Event est décrit par ses développeurs, le studio français Ocelot Society, comme un jeu d’aventure narratif étant centré autour de la relation entre le joueur et une intelligence artificielle nommée Kaizen. Ayant commencé en tant que jeu étudiant, Event a bien avancé depuis, ayant gagné notamment le support de l’Indie Fund. Si le concept d’établir une relation avec un IA en tapant tout ce qu’on voulait avec son clavier semblait très intéressant, il était facile de douter d’à quel point cela allait tenir une fois le jeu en main.
Events 0 – 15 Crashs
Mon premier contact avec Event fut pour le moins… abrupt. Le jeu s’ouvre sur un jeu hypertextuel à la Twine de quelques minutes, posant le contexte de l’univers et permettant, par les choix du joueur, de définir quelques détails personnels sur le personnage joué, le tout avec en fond un vaisseau naviguant dans l’espace. Puis vient le premier chargement du jeu et là c’est le drame : premier crash. Après avoir refait l’introduction textuelle deux autres fois suite à un autre crash du chargement, celui-ci s’est enfin terminé après pas moins de trois minutes coincé dedans. On entre ainsi dans le gros du jeu et de ce qu’on en avait vu, un jeu à la troisième personne dans lequel on communique avec une IA par des terminaux. La magie fonctionne rapidement, il est très agréable de discuter avec Kaizen et, après une dizaine de minutes à raconter n’importe quoi pour tester les limites du jeu, il commence à en avoir marre et m’incite fortement à passer à la salle suivante. A l’entrée dans celle-ci, un petit film démarre, puis un second terminal nous permettant de communiquer avec la même AI s’allume. Et là, un nouveau crash intervient. Puis, après trois nouvelles minutes dans un chargement, on se retrouve de nouveau à l’entrée de la salle, le jeu sauvegardant automatiquement dans chaque nouvelle salle. Après quelques heures, je me retrouve à faire une nouvelle partie : suite à un bug – désormais corrigé – ma sauvegarde est corrompue et la charger revient à alterner chargements de 3 minutes et mort instantanée de mon personnage me renvoyant dans les dits chargements. Ma seconde partie commence relativement différemment, avant de finir de manière semblable : le jeu refusant ne serait-ce que de reconnaître son existence alors qu’elle se trouvait bien dans le dossier de sauvegarde, après avoir relancé le jeu suite à un nouveau crash. Ma troisième partie fut coupée court par l’exact même problème, alors que j’étais de retour à un niveau de l’histoire proche de ma première.
C’est après treize heures de jeu au compteur que j’ai enfin réussi à finir une partie tant bien que mal, réussissant à vaincre moult crashs, chargements de 3 minutes, bugs divers et la lassitude de refaire la fiction interactive d’introduction à chaque fois pour enfin assister à la fin de cette aventure censée durer trois ou quatre heures. Sans oublier que le jeu a des problèmes d’optimisation et de performance – surtout sur des cartes AMD de ce que j’ai lu et vécu – obligeant à jouer avec les paramètres pour le faire tourner sans chutes de FPS et/ou éviter de surchauffer le GPU, et ce même avec une configuration censée bien le faire tourner dans des paramètres plus élevés. Cela devrait sans doute être corrigé dans les jours et semaines à venir, les développeurs ayant déjà sorti un nombre assez impressionnant de patchs corrigeant quelques uns de ces problèmes.
Une intelligence artificielle mais charismatique
Ce qui est vraiment impressionnant avec Event c’est que, malgré tous ces problèmes techniques pouvant pousser à abandonner le jeu (ou à un refund Steam), celui-ci arrive à donner envie de persister à essayer d’y jouer. Et étonnamment, ce n’est pas ce qui était le plus mis en avant dans la communication du jeu – l’intelligence artificielle – qui fonctionne le mieux, au contraire même. Je dois avouer que j’étais personnellement très emballé juste pour ça et pour le principe d’un jeu où tout se passe à travers des conversations et une relation avec une IA. Dès le début, il faut dire que ça fonctionne plutôt pas mal, on se retrouve vite pris au jeu. Kaizen est plutôt marrant et on peut passer des dizaines de minutes (heures) à lui raconter des choses absurdes dans le but d’obtenir une réponse marrante et de pouvoir faire des memes sur l’Internet. Mais c’est plus marrant comme tou autre chatbot l’est, c’est-à-dire par une certaine absurdité due au contexte et à un joueur tentant de piéger l’IA pour lui faire dire ce qu’il veut. Comme on pouvait s’y attendre, Kaizen est assez limité dans ce qu’il peut répondre et comprendre ou même dans sa façon de réagir. Concrètement, il peut « seulement » répondre à des questions assez précises sur ce qui concerne le vaisseau dans lequel on se trouve et l’univers du jeu. Vous aurez beau essayer de lui parler de fromage, de Game Side Story, de raclette, de jeux vidéo ou de fromage, il vous répondra plus ou moins aléatoirement et surtout de façon très maladroite. Si dans un long discours sur les bienfaits de la raclette dans l’espace vous osez mentionner le mot « ship » par exemple, Kaizen se mettra à vous régurgiter toutes les informations qu’il a sur le vaisseau dans lequel vous vous trouvez actuellement. Sans pour autant m’avancer sur comment tout cela est programmé, il suffit parfois de simplement utiliser tel ou tel mot-clé pour déclencher une suite de réponses ou réactions autour d’un sujet particulier chez Kaizen. Il faut aussi faire attention à la syntaxe ou ne pas hésiter à répéter plusieurs fois la même chose histoire qu’il comprenne, tout en évitant certains autres mots-clés qui le lanceraient vers une autre direction.
Il y a bien certains moments où Kaizen arrivera à surprendre, par une réponse incroyablement pertinente ou une réaction assez naturelle. Il y a des moments où Kaizen arrivera à vous donner l’illusion d’établir une véritable relation avec lui, autant une amicale qu’une plus hostile. Malheureusement, cela ne dépassera jamais ce stade d’illusion. On y voit aisément les ficelles et il est ainsi relativement simple de provoquer la réaction que l’on veut ou d’avancer la relation avec Kaizen vers un point souhaité. Une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est que certains réactions sont relativement scriptées. Le jeu est assez ouvert au niveau des choix et du style de jeu du joueur et la relation avec Kaizen a ainsi une incidence sur la fin que l’on obtient. Cependant, les réactions les plus importantes – celles faisant avancer le jeu et/ou la relation avec Kaizen – semblent toutes se déclencher de façon assez scriptées pour le bien de l’histoire. Si cela pourrait s’expliquer comme le fait que ce soit simplement le comportement de l’IA de toujours réagir comme ça, cela peut rendre la relation avec Kaizen assez artificielle, surtout quand ces réactions se déclenchent sans pour autant être cohérentes avec la conversation en cours. Paradoxalement, c’est aussi une conséquence d’un des aspects les plus réussis du jeu, un aspect pour lequel on ne l’attendait pas spécialement – en tout cas c’était mon cas – alors qu’il y brille tout particulièrement. L’illusion d’une relation est relativement maintenue, tant que l’on reste dans le contexte fermé du jeu. A l’intérieur de l’histoire, de la narration et de l’ambiance du jeu, Kaizen fonctionne parfaitement. C’est ainsi beaucoup plus efficace si on se laisse prendre au jeu et qu’on prend Event du point de vue de l’aventure pure, tentant d’accomplir la mission qui nous est assignée en établissant une relation avec l’IA, plutôt que d’un point de vue de jeu vidéo, tentant de voir les limites du gameplay.
GLaDS in SPAAAACE
C’est par sa narration et son ambiance qu’Event devient véritablement passionnant. Le jeu est globalement plutôt joli, avec un niveau de détails plutôt élevé. Le level design du vaisseau est tel qu’on a vraiment l’impression d’explorer un endroit où des personnes ont vécu, et qui a été pensé pour ça. On prend énormément de plaisir à fouiller tous les recoins pour voir le plus de détails possibles. Mais là où ça devient encore meilleur, c’est quand l’on pose des questions sur ces détails à Kaizen et que celui-ci nous en dit plus ou raconte des anecdotes sur le sujet. La narration d’Event est un savant mélange entre une narration environnementale – basée sur les découvertes faites par le joueur en se promenant – et une plus textuelle et orientée vers le gameplay – basée sur les découvertes faites par le joueur à travers des discussions avec Kaizen. Et toute l’histoire du jeu se déroule via ces terminaux et ces conversations. Kaizen est à la fois le narrateur, un personnage principal (d’ailleurs très intéressant et charismatique en tant que personnage d’une histoire, mélange entre diverses inspirations très assumées telles que 2001 ou Portal) et une mécanique pour faire avancer l’histoire. L’histoire du jeu est d’ailleurs plutôt intrigante et intéressante en elle-même, mais le devient encore plus à travers Kaizen. Ainsi, on peut avoir l’histoire complète ou seulement une partie selon les questions que l’on pose puis celles auxquelles l’IA veut bien nous répondre ou même celles où elle nous ment. Cela marche pour littéralement tous les aspects narratifs du jeu. On aura donc aussi des indices dans l’environnement et d’autres à travers des discussions avec Kaizen ou dans les logs des terminaux qui décriront le monde rétro-futuriste servant de contexte à Event. Celui-ci semble très intéressant et on demanderait presque à en voir plus de ce monde alternatif pour en apprendre davantage, tant le peu qu’on arrive à apprendre est intriguant. La combinaison de la direction artistique du jeu – autant visuelle que sonore, le sound design étant très réussi – et de cette narration atypique donne à Event une ambiance toute particulière. Celle-ci est incroyablement fascinante, plongeant le joueur dedans pour les quelques heures que durent l’aventure, le gardant intéressé du début à la fin et ce malgré tous les déboires techniques.
Event n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais. Le jeu d’Ocelot Society est à la fois une déception et une très bonne surprise. D’un côté, Kaizen n’a rien d’exceptionnel en terme d’IA, n’étant concrètement qu’un chatbot comme on peut en trouver plein sur l’Internet pour s’amuser à dire des bêtises à un ordinateur. De l’autre côté, Event est un jeu narratif à l’ambiance passionnante, bâti sur son intelligence artificielle, qui est une mécanique narrative incroyable. Kaizen est – de ce point de vue – unique dans son interprétation et l’utilisation qu’est faite de l’IA pour créer, raconter et faire vivre une expérience captivante. L’appréciation de l’univers et de l’histoire d’Event est ainsi totalement dépendante de la curiosité du joueur mais aussi de sa capacité à se jouer des mécaniques et de Kaizen lui-même afin d’obtenir les informations voulues. Event n’est peut-être pas ce que j’attendais ou même ce que je voulais, mais c’est finalement peut-être mieux comme ça. Plutôt qu’une bête coquille servant de prétexte et de démo à une killer feature innovante, on se retrouve alors avec une aventure poignante, portée par une narration innovante, une killer feature particulièrement efficace dans les limites de cette aventure, une belle direction artistique et une ambiance particulièrement prenante.
Le jeu n’est pour l’instant disponible qu’en anglais (en restant assez simple à comprendre et à se faire comprendre), une traduction française étant prévue et devant arriver sous peu.