C’est la fin. D’entrée de jeu, l’histoire de « Enigma : » ne nous laisse quasiment aucun espoir d’entrevoir une issue heureuse pour son héros, Chester. Malgré sa fin proche, ce blondinet nonchalant au sourire apaisant, à l’empathie prononcée et à la personnalité étrangement attirante ne semble pourtant pas triste. Il va mourir et semble pourtant, d’une manière incroyablement calme, l’accepter. Car il le sait : depuis qu’il a contracté Enigma, une maladie cruelle et incurable, il ne lui reste plus longtemps sur cette Terre. Quelques jours tout au plus au moment où commence le jeu. Et c’est sur cette drôle d’ambiance et au son d’une douce musique au piano qu’on se lance dans la lecture de ce très attachant visual novel qu’est « Enigma: ».
Il fouine Chester.
L’ambiance justement, c’est là la principale force de cette belle histoire qui alternera sourires et larmes. Mais pour mieux vous expliquer l’univers de « Enigma: », je me dois de vous en dire un peu plus sur la destinée de son héros. Chester n’a pas seulement la malchance d’être mourant, il est également victime d’un accident de bateau en pleine tempête. Petite contrepartie à ce destin décidément tragique, il sera sauvé de la noyade par Lauro et sa sœur Colette, un duo vivant sur une île isolée et oubliée du reste du monde, qui le récupéreront en bien mauvais état.
A partir de là, l’histoire s’installe véritablement lorsque, appelée par Colette, Greta, une herboriste sarcastique, soigne Chester de ses blessures. Une fois Colette éloignée, Greta révélera à Chester qu’elle a découvert sa vraie condition mais se gardera de le raconter aux autres. Retapé peu après, Chester se mettra alors à fouiner cette drôle d’île sans nom où d’autres personnages ayant chacun un degré plus ou moins fort d’étrangeté. Abandonnée, la population de l’île semble elle aussi étrangement résiliente à sa destinée. Mais Chester trouvera aussi une drôle de grotte où il ne faut pas aller, des habitants qui semblent l’ignorer, une cohabitation plus qu’étrange entre une forêt décolorée et une autre emplie de couleurs, entre autres choses. Je m’arrêterais là car, comme pour beaucoup d’histoires, ce voyage doux-amer est d’autant plus beau qu’on le fait avec l’insouciance joyeuse de l’ignorance.
16 fins, ça se mange sans faim.
Rassurez-vous toutefois, si le côté mourant qui caractérise Chester peut sembler limiter les développements du scénario, il n’en est rien. Tout ceci n’est en réalité qu’une grosse pièce du puzzle qui se cache derrière la petite vie tranquille de cette île. Légende, magie, folie, désespoir, le jeu ne se prive pas de brasser de nombreux thèmes et poser diverses questions et autres sous-intrigues avec une justesse par moment contestable mais plus que correcte dans sa globalité.
Autant vous prévenir de suite, vous n’aurez clairement pas toutes les réponses à votre premier essai. Vous en serez même très loin car, doté de cette écriture typique du genre visual novel et bien inspiré par son titre, « Enigma : » cache ses réponses dans un labyrinthe scénaristique qui ne se dévoile que petit à petit au travers de ses différentes fins et il vous faudra recommencer encore et encore pour tout comprendre.
Outre son écriture, le jeu assure également sur la forme. Dôté d’une esthétique visuelle soignée et d’une bande originale honnête, chacun restera juge de son style mais difficile de prendre les développeurs en flagrant délit de paresse. D’autant que le jeu réussit en quasi continuité à illustrer correctement son propos et qu’il n’hésite pas à assumer une part de gravité et d’horreur dans certaines fins tout en ayant la retenue de ne jamais verser dans l’excès graphique.
Car oui, « Enigma : » est loin d’être un VN aussi doux qu’il pourrait laisser penser au premier abord. Certains propos et thèmes abordés sont lourds et si le jeu n’est jamais explicite dans sa forme, certaines fins sont tout simplement des tragédies sans nuance.
« Celui qui a le choix a aussi le tourment »
C’est d’ailleurs là que réside la plus grande faiblesse de « Enigma : ». Les fins dramatiques ont une réelle ampleur alors que les quelques choix qui se posent à nous pour y parvenir semblent relativement bénins. Choisir d’attendre ou non quelqu’un, faire ou non une remarque, prendre position dans un débat relativement banal, difficile d’imaginer que de tels choix vont avoir d’aussi gros impacts. Difficile aussi de comprendre aussi pourquoi, outre un certain manque de moyens, certaines histoires deviennent très rapidement extrêmement tragiques là où d’autres prennent le temps de travailler à construire une réelle mélancolie.
Ces différences de rythmes nuisent à la construction d’une cohérence globale de l’ensemble. Cela peut se révéler d’autant plus frustrant que cela se joue souvent trop en amont pour que le joueur puisse comprendre réellement quel a été son impact. Dernier reproche, plus mineur cette fois, le jeu se divise en trois grandes routes et la détermination de la route suivie se fait sans que le choix n’apparaisse, là encore, réellement évident au joueur lors de sa première partie.
Toutefois, à sa décharge, le jeu est relativement court, quelques heures, et si la rejouabilité apparaît comme obligatoire, elle est facilitée par une option permettant de passer les dialogues déjà lus lors des précédentes parties et d’une galerie de fins permettant de voir à peu près ce qu’il manque. Je me permettrais tout de même de citer ce conseil indispensable qui nous vient de Konata IZUMI de la série Lucky☆ Star : « N’oubliez jamais de sauvegarder avant un choix. Aucune exception !».
« Enigma: » vaut le coup d’être parcouru. Les fins « profondes » sont loin d’aborder des sujets triviaux et si le jeu n’a clairement pas les moyens d’assumer une histoire aussi grande que certains dialogues semblent suggérer, il laisse en son lecteur/joueur une trace certaine et emplie d’une douce mélancolie ou d’une tristesse éparse tout autant pour ses personnages que pour son univers. Laisser une trace même faible, tel est là l’objectif de Chester et celui du jeu.
« ENIGMA : » n’a pas pour vocation d’être le plus grand visual novel du monde, il n’en a ni l’ambition ni les moyens. Toutefois, sa forme est suffisamment soignée et son écriture suffisamment réussie pour en faire un jeu sincèrement intéressant et une belle histoire. La courte durée d’une partie, le fait de ne pas avoir besoin d’un haut niveau d’anglais et l’accessibilité de son univers en font également une excellente introduction au monde des visual novels pour ceux qui souhaiteraient débuter. Mieux, le jeu arrive à créer une ambiance prenante et des personnages attachants qui nous donnent envie d’y revenir encore et encore pour tout découvrir. Quand à la « vraie » fin, chacun viendra chercher et choisir celle qu’il considérera comme la meilleure. Personnellement, je garderais en mémoire le sourire en coin de Greta qui traduit tout autant la douceur de l’espoir que l’amertume de sa tristesse.