La nostalgie est un ressort très puissant que les grosses entreprises du jeu vidéo ont tendance à dégainer un peu trop souvent à présent que les jeunes gamers de l’époque ont vieilli et tentent de ressaisir un instant passé où tout était plus simple. Pas de responsabilités, pas de travail, juste des devoirs, quelques corvées ménagères et en récompense le « clic » satisfaisant de l’allumage de la console et le frisson des quelques notes de musiques et sons accompagnants des logos dont l’apparition aujourd’hui au début des jeux ne provoque qu’un agacement et une furieuse envie d’aller bricoler les fichiers du jeu pour qu’ils n’apparaissent plus.
Une boîte en carton, verte, un gros fascicule avec une couverture verte et accueillante, quelques oiseaux roses et trois personnages qui vont accompagner les longues journées trop courtes des vacances de Noël. J’insère la cartouche dans la Super Nintendo familiale, le « clic » retentit et ensuite… Une complainte de baleine, ou un cri d’animal fantastique, le piano synthétisé d’Hiroki Kikuta et l’aventure, l’aventure.
En ce jour de décembre 1994, après avoir lu, relu et rerelu les 4 pages du Player One n° 47, le fameux jeu de rôle (une notion tout à fait nouvelle pour moi à l’époque) est en ma possession, l’aventure démarre et on va dire que ma vie a un peu basculé. Pour la première fois, un jeu vidéo faisait apparaître un monde gigantesque où on était libre d’aller et venir à sa guise, de faire progresser ses compétences, améliorer armes, armures, découvrir de nouvelles magies, mal comprendre une histoire traduite à la va vite et insérée dans des cases trop petites pour les mots qu’elle veut raconter. Le fameux rite de passage, en quelque sorte.
Et puis un monde vaste mais qui devient petit quand on le comprend et qu’on le connaît, qu’on parle aux gens, qu’on comprend leurs combats, leurs histoires, comme cette île de la tortue où vont vivre les parias de leur plein gré pour ne plus être stigmatisés, ou le père Noël qui veut qu’on continue de croire en lui, ou encore ce roi de l’île d’or qui utilise le pouvoir de Lumina pour s’enrichir, les pirates qui tentent de faire la même chose avec l’élémentaire du feu, etc.
Vous l’aurez compris, c’est un de mes jeux favoris, depuis sa sortie je l’ai parcouru de nombreuses fois, seul ou accompagné. Les décors colorés, variés et enchanteurs accompagnées des musiques splendides qui utilisaient de manière ingénieuse le chip sonore de la Super Nintendo ont longtemps rythmé des journées et nuits. Alors, oui, avec du recul, le jeu a des défauts, un système de menu circulaire novateur mais agaçant à la longue, des compagnons IA insupportables qui se coincent partout, un scénario un brin bancal au final emmené par des personnages un peu transparents. Et puis au fil du temps on apprend l’histoire de ce jeu, que Square et nintendo voulaient en faire le fer de lance du Super Nintendo cd-rom mais qu’au final le projet avorté a fait que les développeurs ont du comprimer leur jeu pour qu’il tienne sur la cartouche, au prix de bugs et d’un scénario finalement linéaire alors qu’au départ sept fins étaient prévues.
Et puis en aout 2017, Square-Enix annonce un remake de Secret of Mana. Le monde retient son souffle, les images et séquences de jeu se veulent rassurantes mais les gens crient, on va leur casser leur doudou avec des designs moches et tout ça. Mais Square-Enix n’en a cure, ils veulent que leur nouvelle vision de Secret of Mana voit le jour et c’est pas trois nerds qui gueulent sur internet qui vont leur faire changer d’avis.
Et en février 2018, le voici.
Ben c’est le même jeu. Les assets ont été recréés en 3D, il semble évident qu’il s’agissait à la base d’un jeu vita/PS3 qui a été porté sur PS4 vite fait, sans optimisation (la version vita plafonne à 24 fps et ralentit souvent) et sans vraiment vouloir faire autre chose qu’un petit billet facile sur le dos des nostalgiques du bon vieux temps dont je parle au début, malgré les réticences d’une partie de la communauté qui d’ailleurs ne s’est pas franchement jeté dessus.
Beaucoup de choses ont été dites sur ce remake, certaines clairement exagérées. Par exemple, je ne trouve pas les design hideux. Un brin générique mais c’est choupi, alors ça passe. Non ce n’est pas vraiment du côté esthétique qu’on peut attaquer le jeu, il est joli, coloré, varié. Très en dessous de ce qui se fait sur PS4, avouons-le, mais c’est un style. Les musiques réorchestrées vont de l’excellent (Fear of the Heavens, l’écran titre) à la cacophonie insupportable (A curious Tale est HORRIBLE) en passant par des remixes chelous mais bon, pourquoi pas. Au pire on peut toujours remettre les musiques originales et cette fois-ci les effets sonores ne sont plus sur la même piste, donc plus de coupures intempestives.
De plus le jeu n’est pas très stable et il m’a très souvent pété à la tronche, heureusement qu’ils ont prévu des sauvegardes automatiques (c’est peut-être à cause de l’instabilité du jeu d’ailleurs que ces sauvegardes sont présentes, va savoir…) Enfin, ça aurait pû être pire, ils auraient pu balancer la version IOS telle qu’elle comme pour Chrono Trigger sur steam (qui est un scandale, soit dit en passant) Mais voilà, ça aurait pû et dû être tellement mieux.
L’idée de refaire le jeu en haute définition mais en gardant les décors et autres de base est assez répandue (et ça marche très bien pour les point and click Lucasarts et pour Wonderboy 3 par exemple) mais là, compte tenu de l’évolution du genre de l’action RPG on ne peut pas vraiment se contenter de ça. Surtout que Mystic Quest (le premier Seiken Densetsu) avait bénéficié d’un remake fantastique sur Game Boy Advance sous le nom de Sword of Mana en 2004 alors on pourrait penser que le monument qu’est Secret of Mana aurait pu lui aussi profiter d’un traitement de faveur… Et ben non…
Alors on va aller à la session des « pourquoi ».
- Déjà à l’époque on avait remarqué les défauts du système de jeu, les menus sont pénibles, on ne sait pas les caractéristiques d’un nouvel équipement avant de l’acheter, les personnages se coincent dans le décor, etc. pourquoi avoir conservé ces défauts ?
- Pourquoi avoir enlevé la séquence de déplacement en canon ? La carte apparaît bien quand on vole avec Flammie…
- Pourquoi avoir retraduit le jeu mais enlevé les bonnes idées de la traduction française (les noms des ennemis) ?
- Pourquoi le jeu plante aussi souvent ?
- Pourquoi une OST réorchestrée aussi inconstante ?
- Pourquoi des voix anglaises mal jouées ?
- Pourquoi ne pas avoir amélioré le système de montée en compétence, on peut réutiliser les mêmes techniques chiantes de grind qu’à l’époque, ils devaient le voir, que c’était déjà relou, pourquoi ne pas avoir modifié ça ?
- Pourquoi ne proposer que deux raccourcis ? Y a au moins quatre boutons non utilisés sur la manette, en plus avec des combinaisons on aurait pu éviter de devoir se balader dans trois sous menus juste pour balancer un sort ?
- Mettre en haut à droite la carte d’origine c’est sympa, mais tant qu’à faire, pourquoi ne pas avoir inclus une option permettant de rebasculer sur les graphismes d’origine ?
- Pourquoi l’angle de vue est-il si bas ? On ne voit pas les monstres derrière les murs !
Et surtout ce qui m’a le plus déçu : pourquoi ne pas en avoir profité pour restaurer le contenu amputé ? Où sont les sept fins, les embranchements scénaristiques ? La carte du monde nous permet de survoler des villages et des ruines mais on ne peut pas y aller, le phare ne sert toujours à rien. L’intro du jeu superbement dessinée laissait espérer des séquences en plus, mais rien ne vient s’ajouter à l’aventure originale, même pas un petit donjon supplémentaire à la Chrono Trigger… Il y a des trucs ajoutés, comme des petites séquences à l’auberge où les personnages discutent et ce faisant on a quelques saynètes sympa qui lient le groupe de persos mais c’est un peu léger.
Tout cela est agaçant et laisse à penser que ce remake n’a pas été pensé comme un jeu cohérent mais comme un bricolage rapide sans budget. Et c’est vraiment dommage, ça ne va pas jusqu’à gâcher le jeu original mais la déception est grande.
Et pourtant…
Malgré tout, j’ai repassé une vingtaine d’heures sympathiques, à revivre ces aventures connues, à côtoyer ces personnages hauts en couleur, à découvrir que le monde que je voyais gigantesque à l’époque est devenu si petit. Et ça a fait « clic ». On peu se poser cette question : à qui peut bien s’adresser cette critique/chronique et à qui s’adresse le jeu, puisque la communauté a fait savoir assez vocalement qu’ils n’en voulaient pas ?
Secret of Mana est un jeu qui est encore aujourd’hui une porte d’entrée admirable dans le monde merveilleux des jeux d’aventure. Une quête simple, des objectifs précis qui se complexifient, des sytèmes qui s’additionnent pour former un tout. Une histoire pleine de rebondissements, des personnages positifs, des méchants vraiment très méchants, de l’espoir, de la tristesse, tout est là. Alors à présent, certes, on est bombardés d’excellents jeux, mais aucun n’arrive à être le B.A BA du jeu d’aventure. Et je pense que Secret of Mana en fait partie. Avec Legend Of Zelda a Link To The Past, il a posé les jalons d’une culture vidéoludique concernant les jeux d’aventure et beaucoup de joueurs lui doivent ça. Alors faites-le. Pas forcément cette version, préférez la version Super Nintendo si possible (d’autant qu’il est dans la Super Nintendo mini) mais c’est le même jeu, donc, vous n’y perdrez rien. Et le fait de l’avoir reproduit en « joli » peut permettre à une nouvelle génération pas encore perdue dans les affres du minimaxing de compétences de découvrir un univers merveilleux, et de se plonger avec joie dans l’aventure.