Il y a des mélanges de genres qui surprennent et savent capter les curiosités. Honey Rose est de ceux-là : le jeu de Pehesse se présente en effet comme un visual novel croisé avec un jeu de combat. Intrigant, au bas mot audacieux, mais qu’est-ce-que ça donne concrètement ?
Des idées intéressantes
Il y a d’abord les idées et concepts derrière le jeu, ce qu’il raconte : Honey Rose place le joueur aux commandes de Red, une jeune fille en dernière année d’études qui a un rêve secret, à savoir rencontrer Big Blue, une combattante masquée (façon lucha libre) de renom. Et la rencontrer sur le ring, puisque dans Honey Rose, les tournois de lutte masquée sont extrêmement populaires et répandus ; ainsi Red mène une double-vie, étudiant pour se conformer à ce qu’attendent ses parents (et en particulier son biologiste de père), tout en prenant secrètement l’identité de la combattante Honey Rose lorsqu’elle revêt son masque. Le vrai rêve est là : vaincre dans l’arène jusqu’à la rencontre avec le monstre sacré qu’est Big Blue. Il lui faut alors mener au mieux cette double-vie, qui symbolise évidemment la vie pragmatique et contrôlée, à l’opposé des aspirations libres et de la fantaisie (le « extraordinaire » du titre). L’attendu et la folie.
Et puis évidemment, sur un troisième plan, il y a l’épanouissement social, les amitiés, les liens tissés avec les camarades de classe, avec les parents. Cet épanouissement n’est pas un objectif principal du jeu (qui pousse avant tout à obtenir son diplôme et parvenir jusqu’en finale du tournoi pour affronter Big Blue), même s’il représente un ensemble de buts annexes. A titre de comparaison, de nombreux jeux utilisant le même format visual novel font de la relation sociale leur quête ultime (c’est le cas du premier Dating Sim venu, comme Hatoful Boyfriend, par exemple). De par cette simple construction des objectifs, Honey Rose suggère donc que le sens de la vie, c’est le travail avant tout, le travail intellectuel et physique, le travail qui permet d’atteindre ses rêves, ou ceux que l’on fait pour nous. De quoi ternir ces rêves ?
Des combats décevants
Honey Rose : Under Fighter Extraordinaire prend la forme très convenue d’un visual novel de type Dating Sim. Le jeu est découpé en jours, qui se déroulent absolument tous de la même façon : on choisit d’aller en cours ou de les sécher, de s’entraîner ou de réviser, de chercher le travail solitaire ou la compagnie de ses amis. Rien de nouveau côté visual novel, l’originalité du jeu vient plutôt des phases de combat : lorsque l’on s’entraîne avec Coach, ou lorsqu’il faut livrer combat dans le cadre du tournoi, on entre en mode baston 2D. Et on se bat alors réellement comme dans un Street Fighter. Sauf que les contrôles sont absurdes et la fluidité de jeu bancale.
Peut-être pour nous placer dans la peau de qui a véritablement besoin de s’entraîner (le terme « underdog » n’est pas là pour rien), les commandes en combat sont tout sauf intuitives et nécessitent effectivement un apprentissage : un bouton sert à la fois à se baisser (mais ce n’est pas la flèche du bas) et à donner un coup de pied (si on se baisse en même temps… avec la flèche du bas), ou alors un coup de poing (si l’on saute). OK… ? La maniabilité n’est pas agréable et s’avère même assez pénible lorsqu’il faut se retourner (certains combats le demandent), ce qui amène rapidement à se dire que cette séduisante idée de mix des genres aurait grandement gagné à voir le genre Baston être correctement maîtrisé. D’autant que les combats peuvent se faire nombreux. Trop nombreux.
Des combats des combats des combats longs et décevants
On cherche évidemment souvent à se rendre auprès de Coach, histoire de s’entraîner et d’améliorer ses performances. On prend donc notre costume de catcheuse avec nous (costume et masque sont indispensables : personne ne doit connaître notre secret), et on se rend en ville. Et là… Malgré des couleurs plutôt vives, Honey Rose semble se dérouler dans une ville de type Gotham City, où le crime rode partout. Souvent, très souvent, des voleurs viennent nous chiper notre costume. On leur court après, et s’ensuit un combat interminable contre 4 ou 5 d’entre eux. Hop, on récupère le costume. Devinez donc qui l’on risque fort de croiser 2 ou 3 jours plus tard lorsqu’on voudra à nouveau aller voir Coach ? Les mêmes gaillards, tout à fait. On ne sait pas trop qui est le plus idiot dans l’affaire : Red, incapable de se cramponner à son sac alors qu’elle a bien fini par comprendre que les rues sont infestées de voleurs, ou les voleurs en question, qui en fait sont toujours les mêmes, et qui ne comprennent pas qu’ils vont se faire tabasser pour la énième fois (et qui s’évertuent à voler un costume de catch féminin, sérieusement ?).
Le pire étant qu’il n’y a pas que les rues qui sont mal famées. L’université aussi. Red peut en effet amener son costume à l’école pour l’enfiler et s’entraîner dans la salle de gym sans éveiller les soupçons (oui, s’entraîner masquée semble moins louche que de faire quelques exercices physiques à visage découvert, mais passons). Sauf que les chances de rencontrer quelques mauvais bougres ne sont pas négligeables, et il peut là aussi s’ensuivre un affrontement long et ennuyeux contre plusieurs adversaires, qui seront tout aussi crétins que les voleurs évoqués plus haut et continueront à ennuyer Red par la suite. Aucun proviseur dans les parages pour les exclure, aucune justice…
Du visual novel sinusoïdal
Qui dit visual novel, dit narration. Le jeu raconte quelque chose. Quelque part, les combats rébarbatifs pourraient être interprétés comme la lassitude du labeur et de l’entraînement (on n’ira toutefois pas jusqu’à supposer que c’était bien là le but). Que donne alors le volet purement visual novel ? Malheureusement… comme on l’a dit, rien de transcendant. Chaque journée est construite rigoureusement de la même façon que la précédente, que la suivante. Bien sûr on peut choisir de faire des choses différentes, mais le jeu ne vient jamais introduire une quelconque surprise : la vie est réglée, tristement réglée. Elle est si tristement réglée, entre les discours des profs et les conversations anodines du soir avec les parents, qu’on en vient vite à lire en diagonale, à passer quelques dialogues dont on sait pertinemment qu’ils n’ont rien à apporter. La vie est ennuyeuse. Pire, il arrive régulièrement que des séquences se répètent, un peu comme les combats avec les voleurs : le smalltalk du soir avec les parents tourne un peu en boucle, par exemple. La vie ressasse sans arrêt les mêmes choses.
Alors Honey Rose : Underdog Fighter Extraordinaire se fait long. On s’ennuie, on se demande quand il va se passer quelque chose. On se focalise sur les objectifs : on étudie, on s’entraîne. On laisse les amis de côté (de toute façon, l’écriture des personnages ne nous a pas donné envie d’apprendre à mieux les connaître). En fait, on s’enferme sur soi-même pour parvenir à la fin du jeu ; au rêve. Et puis, un mois avant les examens finaux, c’est la finale du tournoi. On y est, bien sûr. Et, évidemment, on affronte Big Blue. Le rêve s’accomplit, après avoir surmonté toutes ces épreuves (le travail autant que l’ennui, dans et en dehors du jeu). Et puis… et puis Honey Rose se fait brusquement captivant, pertinent. Que se passe-t-il une fois le rêve atteint ? Une fois l’objectif ultime rempli ? D’ordinaire, les jeux s’arrêtent au moment de l’accomplissement, ou plutôt juste après celui-ci. Mais ici, il reste environ 1/6è du jeu à faire. Et on s’interroge. C’était quoi, ce rêve ? Qu’y avait-il derrière ? Que cherchait-on réellement ? Et à présent, que faire ? Il y a du désarroi, de l’impuissance, du désabusement. Tous les défauts du jeu, bien qu’ils restent avant tout des défauts, prennent étrangement sens dans les réactions de Red. Un sens inattendu et sombre, plutôt triste ; rêver est difficile, bien plus difficile que le bête pragmatisme pour lequel on nous programme tous.
Honey Rose : Underdog Fighter Extraordinaire s’avançait plein de promesses, avec son concept étrange et délirant de visual novel/jeu de combat. S’il s’avère décevant sur bien des plans, il parvient curieusement à se montrer intéressant dans son discours, presque malgré lui. Sur la fin, l’expérience se fait réellement atypique et bienvenue. On ne la conseillera toutefois qu’aux plus curieux. (d’un autre côté, c’est gratuit, alors autant essayer, pour voir…)