Sans être follement original à première vue, Shadow of Mordor avait réussi par se distinguer en offrant à la fois un bon jeu dans l’univers de Tolkien – ce qui ne fut pas donné à tout le monde – et un ingénieux système de gestion de ses orques appelé Nemesis qui avait su les rendre aussi bien anti que sympathiques. C’est donc avec un intérêt réel que nous attendions Shadow of War.
All the single ladies
Shadow of Mordor à bien des égards semblait n’être qu’un énième jeu d’action à la troisième personne, une sorte de mélange entre un monde ouvert à la Assassin’s Creed reposant sur un système de combat en partie emprunté aux Batman de Rocksteady. Pourtant, grâce à ce que je considérais à l’époque comme l’une des plus singulières innovations dans le jeu vidéo depuis longtemps, il se démarqua bien au-delà de toutes mes attentes. Un système appelé Nemesis devait alors offrir à nos ennemis les orques, la capacité de se souvenir de nous. Ils pouvaient craindre notre excellence au combat, notre impitoyable cruauté à leur égard, ou au contraire jouer les forts à bras en prétendant ne pas avoir peur. Ainsi les voilà ces fiers orques affichant leur courage devant le revenant perpétuel que Talion était devenu. Habité par l’âme de Celebrimbor, le célèbre elfe joaillier responsable de l’anneau unique, il allait pouvoir entretenir une relation inédite avec les membres principaux de l’armée de Sauron afin de mieux les utiliser à dessein. Le Nemesis allait permettre aux orques de se souvenir de nous et de nos actions.
Habituellement, dans la plupart des jeux, ces dernières ont rarement des conséquences qui vont perdurer à moins qu’elles n’aient été prévues par dans un script quelconque. Dans Shadow of Mordor au contraire, les orques devaient rappeler à notre bon souvenir notre lâcheté si nous avions précédemment fui un combat avec l’un d’entre eux. Ou pire, ils nous humiliaient de leurs paroles si nous étions auparavant tombés sous le fil de leurs épées. Il s’agissait alors d’un jeu de dominant/dominé, qui pouvait parfois se révéler à notre avantage même si nous étions dans une position d’infériorité. C’est ainsi que se laisser mourir des mains de nos bourreaux pouvait avoir une double nécessité. C’est alors que nos poulains du moment allaient monter en grade dans les rangs de leur armée devenant du coup plus puissants et plus influents auprès des leurs. Comme nous devions par la suite recruter parmi ces mêmes orques pour venir gonfler nos troupes, suivre de près leur évolution et les aider à s’améliorer en acceptant notamment la défaite de leurs mains, était stratégiquement la meilleure marche à suivre. Forcément, on se sentait plus investi puisque nous étions maître du devenir de nos potentielles recrues, un peu comme un papa ou une maman élevant leurs puissants petits guerriers. Ces orques étaient comme nos enfants ; bon, des enfants sanguinaires et malfaisants, mais tout de même. Face à une histoire assez quelconque en définitive, ou simplement un peu trop paresseuse en n’étant pas aidée par son Aragorn au rabais, le système Nemesis était devenu avec ces orques la véritable star de Shadow of Mordor comme il l’est toujours dans une version sensiblement plus raffinée dans la continuité pour Shadow of War.
Orcs Ragnarok
Monolith a très bien compris où se trouvaient les forces de son bébé. De ce fait, Shadow of War reprend toutes les bases de son aîné pour mieux les utiliser comme fondations pour ce qui ne s’avérera en définitive qu’une extension naturelle mais prévisible des ambitions de ce dernier. En gros, c’est Shadow of Mordor sous hormones. Plus de personnages, plus de sous-intrigues, plus de choses en théorie à faire, ainsi que plus d’orques à combattre et de sièges à tenir. La présence du mot war (guerre) n’est pas anodine et reflète l’ambition d’aller plus loin et plus grand. Bien que se faisant au détriment d’un jeu plus équilibré finissant potentiellement boursouflé par sa propre folie des grandeurs. Ainsi, plutôt que de réellement corriger ses quelques défauts, Shadow of War s’évertue de mettre plus largement en avant ses qualités. Un moyen comme un autre de souligner à quel point il n’est pas un mauvais jeu, loin de là. Il offre exactement le minimum de ce à quoi les amoureux du premier volet pouvaient s’attendre. Mais il est moins sûr qu’il puisse réellement les surprendre. Même du côté de son histoire principale, on peut difficilement dire que l’on aura pas vu venir certaines de ses ficelles. Pour commencer, Shadow of War repose sur une structure narrative découpant le jeu en quatre actes. Le premier est relativement court en comparaison du second, mais permet notre introduction en douceur à quelques nouveautés de cet épisode. Et notamment à la présence de nouvelles têtes. Les arachnophobes se verront sans doute confus par la présence d’une Arachnée/Shelob très spéciale pouvant apparaître sous les traits d’une femme magnifique, ne sachant s’il doivent se sentir séduits ou repoussés par ses huit pattes dissimulées. Shadow of War a en effet une bien drôle de manière se s’accommoder de l’univers de Tolkien, même si on lui accordera que certaines zones d’ombre laissées volontairement ou involontairement par l’auteur lui permettent d’en remplir les vides pour servir son intrigue.
Ce premier acte est donc un moyen d’exposition à ce nouveau volet avant de nous amener gentiment au second. On regrettera seulement que ces nouveaux personnages et les missions qui découleront de leur rencontre n’arrivent toujours pas à éclipser l’excellence de l’écriture de nos interactions avec les gros monstres à la peau verdâtre. Un fois de plus, et bien au-delà de nos interactions voulues dans le cadre du Nemesis, les orques se révéleront les véritables détenteurs d’une quelconque personnalité. On oubliera à nouveau Talion de ce côté-là qui n’attendra que le point final pour réveiller en lui enfin un brin de caractère. Mais les orques, eux, seront à nouveau le point central de l’attention, notamment certaines figures clairement identifiées à travers le scénario dans des séquences cinématiques souvent drôles, ou en tout cas les seules véritablement capables de nous faire ressentir quelque chose. Il y a beaucoup trop de nouveaux personnages qui finissent par se diluer dans l’objectif trop important que ce sont fixés Talion et Celebrimbor, mais à terme, et aussi étrange que cela puisse paraître, le seul véritable semblant d’humanité de cette intrigue passera une fois de plus principalement par ces mêmes orques.
Des faiblesses qui persistent
Que cela soit un bien ou mal tient en définitive dans ce qui vous intéresse. Après tout ces orques jouent à la fois un rôle important dans le narratif comme dans le gameplay. Ils ont été créés au travers du système Nemesis pour donner une réponse aux joueurs, pour nous faire sentir comme si nous avions une influence réelle sur ce monde. Et ils sont également une ressource essentielle dans la construction de l’armée voulue par nos deux « héros ». En dehors de cela, Shadow of War n’arrive toujours pas à combler le vide laissé par son prédécesseur. Le vide d’un monde sonnant parfois creux en l’absence de vie. Les meilleurs mondes ouverts sont en effet capables d’être autre chose que notre simple terrain de jeu. Les plus compétents arrivent à construire l’idée qu’ils vivent par eux-même, en dehors de la présence du joueur. Ils donnent cette impression d’une réalité concrète qui va le plus souvent s’exprimer par ses habitants et leurs habitudes. Ici, bien que chaque parcelle ou presque de terre est habitée d’une manière ou d’une autre, le vide existentiel demeure. On y perçoit difficilement le sentiment d’être dans un monde avec une culture, ses bâtiments ne racontent pas grand-chose, ses habitants ne semblent que des pantins sans vie répétant en boucle les mêmes actions. Dans la ville humaine de Minas Ithil introduite au premier chapitre, on ne voit pas la vie menée par les civils dans cette cité assiégée par les troupes de Sauron. Ses soldats ne font que courir dans tous les sens attaquants le moindre orque. Jamais on ne les voit dépasser leur cadre de simples pions dans un échiquier qui les dépasse. Et en mettant de côté le système Nemesis, les orques eux-mêmes n’arrivent pas à donner la sensation d’être plus que ce qu’ils paraissent être.
Est-ce que cela empêche entièrement Shadow of War d’avoir un intérêt ? Absolument pas. Le Nemesis est encore là une fois de plus pour donner une âme à un jeu qui serait autrement uniquement tourné vers le ludique, à tel point qu’on se demande encore la pertinence de son histoire en dehors de la nécessité d’avoir un contexte narratif pour justifier son existence. Au-delà de tout cela, c’est un jeu riche en contenu. Les zones à explorer offre une relative variété des décors s’inscrivant dans la logique des terres entourant le Mordor. Les missions secondaires nous faisant découvrir le passé de Celebrimbor sont à la fois pertinentes pour mieux comprendre ce personnage et nous servir de tutoriel à certaines des compétences magiques qu’il apporte à Talion. Par contre, les quelques puzzles servant à mieux comprendre Shelob se sont avérés creux et sans intérêt pour un personnage ayant pourtant du potentiel. Les sièges constituent sans difficulté le gros morceau du jeu, et plus particulièrement du second au quatrième acte. Le dernier acte en question se focalisera par ailleurs uniquement là-dessus.
Shake your booty
Shadow of War est donc à la fois un jeu d’action et d’aventure autant qu’il devient un jeu de micro-management de votre armée. Le dernier acte évoqué plus tôt devient par ailleurs un moment de grind assez appuyé. Histoire de parler de l’éléphant dans la pièce, cet épisode de la série est venu avec dans ses bagages des coffres à butin dont on entend parler un peu partout. Remis dans leur contexte, on se demande la pertinence de tels coffres dans un jeu en solitaire. Il y a bien une composante en ligne reposant sur la possibilité d’aider d’autres joueurs en allant dans leur monde – en solo, ce n’est pas du coopératif – pour abattre un capitaine orque qui les aurait trucidé, une option plutôt amusante par ailleurs. Cette fonctionnalité en ligne s’étend de plus au mode siège. Au cours du jeu, en remplissant certains objectifs ou missions, vous gagnerez également différents types de monnaies et même des coffres. Il existe par ailleurs plusieurs variantes de ces derniers. Ils permettent dans les grandes lignes de faciliter votre accès à du matériel ou des orques de qualité supérieure. Le meilleur des coffres n’est cependant accessible que de deux manières : avec du véritable argent venant de votre porte-monnaie, ou en accumulant de l’or dans le jeu.
On pouvait avoir la crainte qu’au final le jeu ait été construit autour des micro-transactions, et heureusement, ce n’est pas vraiment le cas. Son endgame n’est heureusement pas caché derrière un paywall qui va vous demander de sortir la carte bleue. Il est sujet évidemment à une forme de grind, mais qui m’apparaît plus relative à son évolution vers un aspect rpg et gestion plus poussée que dans le premier volet. Shadow of War ressemble au mélange un peu bâtard entre le tower defense et le jeu de rôle et d’action, principalement dans ce dernier acte. Ce concept étendu à un monde ouvert appelle forcément à ce sentiment étouffant qu’il y a beaucoup à faire, énormément à farmer. Les coffres à butins payants y sont évidemment les plus intéressants à obtenir, mais ils n’apparaissent que comme un raccourci pour les joueurs les plus impatients. Si vous êtes de ceux qui ont été capables de tourner en boucle dans un jeu de rôle pour grinder les points d’expérience, Shadow of War ne vous sera pas étranger. Sous certains aspects, son mode de fonctionnement me rappelle les MMOs avec son système de quêtes et de récompenses assez basiques et propres au genre. Sa plus grande différence avec Shadow of Mordor est que ce contenu de fin de jeu représente une incitation à y revenir alors que dans le premier volet, rien ne pouvait le faire.
Shadow of War résonne peut-être un peu trop comme « le même jeu mais en version extra large », avec plus de frites et de soda pour le même prix. On fera l’impasse sur le scénario divertissant mais sans plus, qui ne tient de toute façon pas la comparaison avec le système Nemesis qui est encore une fois l’âme de la série. Les orques en deviennent fascinants, et heureusement puisqu’ils représentent le cœur de son gameplay. Et quand bien même on commence par être fatigué des éternelles tours à débloquer pour aller chercher toujours plus d’objets sans intérêt, la gestion de notre armée et sa campagne de recrutement agressive, qui ferait passer l’Oncle Sam pour un agneau, rend définitivement ce jeu très amusant quand il est à son meilleur.