Retour au Screenshake après une agréable édition 2016. Petit rappel, le Screenshake est ce festival belge, planté à Anvers, humanisant et défendant le jeu vidéo indépendant, loin des gros salons. Cette année, pas de grandes exceptions mais une amélioration notable concernant la curation et la scénographie.
Orchestrée par Zuraida « Zo ii » Buter, organisatrice pour le festival hollandais Playful Arts, l’exposition principale offrait une belle sélection de jeux, aussi bien expérimentaux que narratifs ou abordables. Entre les rondins de bois comme sièges, les jeux aux dispositifs divers (VR couchée, animaux jouets, pylônes tournoyants…), le public pouvait déambuler, jouer debout, assis…
Tumbleseed
A mes yeux, l’un des jeux les plus marquants fut Tumbleseed. Avoider vertical parsemé de combats succincts, cette grande aventure nous place aux commandes d’une planche sur laquelle nous soutenons une petite graine roulante. Les joysticks gauche/droite contrôlant chacun des cotés de la planche. La monter, la descendre permet de progresser tout en esquivant les trous et embûches. A partir de ce principe ingénieux se déploie une belle proposition esthétique, épaulé par un second plan vivant. Nul doute que Tumbleseed saura convaincre.
Beasts Of Balance
Autre merveille colorée, Beasts Of Balance d’Alex Fleetwood et George Buckenham. Version high tech de Badaboum ! et Pyjama Party, Beasts Of Balance propose de développer un écosystème en élevant une tour de bêtes en plastique. A l’écran, nous avons notre faune, à l’arrière un volcan menaçant. Face à nous, une balance, des pièces animaux, des formes géométriques et la possibilité de faire grimper son score, de fusionner ces êtres, de déclencher des migrations… A condition d’être adroit et habile. Superbe réconciliation entre tangible et numérique, Beasts Of Balance
exploite à merveille les avantages des deux supports, provoquant surprises et amusements lors de la création de bêtes inattendues, nous forçant à la patience, attentifs à chacun de nos propres mouvements.
Catacomb Of Solaris
Retour à la manette classique avec Catacomb Of Solaris d’Ian MacLarty. A travers un labyrinthe de glitches psychédéliques, nous cherchons à nous perdre, créer des couleurs, des mosaïques, des tableaux abstraits… Découvert il y a quelques temps sur le net, je n’avais pas été très convaincu par la démonstration, imaginant un faible enfant d’Increpare, un walking simulator attrapant le train en marche. Mais joué, visionné sur un vidéoprojecteur, cadré dans une exposition, Catacomb of Solaris gagne pas mal en prestance.
Les parois deviennent des œuvres, des fresques infinies où l’oeil s’égare, où un mur se change en fente… Nous nous insérons alors, nous retournons sur nos pas, sans le savoir. Ou est ce un nouveau chemin ? Ode à l’errance, Catacomb Of Solaris révèle son pouvoir à celle ou celui qui lui consacrera un peu de son attention et de son temps.
Everything
Et à l’inverse, nous avions Everything, bouse intersidérale, boursouflée et vaine, empruntant un chemin qu’aucun indé ne doit arpenter. Comme la plus prétentieuse des œuvres contemporaines, Everything se barde d’une note d’intention en décalage totale avec les mécaniques proposées au sein du jeu. Vous êtes censé entrer en empathie avec chaque forme de vie, de non vie : astre, faune, flore etc. Problème, comment adopter chaque point de vue lorsque les interactions sont à identiques à chaque fois ?
Une fleur, un immeuble, un caillou agissant comme une vache… Que reste il de la pertinence du propos formulé ?
L’espace Sokpop
Au dessus de cette chouette exposition régnait Sokpop, jeune collectif néérlandais inspiré par les couleurs de Klondike et la folie enfantine de Keita Takahashi. L’esprit créateur de Katamari Damacy les accompagna d’ailleurs dans la conception de cette exposition, leur offrant Alphabet, fruit d’une collaboration avec Adam Saltsman et joli runner intelligemment pédagogique.
La suite tenait sous un fort de couverture géant peut être inspiré par l’épisode de Community, « Conspiracy Theories and Soft Defenses ». En progressant, perdu au milieu des couvertures, le joueur pouvait se faire avoir par un point d’interrogation, le coinçant entre un écran et des jumelles suspendue par des cordes à l’autre bout du couloir de tissu. Alors, il fallait faire demi tour, remonter jusqu’aux jumelles et poser son regard dans l’appareil pour jouer à Hidden Folks, mignon « Où est Charlie » crayonné.
A l’opposé se trouvait Digital Bird Playground, party game bac à sable et open world. Installés sur des coussins, séparés par un rideau, deux duos pouvaient s’encanailler -à pattes palmées ou à vélo- sur un terrain de jeux pour canards. Un seul lieu, plusieurs sports. Football, bikeball, basketball, grenouille-basketball… Digital Bird Playground nous laisse maître de nos joujoux, invitant aux combinaisons et trouvailles…
Le visiteur fatigué pouvait s’écrouler sur Kamer. Dans une chambre d’étudiant, vous rêvassez, sortez de la pièce et explorez des champs, un puit… Un son se déclenche et vous vous réveillez dans votre chambre de nouveau, le bruit faisant écho à un objet dans la pièce. Fidèle à la légèreté des jeux Sokpop, Kamer convoque ce raccord sonore qui, dans les films, réveille le personnage d’un dring, d’un sifflement… La pureté de la mise en scène cristallise le début de maîtrise du jeune collectif.
Regroupant un conglomérat de talents (Aran Koning, Tijmen Tio, Tom van den Boogaart et Rubna), Sokpop rappelle que la scène néérlandaise est bien vivace et qu’il existe chez les bataves un terreau de talents que nous ne saurions renier.
The incredible playable show
Et pour clore en beauté cet article, causons de l’Incredible Playable Show d’Alistair Aitcheson. Installé dans la salle de concert, Alistair sur scène, déguisé en maitre forain, le public pouvait prendre part à toute une belle série de jeux physiques et numériques.
En introduction, un sonic coop géant. Sur l’estrade, un joueur contrôlait les jambes du hérisson, dans la fosse, le public devait hurler pour lui permettre de sauter. Arrivé au boss, la foule en délire commençait à prendre le rythme mais c’était compter l’intrusion au premier rang de méchants trolls, provoquant des sauts inopportuns, accélérant la victoire de robotnik….
S’ensuivit une succession de délires, à commencer par un simulateur de caissier.e. les joueu.r.se.s étaient divisés en groupes de gilets colorés, chacun muni d’un code barre et d’un numéro. Un chef, le « manager », choisit au hasard devait biper ses frères de couleur en répondant à des consignes affichées à l’écran, chaque code barre correspondant à des symboles, des chiffres…
Répondant à un imaginaire plus geek mais tout aussi décalé, la partie Power Rangers. Un grand chef et trois coéquipiers étaient chargés par le MJ Alistair de sauver le monde d’attaques de monstres. A chaque agression, le leader devait toucher les ceintures colorés des différents rangers, répondant aux consignes lancées à l’écran. Pour les rangers, un gage. Macaréna, cache cache… De quoi emplir l’espace et transformer la salle de concert en repaire pour grands enfants tarés.
Enfin, clou du spectacle, la grande œuvre d’Alistair, le Codex Bash, déjà présenté dans divers grands festivals comme Indiecade ou A MAZE. Cousin de Keep Talking And Nobody Explode, Codex Bash invite quatre joueurs à presser de gros boutons colorés en obéissant à une série d’énigmes. Prolongement cohérent des précédentes attractions made in Incredible Playable Show, le public hurlait rouge, bleu, jaune ou vert pour aiguiller les quatre joueurs hagards.
Belle animation, belle façon d’insister sur les qualités sociales du jeu vidéo, The Incredible Playable Show sacralise l’interaction, l’action, le geste et la joie de voir des adultes courir dans tous les sens. Des peuples, des jeux, de quoi émerveiller le passant déprimé des gros salons.
Gardons d’ailleurs ce slogan, non seulement pour le spectacle d’Alistair, mais aussi pour l’ensemble du Screenshake 2017. L’équipe de The House of Indie progresse, améliore sa formule en créant et proposant de nouvelles animations. Si le milieu du jeu vidéo indépendant pouvait rester dans cette magnifique pose, enfermé dans ce petit paradis pour développeur et passionné de tout poil, il serait difficile de râler.
Bien entendu, nous pourrions trouver des défauts. La population reste blanche, issue du même nid socio-culturelle, la diversité n’existe pas ou peu. La parité commence tout juste à se consolider, constituant un barrage possible contre une possible invasion alt right… Mais que restera t il de tout ça dans dix ans ? Impossible à dire, maintenons le cap et observons.