Fut une époque où je rêvais que la grande vogue des jeux musicaux pousserait des groupes phares à diffuser leur musique sous forme de jeu. J’imaginais facilement des albums entiers de Muse jouables à la manière de Knights of Cydonia dans Guitar Hero III. Au lieu de ça, et à de très rares exceptions près, genre The Beatles: Rock Band ou Guitar Hero: Aerosmith, on s’est tapés des bibliothèques de morceaux pris séparément et qui se vident peu à peu pour des questions de droits. De la révolution un peu naïvement espérée, il ne reste que quelques micro-expériences jetables. Pour jouer avec la discographie d’un artiste, on a finalement jamais fait mieux qu’un bon vieux Vib-Ribbon des familles…
Tu veux mon Suédois ?
C’est dans ce paysage que déboule, après quelque trois ans de développement, Invector, un jeu de rythme reposant sur la musique du DJ et compositeur suédois Avicii. Avicii, c’est un peu le Bob Sinclar scandinave, une grosse star des dancefloors. Un des défauts de la musique d’Avicii, outre ses sonorités house très tape-à-l’oreille (un peu comme notre bon vieux Bob Sinclar, quoi…), se niche dans la structure même des morceaux, qui se répète un peu d’un titre à l’autre : des intros folk, R&B ou country évoluant progressivement vers un ton house. Cela n’empêche pas certains titres d’être vraiment canons, à l’image de son premier tube Levels, sorti en 2011. Côté développeurs, le studio Hello There (encore des Suédois) en charge du projet n’en est pas à ses débuts en terme de fusion entre house music et jeux vidéo. Ils ont déjà sorti en 2016 l’infernal She Wants Me Dead, inspiré d’un morceau éponyme du duo de musiciens suédois (décidément…) Cazzette.
Avi, cii pas beaucoup…
Bien entendu, cette playlist concentrée sur un artiste qui n’a que quelques années de carrière au compteur est un peu légère : seulement une vingtaine de morceaux sont au programme, avec certes trois niveaux de difficulté pour chacun, mais six à sept heures suffisent à en faire le tour. Difficile de faire mieux à première vue, mais on peut regretter que le seul le remix de Broken Arrows par M-22 ait été inclus, parmi les très nombreux remix et mash-ups qui ont été produits (on pense par exemple au travail de Skrillex sur Levels) et qui auraient apporté un peu de variété à l’ensemble.
Play me, I’m famous !
Le tout est structuré autour d’un semblant de scénario : on suit Stella, une jeune pilote embarquée dans ce qui semble être une fugue aux commandes d’un vaisseau (un saint drone de Stockholm, en quelque sorte…) qui tombe en panne à longueur de temps. Surtout profitez bien de ces scènes, parce qu’elles n’apparaîtront qu’une seule et unique fois, impossible de les rejouer par la suite. Les niveaux, eux, alternent deux phases bien distinctes. Les parties rythmiques sont assez classiques : il s’agit d’appuyer en rythme sur les touches (L1, croix, carré, gauche et droite, auxquelles s’ajoutent rond en difficulté medium et triangle en hard). Ces touches apparaissent dans différents environnements : sur une piste ou sur les faces d’un tunnel qui peut être carré ou triangulaire (il rappelle dans ce cas le A stylisé du logo de l’artiste). Les commandes gauche et droite déclenchent un déplacement sur la piste ou un changement de face sur le triangle, ce qui ajoute un peu d’animation à l’écran. Dans les niveaux de difficulté avancés, il faut parfois replacer le vaisseau en appuyant sur gauche ou droite sans que cela ne soit indiqué à l’écran. Lors des phases plus calmes, le vaisseau passe en vol libre (sans option d’inversion des axes, argh !) ; le joueur doit alors le faire passer dans des cercles en évitant les obstacles. À la manière de Guitar Hero, réussir une série de touches sans erreur fait monter un multiplicateur de points et augmente la vitesse de défilement de la piste. Le joueur peut également charger un boost qui, lorsqu’il est relâché, double le multiplicateur mais augmente grandement le défilement des touches et donc la difficulté.
Veni, vidi, Avicii
Graphiquement, le jeu souffle le chaud et le froid. Si les scènes soutenant l’histoire sont souvent drôles et le personnage de Stella vite attachant, l’aspect visuel et l’animation assez pauvre peuvent déplaire. Durant les niveaux, en revanche, le rendu, bien qu’assez classique, est franchement chouette à voir : planant, fluide, avec de nombreux effets, un bon choix de couleurs et une utilisation intéressante des figures géométriques. De manière assez amusante, les orientations R&B ou country de certains morceaux semblent d’ailleurs parfois en décalage avec le côté spatial et abstrait des décors, mais ce sentiment s’efface assez vite au cœur de l’action.
Il va de soi que si vous frôlez l’AVC à la simple évocation d’Avicii, inutile de perdre votre temps sur cette compil ludicisée. En revanche, même si comme moi vous n’appréciez l’artiste que marginalement, ou si vous ne le connaissez pas et que vous cherchez un bon jeu musical, Invector mérite largement le détour. Son contenu reste peut-être quantitativement limité, mais ce qui est proposé est un exemple de collaboration réussie entre le monde de la musique et un studio de jeux vidéo, et les morceaux passent crème dans ce contexte vidéoludique. Et si jamais Avicii est votre Thor musical, alors la question ne se pose pas : vous pouvez foncer !