Cela va sans dire mais cette critique vous est garantie 100% sans spoil.
C’est la fin. Nous sommes dimanche soir…enfin lundi nuit du coup et il est 3h07. 3h07 précises. Mon œil a tourné machinalement son regard vers ma Freebox comme pour faire un STOP CHRONO. 3h07 putain. Quand l’avais-je entamée cette dernière partie de ma partie déjà ? Vers 22h30, il me semble. Un rapide calcul m’indique que 1/ Cela fait 4h30 et 2/ C’est moins que le temps de sommeil qu’il me reste avant de me lever pour partir au boulot. Putain, je vais tellement en chier demain. Mais vous savez quoi ? A ce moment-là, je n’en ai strictement rien à cirer parce que ça valait le coup, oh oui ça valait le coup.
Car comme dans le clip « The World Is Saved », je suis le joueur exténué qui est arrivé au bout et qui s’accroche à l’ambiance du jeu avant qu’elle ne s’évapore sous les coups du sommeil. 3h07 et enfin j’éteins la télévision. Libéré du bruit, j’entends enfin mon corps qui crie intérieurement « Va te coucher putain ! » et moi de lui répondre du tac au tac « ouais je sais, ta gueule ». On est rarement très civilisé à 3h07 de la nuit. Pardon, 3h08 est arrivé. J’ai gagné et maintenant je gagne péniblement ma chambre avec un sentiment de satisfaction qui m’envahit. J’éteins la lumière et avec un sourire en coin, je profite de cette enivrante sensation de satisfaction. Une phrase d’un animateur de radio libre de mon adolescence me revient en tête. C’est la nuit et tout va bien. Oui, tout va bien.
Venus ici pour souffrir.
Sans plus de transition et maintenant que vous avez compris que cette critique sera plus que bienveillante, je vais maintenant fournir l’équipement de survie à celles et ceux qui ne connaissent pas la série des Danganronpa. Le principe de chaque épisode de la saga est diaboliquement simple : prenez pour personnage une bande de 16 lycéennes et lycéens qui ne se connaissent pas mais qui ont tous une faculté ultime (l’artiste ultime, le détective ultime, l’inventrice ultime, la cosplayeuse ultime pour prendre quelques exemples de cet épisode) et qui se réveillent amnésiques et enfermés dans un lycée. Ils ont largement de quoi survivre matériellement mais font face à un ours mécanique nommé Monokuma qui se présente comme le proviseur du lycée. Doté d’une personnalité sadique et cynique, il semble tout savoir sur tout ce qui se passe dans l’établissement mais surtout leur impose un terrible jeu : pour sortir de là, ils vont devoir s’entretuer.
Lorsqu’un meurtre est commis, les élèves encore en vie peuvent alors enquêter pour savoir qui a commis le crime et se retrouvent ensuite dans un terrifiant procès de classe pour débattre et puis voter sur l’identité du coupable. Si le coupable est correctement identifié, il est exécuté de façon grandiloquente et cruelle tandis que les survivants gagnent l’accès à de nouveaux endroits. En revanche, si ce dernier échappe au verdict, il est libéré et l’intégralité des autres élèves sont condamnés à mort. Le jeu ne s’arrête qu’à deux conditions : la libération d’un coupable ou la survie de seulement deux innocents. Pour pimenter ce Battle Royal d’intérieur, le proviseur/MJ s’engage à ne jamais intervenir directement dans les meurtres mais ne se prive pas de manipuler ses élèves en leur fournissant des mobiles pour passer à l’action.
Le jeu est un visual novel centré sur un des lycéens (l’héroïne ou le héros) qui alterne régulièrement entre plusieurs phases. Comme dans la série des Ace Attorney, les phases d’enquête et de procès s’enchaînent mais Danganronpa réussit à ne pas lasser le joueur en rendant ultra guidé les enquêtes (on ne cherche quasiment jamais quoi faire, une vraie amélioration par rapport au premier épisode de la saga) et en ponctuant de mini jeux, hélas loin d’être tous réussis, les déductions à faire durant les phases de procès. A cela se rajoutent des phases de « temps libre » où le joueur a la possibilité de profiter de périodes plus calmes pour approfondir ses liens avec un des personnages et tenter de décrocher quelques infos sur son background en lui offrant des cadeaux. En langage otaku, c’est le waifu time avant la traditionnelle malédiction qui veut que son perso préféré meurt au prochain chapitre.
Voilà, vous connaissez l’essentiel mais vous vous rendrez vite compte en y jouant que Danganronpa est une série extrêmement codifiée et que beaucoup de règles s’apprennent très vite sur le tas. Mais l’essentiel est ailleurs à savoir que l’équilibre de ce gameplay fonctionne. Certes, le genre du visual novel suppose que le joueur renonce à une certaine partie de son privilège d’interactivité mais l’accompagnement fourni par Danganronpa V3 est de toute première classe et s’avère très efficace sur le long terme.
Personnalités des accusés
Parler d’un visual novel se résume souvent à parler de son histoire mais pour cet épisode de Danganronpa, j’aimerais commencer par saluer le boulot effectué sur la forme. Si chacun sera juge de l’esthétique du jeu, difficile de ne pas reconnaître le boulot effectué et surtout sa cohérence générale que ce soit à l’intérieur de cet épisode ou de la saga tout entière. Même chose pour l’OST à la signature inimitable et qui accompagne terriblement bien l’action. La mise en scène n’est pas en reste puisque même si on n’y dénote aucune fulgurance, le jeu reste très généreux en à côtés et en scènes spécifiques. Côté distribution, Danganronpa a l’extrême bonne idée de sortir EN VERSION ORIGINALE AVEC DES TEXTES FRANÇAIS.
Oui, les caps locks sont de rigueur car le boulot accompli est massif, le jeu ayant une durée de vie de 40h je vous laisse imaginer la quantité de texte que cela revient à traduire, et va même jusqu’à l’adaptation des textures pour y coller des panneaux et des indications en français. Le jeu est loin d’être exempt de coquilles, de tournures de phrases qui sentent les problèmes d’adaptations ou d’oublis mais bordel qu’il est bon de pouvoir conseiller ce jeu à ses amis sans barrière de langue et de profiter d’une utilisation efficace du passé simple (je suis un Bac S contrarié, cherchez pas j’ai mes délires). Pour tout ça, merci beaucoup à qui de droit.
D’autant que tout ce boulot est au service d’une histoire qui vaut le coup. On finit toujours par se demander lorsqu’on entame une nouvelle tuerie comment va bien pouvoir se débrouiller le jeu pour nous surprendre mais Danganronpa V3 y parvient quand même à plusieurs reprises et notamment par sa fin. D’habitude, il y a pour moi le même souci dans les histoires à la Battle Royal comme des films de zombie, difficile d’imaginer une fin satisfaisante. Et pourtant la team Danganronpa a réussi ce si difficile exercice. Je ne vous en dis pas plus mais sachez que ce jeu adore se faire détester et que cela se ressent tellement bien. Petit reproche toutefois les habitués de la série n’y verront que peu de révolutions car cet épisode n’ose pas assez pour cela. Mais, ne vous y trompez pas, le voyage en lui-même vaut tout autant le détour car on y retrouve à la fois les délires fantastiques de la série, que ce soit le charisme effrayant de Monokuma ou les extravagances des lycéens ultimes, que cette sensation de pouvoir être un Sherlock Holmes ou un Hercule Poirot invraisemblable.
Tout l’intelligence du scénario ne réside pourtant pas uniquement dans cet exigeant sens du rythme pour capturer l’attention du joueur ni dans l’alternance réussie entre gags et tragédies mais se trouve également dans son écriture quasi impeccable de ses personnages. Même avec le poids lourd de leur comportement caricatural un brin forceur, on sent une vie sous chacun des personnages ce qui rend l’empathie avec eux suffisamment aisée pour ressentir avec elles et eux tout autant leurs espoirs que leurs désespoirs. Contrairement à certains de ses prédécesseurs, aucun personnage de cet épisode ne laisse derrière lui ou elle une impression de gâchis ou de rajout commode. Difficile de les aimer tous mais tout aussi difficile de rester devant l’un d’entre eux indifférent.
Enfin terminons cette critique en revenant sur la fin du jeu qui a le bon goût de tenter un mind game assez foufou et d’être mine de rien assez radicale dans son propos. C’en est à tel point que je me dis ne pas réellement souhaiter que le jeu connaisse de suite tant cela m’apparaîtrait contradictoire. D’un autre côté, il ne faut jamais sous-estimer la puissance de bons scénaristes mais là la révolution à faire serait complète. Je m’arrêterai là pour ne pas vous filer trop d’indices mais sachez juste qu’il y a toujours un prix à payer à jouer à Danganronpa et que Monokuma se fait toujours payer cash.
Une histoire passionnante sans réel temps mort (enfin si mais bon hein) , des personnages charismatiques et travaillés, une fin qui vaut le coup de patienter 40h, une traduction en français, un background esthétique et une OST bossés, du mind game, des énigmes bien foutues, du malaise et des bons délires, la formule DangaRonpa revient au top de sa forme pour une expérience ultra recommandable. Les amateurs d’Ace Attorney devraient adorer, ceux qui veulent commencer le visual novel japonais ne trouveront pas mieux et les inconditionnels de Danganronpa peuvent craquer les yeux fermés. Bref, une tuerie.