Choisir la voie de l’expérimentation, c’est risquer de se retrouver avec un bel objet, bancal mais éblouissant. Mu Cartographer n’échappe pas à ces complications et nous engage dans une aventure ésotérique et cérébrale, où chaque mécanique est un secret à percer. Point de vue god game et approche façon puzzle game, le jeu de Titouan Millet présente une interface unique, une carte circulaire au centre et divers boutons de chaque côté, pour la moduler et la parcourir. En plus de ces interrupteurs agissant sur la carte, une mini map, un appareil pour photographier et tweeter nos découvertes ainsi qu’un inventaire des éléments révélés.
Sans coeur
En les sélectionnant, un texte apparaît, exposant une narration souterraine dont il faudra démêler les tenants et aboutissants. Cryptiques en début de partie, ces écrits labyrinthiques nous entrainent à travers une histoire centrée sur ses personnages. Enivrante, la recherche ne cesse jamais d’être passionnante. Pas de doute, Titouan comprend tout du jeu, de ses subtilités et de son pouvoir d’attraction. Mais la fin de l’exploration laisse place à un poil de déception.
Mu Cartographer manque de cœur, ses personnages servent une idée trop meta pour être honnête. Contrairement aux grands jeux mystiques que sont Starseed Pilgrim et Mirrormoon EP ou Fez, Mu Cartographer cultive une attente, cache un secret qui n’amuse plus une fois dévoilé. Au final trop scolaire, cette aventure méritait plus d’amour et de personnalité pour décoller .
Sans corps ?
Comme j’ai pu l’énoncer plus haut, Mu Cartographer propose une dimension ludique sans faille. A condition d’ignorer le tuto’ proposé par Titouan sur youtube, vous trimerez des heures, sans relâche à pousser les divers boutons, avant de découvrir la combinaison miracle, débloquant tel objet, telle colorimétrie ou tel monument.
Ajoutons une suggestion déguisée en critique, Mu mérite un corps plus adapté. J’aimerais une interface débarrassée au maximum de tous ces ronds et cercles, j’aimerais pouvoir manipuler une véritable machine matérielle, organique, je ne veux pas de ce clavier trop sec et de cette souris trop froide. Il me faut un tableau de bord alien, rendant justice aux expérimentations du jeu. Ces boutons, je veux pouvoir les tripoter, sans intermédiaire classique.
Mais je parle ici du meilleur des mondes, celui où l’argent pousse sur les arbres, où les bons artistes plongent dans des piscines de pièces d’or. IRL, il faut bien reconnaître les limites dans la conception d’un dispositif impossible à livrer dans chaque foyer. Dans un univers intermédiaire, peut être verrons nous la naissance d’un Mu Cartographer 2.0 tournant dans les plus beaux festivals de jeux vidéo ?
Le géographe égaré
En attendant, revenons vers notre triste monde tragique illuminé un temps par Mu Cartographer. Avec ses énigmes touffues forgées dans des tentatives de narration dirigée par l’artiste, Mu efface pour de bon le débat -imaginaire?- entre narratologue et ludologue, entrelaçant prose et casse-tête, créant un jeu de ping pong entre ce duo tout à fait réconciliable puisque jamais franchement fâché.
Si la qualité du scénario fait défaut, l’architecture pandémoniaque génère un vertige stimulé par la géographie mouvante de cette carte aux couleurs hallucinogènes. Excité par ces boutons plissant les strates de cette terre méconnue, nous dessinons un nouveau jeu, suscité par l’appareil photo : élever la plus haute montagne, planer une vallée aux teintes cinglées, creuser des mers éthérées… Mu Cartographer sonde ses propres failles, reconnaît ses faiblesses en offrant une liberté saine au joueur perdu ou pantelant.
Aussi brinquebalant soit-il, le jeu de Titouan Millet fourrage de grandes idées, trébuche, tombe et se relève. Nous ne manquerons pas de saluer les risques pris à l’heure où beaucoup proclament la mort imminente des jeux vidéo indépendants. Si Mu Cartographer manque de corps et de cœur, il lui reste tout de même une âme.