Sebastian Castellanos est de retour pour la seconde fois dans la maison des fous. Sauf que cette fois-ci, on lui procure une motivation suffisante pour y replonger : retrouver sa fille qu’il pensait morte dans un incendie. Alors que le Stem lui faisait prendre des vessies pour des lanternes dans le premier volet, il est pour cette incursion pleinement conscient qu’il va plonger dans l’horreur d’une conscience partagée. Si le premier The Evil Within partait parfois un peu dans tous les sens en ayant du mal à se positionner quelque part, le second prend une direction plus mature et posée même si au commencement, cela ne fut pas forcément évident.
Castellanos Family Values
The Evil Within 2 ne prend aucun détour pour nous faire rentrer dans son histoire et ce dès son commencement. On retrouve Sebastian en plein souvenir cauchemardesque lui remémorant la perte de sa petite fille adorée. Une transition immédiate nous emmène sur notre homme en plein débit de boisson dans un quelconque bar, tandis que Kidman (sans Nicole) revient le hanter une nouvelle fois avec une proposition qu’il ne pourra refuser. Sa fille serait bien vivante et le sujet d’expérimentation d’un nouveau Stem mis en place par une société ultra secrète appelée Mobius, et qui bien évidemment a tout foiré. La machine se serait emballée, la gamine de Sebastian en danger, et seul papounet serait à même de la ramener. Ce départ donne pourtant très vite le ton. Fini le côté alambiqué du premier épisode avec ses rebondissements dignes d’un film de série B mis en scène de manière grandiloquente. Pour cette seconde itération, ils se sont dirigés sur une idée toute simple et qui fait mouche : l’amour d’un père pour son enfant. Une thématique plus adulte que celle d’un policier paumé affrontant un adulescent psychopathe et son petit cirque des horreurs. Cela permet également au récit d’être moins disparate et de se concentrer sur l’essentiel, c’est à dire son personnage principal.
Dans le premier The Evil Within, Sebastian pouvait apparaître comme la victime involontaire d’événements qui le dépassaient, et au même titre, nous aussi. Dans le second chapitre de sa vie, ses motivations sont plus claires et recentrées sur ce qu’il ressent. Ce qui nous permet alors d’être plus empathique pour ce personnage. Bien évidemment, si le grand méchant Mobius cache de noirs desseins à venir, c’est surtout le parcours personnel de Sebastian qui importe. La souffrance qu’il ressentira dans cette nouvelle aventure en enfer n’est que la représentation physique de celle qu’il vit intérieurement, en étant déchiré par l’impression d’avoir failli dans son devoir de père, mais aussi de mari vis à vis de sa femme. Il donne quand même l’impression de se flageller un peu trop facilement sachant qu’après tout, il lutte contre des forces qui dépasseraient n’importe quel être humain lambda. Il reste que le bout de chemin que l’on se permettra de partager avec cet homme sera bien plus sensible qu’auparavant, dans une tonalité sonnant plus juste et vraie, concernant son statut de père tout du moins. Il ressort au final de ces épreuves comme étant un personnage mieux construit et concrètement plus présent. Sa motivation étant de première importance pour lui, nous en tant que joueurs devenons par la même occasion plus investis dans l’intrigue pour l’aider, à la condition bien sûr d’être sensible à ce genre de thématique. Malgré ce fil narratif plus intime qu’il ne pouvait l’être dans The Evil Within premier du nom, on oubliera pas non plus qu’il reste un jeu de survie dans un monde aux allures de petite boutique des horreurs. On aura par conséquent toujours droit à la panoplie de monstres affreux et au gore outrancier.
Quand les frontières du réel s’ouvrent
De ce point de vue, le bestiaire m’est cependant apparu presque trop prévisible. On retrouve toujours les ersatz de zombies cachant en leur sein une créature à tentacules quand on leur explose le capuchon, monstres assez classiques chez Shinji Mikami depuis Resident Evil 4. Cependant, si The Evil Within 1 était une sorte de réflexion sur son travail, ce second volet est celui de la maturité qui lui permet d’enfin laisser sa marque au travers d’une identité propre plus affirmée, sans pour autant renier ses précieuses influences inévitables. On reste toujours dans cette vision de l’horreur sous le trait du grotesque assumé avec son florilège de méchants psychopathes aux personnalités affirmées, versant dans une forme d’exagération évitant le ridicule de justesse en restant à la limite entre le sérieux et le comique dérangeant. Le fruit est en effet tombé pas très loin de l’arbre et reste similaire dans ce sens au premier épisode si ce n’est qu’il maîtrise bien mieux le résultat final, à défaut de diluer peut-être un peu trop ses antagonistes. Ce qui semble normal, puisque Sebastian est cette fois-ci le point central de son histoire autour duquel vont s’articuler toutes les sous-intrigues qui l’amèneront à son but final, et non l’inverse. Ce nouveau chapitre en ressort par contre moins effrayant dans un sens (en ce qui me concerne en tout cas). La tension demeure cependant, mais sans cet aspect pesant dont il était capable auparavant.
The Evil Within 1 reposait sur une tension permanente en raison de niveaux resserrés parsemés d’ennemis et de pièges constants amenant régulièrement – trop aux yeux de certains – à des morts en un coup. Si la frustration était forcément le résultat d’un tel choix de game design, elle nous faisait par contre sentir sur le qui vive de manière quasi permanente, notamment en raison de notre fragilité constante, là, où The Evil Within 2 a une approche différente. On se retrouve ainsi dans les restes parsemés d’une petite bourgade banale américaine baptisée Union. Cette dernière sera le théâtre de nos nouvelles aventures au pays des monstres tout sauf gentils en reposant sur deux aspects, l’un étant des zones ouvertes et plus vastes que ce à quoi on a été jusque-là habitué par la série, et, d’autres plus renfermées dans des séries de couloirs plus classiques. Cette alternance des espaces amènent une respiration différente à notre progression et deux manières différentes d’aborder ce qui reste fondamentalement un jeu de survie.
Une continuité dans la maturité
Ainsi, plutôt que de révolutionner la forme et le fond, on reste dans une continuité qui s’essaye à effacer les erreurs de jeunesse que l’on pouvait reprocher au premier volet. Les sensations seront globalement les mêmes. Comme précédemment, Sebastian sera difficilement performant sans quelques améliorations apportées par une série de compétences à débloquer toujours à l’aide de cette gelée verte laissée derrière par nos adversaires d’un moment. Survie oblige, les ressources seront précieuses et rares et serviront au craft d’objets de soins comme de munitions. Sur la difficulté en elle-même, c’est là que se trouve le point le plus intéressant. Conscient de la demande de ses joueurs, Tango Gameworks a décidé d’offrir une sélection de modes plus adaptés aux attentes de tous. Le mode survie est sans aucun doute celui que je conseillerai au tout venant qui voudrait l’expérience la plus équilibrée entre difficulté suffisante pour que le jeu reste stimulant, ni trop pour ne pas blaser les plus innocents de la gâchette. Le mode cauchemar revient comme un entre-deux avec celui du premier épisode. Plus ardu, il est aussi en quelque sorte plus accessible qu’il ne l’était auparavant. Il y aura aussi un mode classique après avoir terminé au moins une fois le jeu qui enlève les sauvegardes automatiques, limite le nombre de sauvegardes tout court et empêche Sebastian d’améliorer ses capacités comme ses armes. Mais en dehors de ces options spécialement conçues pour faire plaisir à un public très spécifique, la difficulté globale est moins importante. Déjà pour commencer, en offrant des niveaux plus vastes font que leur ouverture permet de s’échapper plus facilement de situations inextricables. Bien qu’il soit limité en endurance (ce que je vous conseillerai d’améliorer en premier lieu), Sebastian dispose de fait de bien plus de possibilités pour échapper aux monstres essayant de le béqueter. Surtout si vous améliorez sa furtivité. La gelée verte nécessaire à cela est qui plus est présente en quantité importante vu le nombre de créatures démoniaques à abattre. Ainsi avec l’aide d’un système de sauvegarde généreux, il est souvent possible de traverser la carte sans trop de difficulté, surtout pour les individus discrets que leur patience saura récompenser.
Heureusement, il arrive par intermittence que l’on soit rappelé à l’ordre. En effet malgré ses largesses de jouabilité, certaines maisons de la petite ville d’Union sont des pièges nous projetant dans un réalité alternative par dessus sa réalité déjà très alternative. Dans ces passages surréalistes, nous serons enfermés dans des couloirs au couleurs de Beacon, l’hôpital psychiatrique du premier Evil Within, où nous voilà harcelé par un spectre aux allures d’une Sadako puissance dix. Ces passages n’ont cure de nos armes et compétences, ne nous laissant que la tension inévitable d’être le gibier de choix d’une manifestation ectoplasmique invincible.
Un jeu old school dans la modernité
Sur le plan des performances, The Evil Within 2 se débrouille pas trop mal et tourne dans son ensemble correctement. Les options graphiques au maximum, il arrive quand même à mettre à mal une GTX 1080ti en 3440×1440. On applaudira par ailleurs l’excellent support de ce format d’image – hormis dans les quelques cinématiques n’utilisant pas le moteur bloquées en 16:9 – malgré quelques légères baisses un peu abruptes du nombre d’images par seconde dans certaines situations. Certes le jeu est plus ouvert et par conséquent plus gourmand, mais le résultat est graphiquement loin d’être toujours à la hauteur. The Evil Within 2 tourne sur un moteur maison loin d’afficher des choses extraordinaires. Les personnages et les monstres de cette aventure sont par contre détaillés et joliment faits. Les séquences cinématiques mettent en avant un travail d’animation faciale assez bien réussi puisque les émotions nous sont parfaitement transmises sans grosse gêne. Ce n’est certes pas du Uncharted 4, qui reste un des meilleurs en la matière, si ce n’est le meilleur, mais c’est aussi loin d’être ridicule. Dans son ensemble, la direction artistique est plus cohésive qu’elle ne l’était avant. On s’écarte par conséquent de l’enchaînement de niveaux du premier volet n’ayant parfois que très peu de connections entre eux d’un point de vue artistique. Cette suite est clairement la vision raffinée d’un studio pour sa série maîtresse même si elle ne prend pas énormément de risques en définitive. Néanmoins, avec une belle variété de modes de difficulté, un jeu tournant dans sa globalité correctement sur pc, un New Game + avec des costumes à débloquer à l’ancienne, The Evil Within 2 reste ce regard nostalgique sur une époque où on faisait les jeux différemment. Cette époque où les jeux étaient des jeux et pas des services. Cette générosité mérite d’être récompensée, même si elle reste une bonification dans la continuité en quelque sorte.
De ce qui partait comme un trip sous LSD par le maître japonais de l’horreur surréaliste, à mi-chemin entre Resident Evil 4 et « L’Oeil dans le ciel » de Philip K. Dick, The Evil Within pour sa seconde itération revient plus concentré en se focalisant entièrement sur son personnage principal. En évoluant autour de sa souffrance, il nous permet une implication émotionnelle plus forte et surtout d’être enfin plus clair dans son processus narratif ainsi que sur les motivations de Sebastian. On garde toujours le côté grandiloquent et exagéré de sa mise en scène pour un résultat au final bien mieux maîtrisé. Adieu aussi aux trop nombreuses morts en un coup pour une suite qui nous offre un jeu plus ouvert et libre d’être abordé comme bon nous semble, même si l’on reste de manière ultime dans un sillon toujours dirigiste. Entre ses nombreux modes de difficultés, et un contenu relativement généreux, il n’est certes pas une révolution en marche mais un jeu à l’ancienne qui sait tout simplement être divertissant tout en arrivant à maturité.