personne, combinant casque et manette… Sans contrôleur spécifique, difficile de trouver l’intérêt et la spécificité… Ce que l’équipe de Lucid Trips à très bien compris en choisissant le HTC Vive. Concevant (encore) un jeu d’exploration à la première personne, le trio adapte son concept aux caprices de la VR. Nous contrôlons une bête à bras, assez puissante pour pouvoir se propulser en l’air et planer quelques secondes. Si le jeu mérite encore quelques ajustements cosmétiques, la sensation de vertige est déjà là, bien réelle.
They have the skill, and the will
Changement de continent, changement de tendance, Boxer du kenyan Cukia Kimani et du sud-africain Benjamin Crooks. Encore en cours de développement, ce post Punch Out mérite déjà d’être souillé de long en large. Spécifique et réfléchi, l’entièreté du dispositif exige de coucher l’écran, tenant chacun des deux joueurs de chaque côté, donnant au jeu une verticalité saisissante. Les deux joysticks de la manette actionnent des bras élastiques destinés à cogner la figure de l’adversaire tout en protégeant la sienne.
Exemple d’une scène sud-africaine dynamique, Boxer gagna ‘A MAZE Johannesburg. Partageant le même sens du délire que Free Lives ou Richard Baxter, Cukia Kimani détourne les genres, jette la morale aux ordures, tout cela au service d’un fun convivial, respectant les antiques préceptes du multijoueur local.
Clodo et pénétration
Répondant présent aux sirène du A MAZE allemand, les barjots de Free Lives présentaient plusieurs expérimentations bien salées. Deux projets ont retenu mon attention, Desperate Stupid Scumbags et Genital Jousting. Le premier est un party game immoral, sorte de clochard simulator, héritier de Street Trash. En rag doll bourré, le jeu nous invite à tabasser nos adversaires, gagner des liasses de billets, fuir l’écran par le bas et revenir plus fort que jamais, transformé en flic.
Le second paraît tout aussi débile, il recèle pourtant une finesse pas forcément évidente. Entre 4 et 8 pénis s’affrontent, ou plutôt se pénètrent. En début de partie, le mâle viriliste classique attaque, inlassablement… Il ne gagnera pourtant pas forcément puisque les pénétrés ou même les onanistes gagnent aussi des points ! Plus qu’une simple blague grivoise, Genital Jousting soulage l’homophobe dans un grand éclat de rire. Bonus du festival, le visiteur ne prenait pas des manettes en main mais des godemichés…
Marcher, rouler, parler
Axé sur une combinaison savante -entre balades et dialogues- Lieve Oma et la bêta de Wheels of Aurelia travaillent un jeu vidéo non violent explorant les terres d’une narration mobile. Réalisé par le strasbourgeois Florian Veltman, Lieve Oma est de ces jeux bien représentatif du public particulier de A MAZE. En marge de la scène indé, A MAZE représentait les premiers pas de Florian dans ce petit monde. A travers Lieve Oma, Florian nage contre la vague des jeux dépressifs, incorporant ses propres souvenirs en rendant hommage à sa grand mère.
Wheels Of Aurelia n’est par contre pas un coup d’essai pour le duo Santa Raggione. Artisans d’un jeu vidéo graphique, mystique et infra verbal, les deux italiens changent de cap avec leur dernière œuvre, s’armant de dialogues et d’un contexte historique marqué. Situé au beau milieu des années de plomb, Wheels of Aurelia emprunte à la fois aux road movies et aux films politiques italiens des années 70, mariant textes et petites cylindrées. Accroché à la voie aurélienne, nous accueillons les autostoppeurs, discutons, fouillons les divers portraits psychologiques. Encore en travaux, ce road game promet une curieuse expérience, entre covoiturage.fr, Elio Petri et Macadam à deux voies.
Lost In Translation
Je me risque à évoquer un jeu profondément inachevé, North d’Outlands Games, pour ses couleurs anxiogène et son brutalisme futuriste lovés dans des thématiques qu’un Jim Jarmusch amoureux de SF ne renierait pas. S’apparentant pour le moment à un voidscape, North confronte notre avatar à des humanoïdes charbonneux baragouinant un langage incompréhensible.
Le trio berlinois souhaite confronter le joueur à un pays exotique, inquiétant, alien, simulant l’arrivée d’un migrant en territoire étranger. L’atmosphère honore ce beau concept, reste maintenant à ne pas se vautrer dans le first person walker vain et creux.
La musique avant toute chose
Ce catalogue non exhaustif de jeux cités rend peu justice à ce que représente A MAZE. Infiniment plus qu’un salon de jeux vidéo, la fête berlinoise est de ces croisements improbables, pris entre la manne artistique d’un festival de cinéma et l’effervescence d’un festival de musique.
Musicalement, simple équation, A MAZE transformait ses trois soirées en trois séries de concerts. Loin des clichés chiptune (sans toutefois oblitérer ce son), A MAZE proposait tout ce dont nous sommes en droit d’attendre de la scène berlinoise de ces 35 dernières années. Entre techno, punk et démences expérimentales.
Pas spécialement fan de techno, je me dirigeais surtout vers tout le reste avec un souvenir réjouissant pour trois groupes. Première découverte, Chris Imler, one man band berlinois, gloubiboulga réfléchi d’un nombre incalculable de tendances électroniques, entre indus doux/dingue et électro chaloupée. Le dernier soir, je retiendrais entre autre Justice Gladiator, duo basse batterie en slip, bastonnant un noise rock 90s bien sale.
La palme revient aux inénarrables Fucking Werewolf Asso, déjà programmé l’année dernière. Moitié de Dennaton Games, Dennis Wedin est aussi le frontman de ce groupe plus que punk, élevant l’emocore synthé des Blood Brothers vers des cimes quasi disco. Tout le monde danse, avec quelques blessures en option, les pogos ravageurs de cette fin d’A MAZE n’épargnant personne…
La créativité avant toute chose
Définitivement, A MAZE est ce que devrait être chaque festival de jeux vidéo. Si j’écarte les défauts de l’exposition -médiation inexistante et scénographie pas toujours adaptée- A MAZE booste la créativité, pousse cette communauté alternative à se développer, se croiser, pas forcément autour de jeux vidéo, mais plutôt autour de l’art au sens large. Ne cherchez plus, le futur de notre médium se fait à Berlin… Au moins quatre jours dans l’année.
Credit Photos: Julian Dasgupta