Ryu Ga Gotoku de Sega, plus connu sous nos latitudes en tant que série des Yakuza, revient avec son épisode zéro près de deux ans après sa sortie au Japon, nous racontant des événements fondateurs pour deux de ses personnages les plus importants. Les Yakuza n’ont malheureusement pas toujours eu de chance avec le public occidental, alors qu’ils rencontrent un heureux succès en Asie, et plus spécialement dans leur pays d’origine. Pourtant, derrière leur côté feuilletonnesque et populaire se cache des jeux d’action et d’aventure qui savent être redoutables, servis en général par une bonne histoire de manigances en tout genre, où s’entremêle passion et tension.
Honneur et trahison
Ryu Ga Gotoku 0, ou Yakuza Zero chez nous, prend pied au Japon à l’époque faste des années 80, au milieu des enseignes lumineuses de Kamurocho, un quartier fictionnel de Tokyo s’inspirant de ceux de Kabukicho et Shinjuku Golden. C’est là qu’on y retrouvera une figure connue de la série en la personne de Kiryu Kazuma. Ce dernier est ici bien jeune et inexpérimenté alors qu’il n’est encore qu’à ses débuts en tant que membre de la pègre locale. Il va se retrouver très vite dans la tourmente après avoir violemment rossé un civil qui devait une forte somme d’argent à un prêteur sur gage un tantinet véreux. Ça ne sera non pas pour coups et blessures, mais plutôt pour meurtre. Dès lors emporté dans une spirale infernale, sa famille criminelle lui fera porter le chapeau alors même qu’il se défend de l’avoir commis. Il faut se dire que ce meurtre marque d’une ombre la famille Dojima dont il fait parti, mais également Shintaro Kazama qui en est le capitaine – figure paternelle à ses yeux – puisque c’est ce dernier qui l’avait alors introduit au monde des yakuzas des suites de son insistance à en faire parti. Par effet domino, cet acte répréhensible ayant été commis sur un lopin de terre certes ridicule d’aspect et pourtant stratégiquement d’importance, aura un impact lourd de conséquences sur les ambitions immobilières de la famille Dojima dans ce secteur. Argent, pouvoir et manipulation feront partie intégrante d’un scénario rondement mené.
Un peu plus loin dans un tout autre quartier à Osaka, Goro Majima se présente comme le directeur d’un célèbre cabaret. Cependant, derrière les courbettes polies faites à ses clients se cache un ex-yakuza, rejeté par sa famille pour avoir osé défier les ordres de son supérieur. Il fut alors torturé avant d’être définitivement coupé de sa famille criminelle. Depuis, il ne ménage pas ses efforts pour que le succès du cabaret dont il est responsable lui fasse regagner sa place auprès du seul endroit trouvant grâce à ses yeux. Car pour lui, cette ville et cette nouvelle vie ne sont que des prisons dans lesquelles il ne trouve pas satisfaction. Pourtant, tout l’argent du monde n’arriveront pas à lui faire retrouver sa place d’antan. La seule porte de sortie à sa situation, ou plutôt dans son cas, sa seule porte d’entrée se trouvera dans l’assassinat d’un individu, d’un civil, ce qui n’est jamais mince affaire au Japon, même pour les yakuzas. Majima ne connaît rien de sa future victime, mais sa motivation pour retourner à ce qu’il considère comme sa véritable place est belle et bien là. Elle ne sera cependant que de courte durée jusqu’à ce que le destin le fasse se questionner juste après avoir rencontré la personne qu’il devait tuer. Perdu dans ses incertitudes, Majima va devoir réfléchir à ce qu’il désire réellement pour lui-même.
Yakuza Zero jouit d’un excellent scénario. Il y a tout dedans, que ce soit de la passion, de l’émotion, de l’action et même des moments de réflexion profonde. La mise en scène est riche en séquences cinématiques. Il faut aimer les dialogues nombreux et écrits au diapason d’une rythmique scénaristique maîtrisée. On sent derrière les années d’expérience passées sur ce sujet qui font de Zero une sorte d’épisode condensé du meilleur de la série. Si tous les dialogues n’y sont d’ailleurs pas doublés, ceux qui le sont bénéficient d’un jeu d’acteur intense et théâtral tout en ne se départant aucunement d’une certaine subtilité servie aussi bien par des non-dits que par des dialogues au diapason. On alterne entre des scènes de grande éloquence typique du cinéma de genre japonais, et d’autre totalement à l’opposé. Sans rentrer dans une critique digne d’un Télérama, ce Yakuza parvient à offrir une intrigue digne d’intérêt où les apparences sont souvent trompeuses, et les situations aussi complexes que ses personnages ayant parfois plusieurs visages. Une complexité d’ailleurs trop rare dans le jeu vidéo, voire même au cinéma pour être boudé. Mais derrière le voile écrasant d’un univers très codifié, il y a aussi la réalité. Comme un Grand Theft Auto jouant énormément sur les clichés et les références cinématographiques, ici réduit au spectre de la culture nippone, Yakuza reste pourtant plus circonstancié que ce dernier et propose en définitive une histoire plus réfléchie.
Alors que dans le titre de Rockstar, on peut massacrer à tour de bras, chaque vie ôtée dans un Yakuza est remplie de sens. Le meurtre ni semble absolument pas gratuit. Ce n’est pas une critique réelle envers Grand Theft Auto qui est de toute façon construit comme un miroir déformé de la société américaine posé sur un ton très satirique. Les Ryu Ga Gotoku se racontent eux comme un parallèle de la société japonaise. Leur but est par conséquent différent. Derrière les règles qui régissent le monde de la pègre japonaise se trouve en vérité un microcosme qui se vit presque comme le reflet du Japon lui-même, entre ses vérités et ses contradictions. Les Yakuza, et celui-ci n’y fait pas exception, sont beaucoup plus encrés dans la réalité. Malgré un humour parfois décalé, malgré quelques passages un brin grivois, ils savent aussi nous raconter une histoire qui outre le fait d’être passionnante, sait parler de ses personnages en ayant du respect pour eux, en leur octroyant un agencement dans celle-ci qui ne les rend pas creux, mais au contraire, leur permet de montrer de multiples facettes et d’en faire des êtres réellement complexes, humains.
La rue est votre ring
Techniquement par ailleurs, Yakuza Zero se maintient honorablement. On y voit malgré tout les stigmates d’un jeu au développement parallèle sur deux plateformes, la PS3 et la PS4. Il accuse ainsi, surtout deux après sa sortie sur le territoire japonais, d’un retard technologique évident. Et pourtant, grâce à un souci du détail qui frôle parfois l’obsession, et ceux malgré certaines textures un peu baveuses, dans sa globalité, il affiche de jolis décors. Un peu moins en ce qui concerne les personnages très secondaires aux animations faciales souvent figées, sans oublier le niveau de détail de leur visage ou de leur vêture qui ne tient que très peu la comparaison face aux principaux acteurs de cette affaire. C’est surtout dans ces moments-là que Zero accuse de son moteur vieillissant. Derrière la technique pure, on y retrouve cependant une esthétique réussie qui parvient à donner corps à son univers. Si on met de côté certains aspects délirants de ce jeu qui ont tendance à nous sortir de l’atmosphère pourtant sérieuse de son scénario, on se retrouve avec un jeu parfaitement immersif et crédible dans sa retranscription d’un Japon des années 80. Mais pas seulement, car à côté de sa trame principale, vont s’inscrire dans un jeu allant au-delà d’une simple intrigue obnubilée par le crime organisé, une multitudes d’activités qui n’hésiteront pas à faire sortir nos héros de leurs sentiers battus.
Il faut prendre les Yakuza comme des beat them all avec une dose d’aventure plus prononcée. Si jouer des pieds et des poings est au cœur de ce qu’il propose, il y a autour une multitude d’éléments qui vont lui donner corps. Tout d’abord, il y a la manière dont son monde est construit. En se réduisant à un quartier, il se veut plus intimiste en rendant chacune de ses rues plus familières. On s’y balade alors dans des rues de taille modeste entièrement ouvertes mais enfermées entre quatre grands murs invisibles symbolisés par des axes de circulation. Au gré de nos pérégrinations, on se verra interpellé sur des missions secondaires qui apporteront une lumière nouvelle sur ces morceaux de béton et leurs habitants ; un nouveau regard plus personnel sur des tranches de vie qui tendent à s’intéresser à des gens plus simples et pas forcément liés aux yakuzas ou à la criminalité en général. Yakuza Zero essaye de raconter autre chose au travers de ces petits moments de la vie quotidienne plutôt que de rester dans sa bulle. Une approche intéressante dans un sens, et très japonais dans l’esprit, même si cela ne les empêche pas à côté d’y intégrer aussi une petite dose de grivois par endroit, ou un un ton humoristique décalé.
Là où de précédents épisodes pouvaient proposer un choix plus étendu en terme de personnages jouables, Zero se focalise seulement sur deux individus. Pour compenser ce casting réduit, chacun d’entre eux pourra maîtriser jusqu’à quatre styles de combat ayant chacun leur propres ensembles de mouvements spécifiques. Outre celui assez basique qui consiste à utiliser divers types d’armes, les trois autres seront un mélange d’arts martiaux et de techniques de rue. Que cela soit pour Majima ou Kiryu, ils peuvent se battre à l’aide d’un style de combat rapide, ou un autre plus porté sur la puissance et par conséquent plus lent, le troisième étant par définition le plus équilibré entre ses deux variantes. Lors de chaque affrontement, il est alors possible de passer d’un style à l’autre très rapidement, tandis que l’argent amassé lorsque l’on en sort vainqueur permettra d’en débloquer diverses améliorations comme augmenter la barre de vie de nos héros, la puissance de leurs attaques, ou justement de nouvelles combinaisons pour celles-ci. Bref, pour les rendre plus forts et flexibles que jamais.
Car la baston les attend littéralement à tous les coins de rues comme si nous étions dans un donjon de Final Fantasy. La transition est heureusement fluide et immédiate sans temps de chargement. Yakuzas, voyous, bikers voire poivrots ; on peut dire que nos héros semblent loin d’être appréciés par la communauté criminelle de leur ville respective. En plus de tout ça et des nombreux voyous qui voudront croiser les poings avec votre personne, vous aurez plusieurs rôles à remplir tel que agent immobilier pour l’un ou gérant de boîtes d’hôtesses pour l’autre. Présentés sous forme de mini-jeux de gestion et de réflexion, ils s’avèrent en fin de compte plutôt addictifs et se permettent de donner à Yakuza Zero ce qui fait tant défaut à la plupart des jeux d’action en monde ouvert de nos jours. Ils permettent ainsi d’une certaine manière d’avoir une forme influence, peut-être encore superficielle, sur l’environnement du jeu. Et si cela n’était pas suffisant à vos yeux, il vous serait toujours possible de faire du bowling, une partie de Shogi ou de tâter de l’aluminium en allant taper dans quelques balles de baseball. Ou bien encore vous taper un copieux repas dans un des nombreux restaurants et bars du jeu, pour finir une séance au karaoké comme tout japonais qui se respecte. Voire dans un élan digne de la fièvre du samedi soir, vous pourrez enflammer les planches de votre déhanché ravageur dans un mini-jeu rythmique.
Riche en contenu, il est possible de passer des dizaines d’heures rien qu’en se concentrant sur le scénario principal et beaucoup d’autres encore en n’en faisant tous les à-côtés. La seule véritable ombre au tableau est malheureusement due à la nature même de Yakuza Zero. Il est semblable à une bonne partie de la production vidéo-ludique nippone qui n’a pas su, ou n’a pas pu faire la transition vers plus de modernité. Techniquement en retard et encore bardé de certains éléments de gameplay vieillissants, cet épisode zéro se retrouve coincé en arrière. On y retrouve le savoir faire du jeu vidéo japonais à l’ancienne avec tout de même au final un jeu qui sait être généreux avec ses joueurs. Il demeure malgré tout un excellent titre au scénario passionnant, aux bastons copieuses et jouissives de par leur dynamisme et la variété des styles, tout en étant couplé à une direction artistique soignée qui vient compenser ses quelques lacunes techniques. Que vous soyez fans ou pas, il serait bon de lui laisser sa chance. Il vaut le coup.