Que A MAZE occupe une place si particulière dans le petit monde des jeux vidéo arty n’a rien d’un hasard. Car à la tête du festival trône un bringueur excentrique, de base étranger à l’étron industriel embrassé si souvent par notre beau médium. Pour en savoir davantage, voici le portrait d’un assoiffé de curiosités ludiques.
Peux tu nous décrire ta relation avec le jeu vidéo avant la création du festival A MAZE?
Quand j’étais enfant, je jouais aux jeux vidéo mais je n’ai jamais eu d’ordinateur à la maison. Je suis né en 1972, j’ai déjà 44 ans. Je faisais beaucoup de sport, de ski jumping… A 19 ans les livres, la drogue, la musique et la fête sont arrivés dans ma vie et c’est ce que j’ai fait jusqu’à mes 35 ans en fait! (rire)
Les jeux n’existaient pas, ils n’étaient pas du tout présents… J’ai eu mon premier ordinateur en 1999 et je ne suivais pas du tout la scène jeu vidéo. Je travaillais dans un bar, j’étais modèle, j’ai aussi organisé des événements musicaux, des sessions 8 bits, j’adorais la musique 8 bit! J’aimais beaucoup ce que faisaient les musiciens avec Nanoloop et LSDJ… Les visuels étaient géniaux aussi!
Puis j’ai fini par découvrir les jeux vidéo. J’ai aussi présenté un talk show « Always The Truth », j’invitais des gens comme Peaches ou Eric D Clark… On s’asseyait sur un sofa pendant une heure, on discutait… J’ai rencontré tout un tas de monde, acquis une certaine reconnaissance pour toutes les choses stupides que je faisais! (rire)
L’un des invité était Peter C Krell, il tenait un magazine appelé Game Face, c’était le premier magazine lifestyle, centré sur les développeurs de jeux vidéo, identifiant les gens derrière les jeux, leur consacrant de gros articles. Il a pas pu continuer car c’est très difficile de tenir un magazine.
En 2006, je l’ai invité au Talk Show. En retour, en 2007 il m’a envoyé à San Francisco à la GDC, il m’a payé le voyage, m’a filé 500 euros, un caméraman et m’a laissé faire un reportage. Il m’a donné quelques noms, tout était déjà préparé…
Ce fut ma première rencontre avec l’industrie du jeu. C’était cool mais assez différent pour moi comme j’ai toujours bossé avec le transmedia, le media art… Ars Electronica était mon QG, là où je me disais que quelque chose se passait, un mouvement, science, un mix entre technologie et art: incroyable! C’était sympa d’y penser, de rencontrer les gens, de capter la philosophie, de se questionner sur le passé, le présent, le futur. J’ai appris beaucoup de chose sur moi même à l’époque…
Quand aux jeux, c’était super ennuyeux: c’était juste une industrie! Il fallait vendre coûte que coûte. J’ai découvert une expo, ça s’appelait « i am 8 bit » je crois. J’ai interviewé le mec qui organisait ça, il était connecté à la scène 8 bit, j’ai découvert pleins de choses… C’était aussi la première fois que je découvrais l’IGF, j’ai beaucoup joué, j’ai parlé à beaucoup de gens.
Je suis ensuite allé en Chine, au China Joy pour faire de jolies photos et c’était de la merde je voulais plus faire ça… Je voulais faire un truc artistique, pas ces machins bourré de cosplay, ces trucs sensationnels… Il y avait beaucoup plus de choses à faire, les jeux vidéo c’est de l’art, les gens se réunissent, conçoivent des oeuvres…
Rien n’existait en Allemagne, rien en Europe non plus je crois. On a commencé A MAZE, avec les organisateurs du International Game Week Berlin, puis on a splitté en 2010 après le second festival. A MAZE a commencé parce que je voulais célébrer les liens entre l’art, le jeu et les autres médias. On a commencé en 2009, en exposant pas mal de media art, d’oeuvres interactives, pas tant de jeux indé que ça… On a tenté de le connecter avec le design, on a eu 60 personnes pour les conférences, 200 pour les fêtes. L’expo était sympa avec pas mal de noise games, assez éloignée de la communauté indé car on la connaissait peu.
Vous n’aviez que des développeurs allemands?
Oui mais ils n’étaient pas connus, ils essayaient. Depuis que A MAZE a commencé, une communauté se forme, on a pas mal d’événements, durant toute l’année… C’est plus seulement A MAZE, on a des jeux de rue avec Invisible Playground, Talk And Play avec Lorenzo (ndlr: Lorenzo Pilia, programmateur de A MAZE), la Berlin Mini Game Jam de Ivan Gabovitch. Ils sont tous dans l’équipe A MAZE, ils font leur propre événements et bossent pour que A MAZE se déroule bien.
En 2010, on est passé à l’étape suivante, avec une véritable amélioration, après ce tout petit événement, on est allé au Transmediale, on a fait un truc ensemble avec des jeux musicaux, une expo… On avait des talks, des workshops, tout était connecté au club Transmediale. On avait un public qui n’allait pas à des événements de jeux vidéo habituellement. C’était la première fois où l’on s’est dit « ok on veut que A MAZE soit comme ça », être un espace ouvert où le public pouvait venir de tous les milieux, pas seulement des nerds, on veut des gens qui fasse des choses créatives, des musiciens, des gens intéressants. On est intéressé par le présent, par l’utilisation de la technologie, la façon dont on peut changer les choses.
Ensuite, Michael liebe a quitté l’équipe, il cherchait un job, le festival payait pas, moi même je travaillais aussi à coté, j’avais toujours mon travail de modèle.
Quo Vadis m’ont demandé si je voulais faire une conférence. Ils ont invité six développeurs de jeux, en face de 100 personnes, surtout des allemands, c’était pour le Deutsche Gamestage. Ils posaient des questions, « comment devrais je faire? » Etc
Beaucoup de gens m’ont donné beaucoup de conseils, j’étais nettement mieux préparé, j’ai commencé en 2012 avec l’Indie Connect, on avait un prix, juste un, « le most amazing game award », Ed Key l’a gagné.
C’était incroyable, maintenant on le fait depuis cinq ans, le festival avait 1000 personnes pendant la conférence, l’exposition était plus petite, peut être 20 jeux mais c’était un bon début! Rami était là, on a présenté Hotline Miami en exclu, les gens commençaient à se dire « Enfin, on a un bon événement en Europe! ».
On a persévéré, le festival a grossit, maintenant je pense comprendre ce que les développeurs indé désirent, ce dont ils ont besoin. .Je pense aussi que c’est le bon moment pour dire « on est fier de ce qu’on fait » pas moi ou A MAZE mais surtout les développeurs indés. Ils choisissent leur propre direction, leur propre manière de travailler. Ils fondent leur propre studio ou travaillent par eux même.
Je pense que c’est le futur, créer avec A MAZE cette entreprise très intéressante, regrouper les gens autour du présent, aider le mouvement à exister… Ils n’ont pas besoin de moi, ces gens savent comment procéder mais c’est bien d’avoir une plate forme où l’ont peut donner une certaine visibilité aux développeurs, comme dans les festivals de film. De rassembler tout le monde…
Le public en a besoin
Oui, sinon on entendrait jamais parler de tous ces films fous! Certains de ces films disparaissent, mais un festival les met en valeur, les reconnait, les gens peuvent les trouver, c’est très important, on a pas vraiment ça dans l’industrie, on a pas de curation.
Que penses tu des game jam? Elles se multiplient, c’est utile mais ça n’est pas vraiment de la curation. On a besoin de prix comme A MAZE.
Les game jam sont importantes pour la communauté, j’aime la Zoo Machine, j’étais à la première, c’est juste super… Ils ont une conférence, je crois que Simon (Simon Bachelier) veut changer un peu le concept… J’aime aussi certains événements comme le Chaos Computer Club, ça se passe à Hambourg, c’est là où tous les hackers se réunissent. Il y a beaucoup de talks, c’est des grands techniciens, on voit des trucs robotiques très intéressants, c’est une réunion qui réunit 4000 personnes.
Les game jam représentent un autre concept, on a besoin de tout, A MAZE c’est pas une convention, je veux que les gens viennent et sortent… Pourquoi pas que les gens bossent, Rami (Rami Ismail, fondateur de Vlambeer) par exemple est assis dans un coin et travaille. Je veux que les gens utilisent aussi cet endroit comme un lieu de travail, que les gens se rencontrent… La cérémonie aussi est importante, la mise en lumière est importante.
Je pense qu’on vit une période difficile, les développeurs doivent utiliser le médium pour parler du monde, de ce qui va mal, avec les jeux vous pouvez avoir bien plus d’impacts qu’avec des films. Un festival peut servir de meneur, nous pouvons fabriquer les goûts, et j’espère que la presse viendra plus souvent au festival… On a des journalistes mais ils travaillent surtout pour des magazines de jeux, c’est important mais j’aimerais avoir des gens qui touchent un public plus large, les gens doivent comprendre que ça représente plus que du jeu.
Qu’est ce que tu dirais à un non joueur, aimant le cinéma, l’art etc pour l’attirer vers A MAZE?
A MAZE est un vrai festival, je pourrais l’inviter via les concerts, lui dire de venir tester les jeux, on a tellement de jeux fantastiques, c’est très varié.. Ca dit beaucoup des possibilités du jeu vidéo, faut pas convaincre les gens, simplement leur dire que ça existe. La presse peut beaucoup aider à présenter la scène derrière la scène.
J’aimerais revenir sur la genèse de A MAZE Johannesburg.
En 2010 on avait cet événement A MAZE avec Transmediale, on avait un DJ, Glenn Van Loggerenberg, de Johannesburg. Il est venu à l’expo et il a trouvé ça cool, il voulait faire la même chose en Afrique du Sud. Il avait un show TV qui n’existe plus maintenant, présenté par Pippa Tshabalala, une très belle femme. On lui a donné du contenu, il a fait trois épisodes pour les montrer sur la chaine. Il n’y avait pas grand chose mais au moins les gens ont appris qu’il se passait quelque chose de fou à Berlin, à propos de jeux, connecté à l’art.
J’ai demandé à Glenn si il y avait moyen de faire quelque chose en Afrique du Sud, il m’a présenté des gens, j’ai pris quelques contacts. Le mec de Desktop Dungeon (Danny Day) fut l’un de mes premiers contact, j’ai aussi rencontré les gens de l’université de Wits. Ils commençaient tout juste en 2012 un département jeux vidéo. Je flippais complètement parce que la presse disait « Johannesburg, la ville la plus dangereuse du monde », je regardais des vidéos youtube, des documentaires, donc je savais plus trop si c’était le bon lieu mais je me disais que c’était une sorte d’aventure.
J’avais juste un papier A4 et une présentation des derniers festivals, j’ai rencontré Brett Pyper, Christo Doherty, de l’université de Wits. J’ai aussi rencontré les étudiants, je suis allé voir l’institut Goethe, ils m’ont donné 90 000 euros et j’ai pu faire le festival sans sponsors, seulement Witts comme partenaire et l’institut Goethe. les étudiants ont travaillé ensemble mais ça a pas si bien marché, il y avait une sorte de compétition entre eux. Bref, c’était énorme, un bon début, un bon coup d’envoi. Je voulais avoir cette playfulness, je voulais des jeux de rue, c’était pas tout à fait comme A MAZE Berlin… On avait des jeux de rue, des jeux de société, de la musique, beaucoup de chose, on a juste persévéré. C’est pas toujours facile, avec le manque de budget, on doit se reposer sur les gens, leur faire confiance, ça prend du temps mais j’ai trouvé une bonne équipe là bas.
On avait aussi un prix. Matthew Dean Dowdle et M.J Turpin dirigent une galerie là bas, la galerie Kalashnikovv, on bosse ensemble, c’est mon équipe de production, avec aussi l’université de Wits avec Ben Myers, qui est ici. On voulait des fonds de la ville, c’était très important pour avoir accès à des zones où on voulait aller, on a eu beaucoup d’aide. C’était la première fois que je bossais avec des instituts culturels, comme l’institut français, l’institut polonais, Goethe, le British Council. L’institut Goethe était intéressé par cette expo de jeux, dans l’expo on avait aussi Fur, le collectif qui a fait la Painstation.
Comment voient ils les jeux ? Est ce qu’ils comprennent leurs valeurs artistiques ?
Je dois leur expliquer, ils ne la voient pas vraiment pour l’instant, pour eux ça attire surtout un nouveau public. L’institut Goethe apprend l’allemand aux gens, ils sont des ambassadeurs, ils s’intéressaient aux sujets principaux. Bien sur, je peux leur dire n’importe quoi, sur l’art c’est toujours une question de point de vue, pour moi l’art est très subjectif. Je suis pas un historien de l’art, je veux pas démarrer ce genre de conversation! L’art est fait pour casser les limites, découvrir de nouvelles choses.
Je suis très content, maintenant A MAZE est financé par l’institut Goethe, le British Council, l’institut français, l’institut polonais. Ca montre que les jeux sont intéressants pour eux, ça aide le festival à tenir, je veux pas me plaindre mais c’est toujours une lutte contre l’argent, un festival coûte beaucoup.
Comment vois tu le futur de A MAZE? J’ai entendu dire que tu voulais fonder un empire A MAZE ?
Ouais je veux faire grandir le festival, A MAZE Berlin reste la maison mère, j’ai ma femme, mon enfant, mes amis ici. J’ai A MAZE Johannesburg en Afrique du Sud, j’aimerais en faire un à Montreal ou à Toronto, je veux pas aller aux Etats Unis parce qu’il y a déjà Indiecade.
J’aime la scène canadienne, je pense que c’est l’une des scène les plus intéressantes, avec des gens vraiment différent dans leurs contenus, c’est très arty. Je comprends les choses différemment maintenant, je sais que les game designers sont des artistes, des auteurs, ils sont les poètes du XXIème siècle.
J’ai entendu dire que tu avais fait un événement en Russie?
Oui mais c’était trop différent, trop compliqué, c’est pas ma langue… Je pourrais aller là bas et faire quelque chose mais c’est pas le bon endroit. Pour le moment je me concentre sur Berlin, Johannesburg et faire ce pont entre Berlin et Johannesburg. Je veux vraiment aller en Asie mais c’est pas ma langue non plus. J’ai pas à créer un festival la bas, j’aimerais juste trouver un festival cool.
Comme en Corée du Sud, avec Out Of Index
Bien sur, j’ai pas à faire un truc là bas, OOI est vraiment cool. En tant que concepteur de festival, j’aime trouver des gens talentueux, j’ai des ambassadeurs partout dans le monde qui me parlent de trucs cools mais j’aime aussi rencontrer les gens. Beaucoup n’ont pas les moyens d’aller à Berlin donc je dois aller à leur rencontre. J’ai beaucoup d’aides de la communauté, j’aime parler aux gens, Rami voyage toujours avec moi. C’est une superbe récompense que les gens reconnaissent mon travail! J’ai aussi cette liberté de faire ce que je veux, les gens adorent, comme SOS qui était l’un des premier avec Rami en 2012, il était avec nous, MC pixel a démarré et c’était un gros succès. On a aussi Hotline Miami avec Denis Weddin, il vient toujours à mes festivals.
On a aussi pas mal de sud africains cette année, c’est toujours un truc que j’ai voulu faire, leur dire de venir. En Afrique du Sud, il se passe tellement de chose… La communauté qui se construit là bas est vraiment intéressante, peut être que plus tard ils diront, « A MAZE on s’en fout, on va faire notre festival », mais ça me va! Ou ils peuvent dire on fait le festival à ta place, il y a plein d’options. Je veut faire grandir la marque et je veux plus de temps pour faire mes propres projets, comme le magazine, la performance Disconnected avec la VR… Je voudrais faire un truc avec David Hayward qui dirige le Feral Vector, on veut lancer le projet en 2017. Je veux faire tout un tas de trucs, c’est ce qui me maintient dans la course, j’adore courir partout !
photos: Julian Dasgupta
Ce monsieur à l’air d’être un sacré spécimen! Très chouette interview.
Un très bel article, quelques termes techniques (du au genre/mouvement de cette scène je pense). Quant aux « noise games » cela attire ma curiosité!!! Une bel phrase de l’article résume la démarche alternative d’Antoine Herren dans le jeu vidéo: « L’art est fait pour casser les limites, découvrir de nouvelles choses ».