Shadwen

C’est à peine le corps refroidi d’un Trine troisième du nom que les Finlandais de Frozenbyte se sont lancés dans une nouvelle aventure. Shadwen veut nous conter les pas à pas d’une demoiselle talentueuse dans l’art de l’infiltration et du meurtre discret. En route pour terminer la vie de son roi, elle ne pensait pas que le destin mettrait sur sa route une petite fille qui servirait alors de miroir à sa sombre moralité. Verser le sang ou ne pas être, telle sera la question.

Pour une pomme…

Nous voilà donc à évoluer dans un très moyenâgeux univers de dark fantasy. Petit monde très dépressif, Shadwen évolue dans un royaume en proie aux conflits armés forcément lourds de conséquences pour la populace locale et sa qualité de vie. Nous pouvons donc supputer sans trop nous forcer que notre meurtrière dans l’âme est simplement venue s’ajouter à une longue liste de prétendants au régicide.

Que cela soit mais la voilà malgré tout collée à une gamine qu’elle a eu la sotte idée de sauver des mains d’un soldat un peu trop zélé, ce dernier voulant punir l’enfante pour vol aggravé par effraction. « Mais monsieur l’agent, j’avais faim, lui avait-elle dit ». Shadwen n’avait alors pas conscience que son geste impliquerait de grandes responsabilités, et surtout la mise aux fers de ses petons.

Il faut dire que la petite fille se verra effrayée dès notre première victime de faite. Vous pourrez toujours lui cacher les corps avant qu’elle ne puisse les voir, mais la tâche s’avérant à la longue fastidieuse, on lui préfèrera bien vite la voie du pacifisme béant en divertissant le regard des gardes parsemant le niveau que l’on traverse, et ce afin de permettre à notre boulette de gamine de parvenir au bout et de nous aider à ouvrir l’accès au suivant.

Superhot

Heureusement, Shadwen ne part pas les mains vides. Outre sa dague, elle dispose d’un grappin fort utile pour tirer de leur emplacement des objets mobiles, pour faire du bruit ou les faire tomber sur le crâne vide de soldats idiots, ou encore s’évader dans les hauteurs en se hissant avec. Sa fine lame n’aura pas besoin d’explications poussées. Elle tranche aussi bien les cordes retenant une caisse bien lourde qu’elle ne s’enfonce dans la chair tendre de ses ennemis. Le pacifiste n’aura cependant que faire de son utilité la plupart du temps.

Mais son cruel avantage sur ses adversaires se trouve plutôt dans sa maîtrise du temps. Shadwen se passe de game over. A terme, la réussite est obligatoire. Si elle ne bouge pas, le temps s’arrête. L’effet est la première fois saisissant. Même quand elle saute dans les airs, si on relâche tous les boutons de la manette ou du clavier, le temps se fige. Seule la caméra peut être manipulée sans crainte pour mieux observer les environs.

Impressionnant et très utile. D’autant plus que si notre fille de l’ombre venait à se faire voir d’un soldat, signifiant la mort immédiate, d’une touche nous pourrons la faire revenir en arrière sur ses pas déjà posés autant qu’on le jugera nécessaire. Et ainsi réévaluer nos actions et choisir un tout autre chemin. Ce pouvoir appelle à l’expérimentation, et c’est sans doute là que se trouve la véritable force du jeu. On expérimente. En se jouant de la physique des objets et de leurs effets.

Ce qui aurait du être un jeu d’infiltration révèle alors très vite sa véritable nature de machines à puzzles d’un genre un peu différent. Il est vrai que quelque part un bon jeu d’infiltration est un jeu de casse-tête mental. Mais de par ses choix en termes de mécaniques et la quasi unique possibilité de réussir chaque niveau, Shadwen reste et restera uniquement un jeu de puzzles.

Age tendre et tête de bois

Cela ne serait pas pour autant énervant si quelques points de détails en apparence n’en venaient pas gâcher la fête. J’avouerai sans difficulté que certains niveaux sont réellement bons. Tandis que d’autres laisseraient à désirer. Mais le point sur lequel le jeu se laisse aller n’est pas vraiment la conception de ses environnements, mais l’intelligence (artificielle) dont peuvent faire preuve aussi bien les soldats malhabiles qu’une certaine petite fille que l’on appellera casse-noisette.

Une caisse qui tombe, des gardes qui s’émeuvent du bruit ainsi provoqué et qui pourtant ne réagissent pas plus que cela à la corde pendante de notre grappin toujours attaché à la dite boîte en bois. Leurs réactions restent de toute façon en générale très aléatoires et peu crédibles pour leur supposée efficacité en tant que représentants de l’ordre du royaume et de la sécurité de leur roi.

Mais la cerise sur le gâteau reste l’extraordinaire incohérence des mouvements de notre boulette de compagne d’aventure. La petite demoiselle voleuse de pommes ne sait parfois pas où donner de la tête. Le but étant de la faire avancer vers la fin du niveau en cours, on a parfois du mal à comprendre son comportement. Surtout quand cette dernière ne devrait aller que de l’avant et se permet pourtant à l’occasion sans aucune raison, de rebrousser chemin d’une cachette à l’autre. Par quel diable décide-t-elle par elle-même de revenir sur ses pas alors qu’elle était pourtant à l’abri dans son tas de foin ?

Oui, car il faut le préciser, le rangement ne semble par faire parti des priorités du royaume de Shadwen. Des buissons et des tas de foin se trouvent en effet un peu partout comme si quelqu’un avait oublié de faire le ménage. Ou tout sens commun. Au choix. L’absurdité de ce point de détail va de pair avec notre gamine atrocement idiote autant que les gardes ne réagissant parfois pas à sa présence à leurs côtés alors que cette dernière – sans doute tétanisée je l’espère – fait du surplace avant de repartir se cacher. La discrétion deux point zéro sans doute.

Alors pour sûr, Shadwen est plutôt attrayant avec ses jolis graphismes aux effets de lumières séduisants. Après tout, on a droit derrière à l’équipe qui a œuvré sur les magnifiques Trine. Mais si les animations auraient mérité vraiment plus de soin, surtout pour les gardes, c’est l’intelligence artificielle qui pose véritablement problème. Quand elle marche tout court (j’ai eu une fois un bug qui faisait que les gardes ne réagissaient plus du tout à ma présence, et à mon grand désarroi, la fillette également).

Assassin de roi

Il y a aussi plusieurs fins selon que l’on choisit de tuer le roi ou non, si l’on a tué des gardes ou non, et si on a laissé la petite fille en voir les cadavres ou non. Néanmoins, en faisant de cette jeune demoiselle une composante importante du jeu, la relative bêtise de ses comportements aléatoires et peu cohérents en font un boulet. Les développeurs n’ont malheureusement pas réussi à faire de celle-ci un atout ou quelque chose qui fonctionne pleinement. C’est un élément d’une lourdeur telle qu’on aimerait s’en débarrasser le plus vite possible.

D’autant plus que dans un récit de fantaisie noire comme celui-ci, impliquant un régicide dans un royaume en guerre, le point de vue supposé moral que représente la jeune fille est plus d’une candeur naïve qu’un réel apport émotionnel et poussant à la réflexion de nos actes. Enfin tout du moins en ce qui concerne la fin la plus positive d’entre toute. Mais de quel droit une gamine qui ne sait encore rien de la vie, qui galère pourtant à se sustenter suffisamment, serait capable de nous faire la leçon ?

Le propos voulu par Shadwen reste étonnamment niais par moment dans la relation entretenue entre ses deux « héroïnes ». Les conversations entre les soldats du roi sont par contre beaucoup plus intéressantes et donnent de précieuses informations sur la vie dans ce royaume et surtout, sur les conséquences qu’aurait la mort du roi sur celui-ci. Une histoire parallèle bien plus complexe nous est ainsi contée alors que la principale est parfois d’un manichéisme confondant.

Shadwen n’est pas à proprement parler un jeu d’infiltration mais plutôt un puzzle game dont Frozenbyte a le secret. Un secret à demi réussi de par sa plastique favorable sans être aussi éblouissante qu’un Trine, son univers plus sombre voulant cela. La fillette qui nous est imposée dans nos pérégrinations s’avère cependant dotée d’une intelligence artificielle beaucoup trop idiote pour ne pas se révéler autre qu’un poids mort dans un jeu bordé de bonnes intentions et de bonnes idées. Malheureusement, un concept original ne suffit pas toujours. L’exécution se doit aussi d’être irréprochable.

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