Plutôt que de s’enfuir, Pendulo préfère revenir en arrière en remplissant les trous dans la mémoire de son immortel de John. Yesterday Origins, c’est une suite, non, une préquelle, non une suite dans une préquelle. Ou quelque chose dans le genre. Honnêtement, entre le passé, le présent et un futur compromis pour nos héros, on ne sait pas trop où veut vraiment nous emmener le studio ibérique. On dirait parfois que eux non plus d’ailleurs.
Un peu gluant mais appétissant
Sortie sur consoles oblige et tout en gardant les spécificités de son aîné, Yesterday Origins se joue à la manette plutôt qu’à la souris. Objectivement, le mulot s’y manie péniblement. Du coup, on lui préfèrera sans difficulté le pad, malgré l’imprécision de ses contrôles. L’inventaire est quant à lui plutôt bien pensé pour réagir aux cliquetis des boutons de notre manette. Il conserve également la même patte artistique que son prédécesseur à quelques concessions près. Le style Pendulo reste le style Pendulo, sauf que cette fois-ci, les décors sont plus finement détaillés. C’est avec regret que l’on remarquera que le rendu est un petit peu moins bande-dessinée qu’auparavant. Surtout que techniquement, c’est du tout ou rien. C’est parfois très agréable à l’œil, à d’autre moment assez quelconque.
On a un peu l’impression que certains décors ont été moins fignolés que d’autres, tandis qu’un regard sur le premier Yesterday nous fera demander si ce dernier n’était en définitive pas plus réussi dans ce département, ou tout du moins, plus équilibré et plus solide graphiquement parlant. Non pas que Yesterday Origins soit vilain à regarder. C’est juste qu’il arrive difficilement à impressionner. Hormis quelques exceptions, il n’y a en définitive pas vraiment ou peu de lieux qui y soient marquants. C’est assez dommageable, car cela lui coûte ce supplément d’âme et d’atmosphère qu’un bon décor est capable de lui apporter. Dans sa globalité, Origins se maintient honnêtement dans le milieu du panier, voire le haut du panier, mais n’impressionnera guère.
Heureusement, les graphismes ne font pas tout. On appréciera la présence d’un doublage français ou anglais, tout deux plutôt réussis dans leur genre. Quelque chose d’assez rare à la fois dans le jeu vidéo et dans la langue de Molière. Malgré un certain manque de constance dans le jeu des acteurs, je n’en tiendrai que moyennement rigueur à Pendulo, tant certains titres ces derniers temps tendent à me frustrer énormément de par la platitude ou la médiocrité de leur doublage. Et puis si l’histoire et les énigmes tiennent la route, ça devrait aller, non ? Pour être tout à fait honnête, ce n’est pourtant pas exactement toujours la panacée de ce côté-là. Il est jouable de bout en bout sans accroc majeur, ça c’est un fait. Il est même plutôt agréable manette en main. Les énigmes y sont en général logiques et son intrigue se permet quelques rebondissements avec des morceaux intéressants sur le passé de John.
L’histoire ici veut nous conter celle d’un jeune adolescent, fils de duc, et, accusé par l’inquisition espagnole au XVIème siècle d’être l’engeance de Satan. Un moine du nom de Gines prêtera alors secours à celui qui se fera connaître quelques cinq cents années plus tard comme étant John Yesterday. Le premier épisode nous racontait comment un homme pouvait revenir sans cesse à la vie, avec pour seul défaut de voir sa mémoire se remettre à zéro à chaque trépas. Pourtant, tout ne nous avait visiblement pas été dit. Il restait des zones d’ombres sur ses vies passées, et notamment sur les origines de son immortalité. D’où le titre, et d’où l’intérêt de nous en conter les tenants et les aboutissants.
Une origins story de plus
Ainsi, on y voguera entre le présent d’un John en couple avec Pauline Petit, vivant entre leur appartement parisien et leur commerce d’antiquités. Une vie presque normale en apparence avec ses problèmes d’argent et ses discussions de bébés, si on omet le fait que ces deux-là ne peuvent décéder. D’ailleurs, dans un trait d’humour cynique propre à la série ou à Pendulo tout court, on assiste à une scène de tous les jours. Si tous les jours pour vous veut dire voir votre petite amie se tirer une balle entre les deux yeux pendant sa douche, pour ensuite revenir d’entre les morts plus jeune et quelques rides en moins. Un humour noir qui va de pair avec la tonalité très adulte de certains dialogues n’hésitant pas à parler fesses, quand il ne s’agit pas simplement de parler relations de couples.
Ces passages contemporains sont l’occasion de rapprocher un peu plus Pauline et John au travers des obstacles qu’ils devront surmonter ensemble, sauf qu’il y a quelques hics. Tandis que ces deux-là sont assez correctement développés – plus John que sa moitié pour être exact – d’autres sont laissés pour compte. A l’image du grand méchant loup de cette nouvelle intrigue, mais plus encore Boris, l’ami déjanté de John. Sa propre détresse est traitée de façon superficielle. Beaucoup trop à mon goût. Bien évidemment il n’était pas possible de traiter tout ce monde sur le même pied d’égalité, mais le propre d’un grand point and click est de ne pas négliger aussi bien le moindre de ses personnages, aussi secondaires fussent-ils, que ses énigmes, cœur de son gameplay. Il en vient ainsi cette sensation que certains personnages sont juste là pour remplir le vide d’un scénario qui résonne plus comme un addendum au premier qu’à une véritable suite.
Le développement de Yesterday Origins passe ainsi par des allers et retours dans un passé lointain, à mesure que John se remémore les moments importants de ses précédentes identités. Dans ce qui constitue de loin les meilleurs passages de cette aventure, on découvrira les raisons qui l’ont conduit à devenir un immortel, le faisant passer par une abbaye ou un culte sataniste. On y verra aussi la relation étrange qu’ont entretenu John et Gines. Tandis que le présent ne servira principalement qu’à y dérouler le tapis rouge pour un final rocambolesque peut-être plus inattendu que prévu. Il en va de ces échanges entre deux époques très différentes l’une de l’autre, un déséquilibre apparent dans la narration. Yesterday Origins vivote ainsi entre un présent presque soporifique en comparaison de ses origines racontées avec plus de passion et d’intérêt. Attendez-vous à un voyage dans des montagnes russes de l’intensité émotionnelle, avec ses hauts et ses bas.
Ce n’est cependant pas les énigmes qui vont sauver grand chose. Tout en restant assez logiques, elles apportent l’utilisation de la 3D pour pouvoir observer et manipuler dans tous les sens les multiples objets que l’on ramassera. Mais la plus importante des nouveautés restent l’ajout d’un élément plus conceptuel. Par l’observation des objets en question, d’un élément du décor ou par le dialogue, John et cie vont acquérir des idées ou des informations qui combinées de façon adéquate avec les bons objets, vont vous permettre de débloquer certaines situations en nous poussant à réfléchir beaucoup plus sur les relations de causes à effet, plutôt que de se la jouer McGyver. En surface seulement, car ce concept n’est pas encore assez développé pour parler de véritable révolution dans ce qui reste un point and click assez classique dans le fond, et linéaire d’un point de vue narratif.
Des pour et des contres
Yesterday Origins est ainsi fait. On sent quelque part sous les zéros et les uns, un studio qui cherche un renouveau. Il y a dans tout cela la tentative de proposer un regard neuf sur le jeu d’aventure en voulant rafraîchir ses codes, notamment par sa façon d’aborder les puzzles propres au genre. De ce point de vue, il sait rester concret et logique, et évite de trop souvent tomber dans l’absurde de certains de ses congénères. Néanmoins, malgré toute la bonne volonté de Pendulo, ce n’est pas vraiment de ce côté-là qu’il pêche. Parfois la résolution de certaines énigmes confinent à la rigidité la plus frustrante qui soit, comme par exemple de ne pouvoir associer deux objets ensemble que dans un sens et pas dans l’autre, comme si cela allait changer quoi que ce soit.
Cela ne suffit pourtant pas, à mesure que l’histoire progresse, des fêlures deviennent impossibles à ignorer. L’intrigue est trop maigre pour supporter un jeu pourtant plus long que son aîné en affichant une huitaine d’heures au compteur. Il en résulte ce terrible déséquilibre permanent d’un jeu qui passe d’une scène réussie à un autre nettement moins passionnante. Ce qui manque à Yesterday Origins, c’est très clairement de plus temps et de finition. A bien des égards, même s’il a ses qualités, j’en suis venu à me demander si Yesterday tout court, ne lui était tout simplement pas supérieur en tout point. Et pourtant ce dernier était lui aussi conjugué à l’imparfait.
Yesterday Origins n’était sans doute pas nécessaire. Pendulo avait très certainement plus intéressant à développer comme suite. S’il n’est pas pour autant mauvais, il est dans son ensemble mal équilibré dans sa direction artistique comme dans son scénario et l’intérêt de certaines scènes. Il reste au final un jeu d’aventure qui dans sa globalité fonctionne et se laisse jouer sans pour autant étonner, ou réellement nous passionner plus que de raison.