Il aura fallu presque un an et demi à Yakuza 6 pour venir fouler les terres occidentales. Une attente entre-temps récompensée par la sortie de l’inédit Yakuza Zero et du remake de son premier épisode sorti tout de même en 2005 sur la Playstation 2. Ce nouveau volet ne marque sans doute pas la fin d’une des séries historiques de Sega, mais semble vouloir en tout cas conclure les aventures de son héros fétiche. La cinquantaine fringante, Kazuma kiryu va ainsi tirer sa révérence dans une dernière histoire sans pour autant nous quitter entièrement, Yakuza Kiwami 2 étant prévu pour cet été, les épisodes trois à cinq devant sortir au Japon d’ici à 2019 (sans annonce pour l’Europe à ce jour).
Super nani
Retrouver Kazuma Kiryu est toujours une fête en soi. C’est un personnage que l’on a appris à connaître et apprécier au cours de ses nombreuses aventures. Bien que yakuza à l’origine, Kiryu a toujours eu l’étoffe d’un chevalier en armure défendant la veuve et l’orphelin. Un héros au sens classique du terme venant en aide aux plus faibles et aux plus démunis face à la violence de ce monde. Ce qui motive notre homme, c’est la passion, le respect et même l’amour. Un amour pour une gamine qui deviendra sa fille de cœur. Il montre également que d’un rival, on peut s’en faire un ami voire un frère. Les Yakuza ont toujours eu en toile de fond cette réflexion sur le sens de la famille. Kiryu ayant été lui-même un orphelin, il connaît ce qu’est l’abandon et l’idée de trouver un semblant de cohésion familiale en acceptant d’aller au-delà des liens du sang. C’est d’ailleurs en partie par respect pour l’homme qui l’a sorti de la rue et lui a donné une semblant de famille qu’il a fini par rejoindre les yakuzas.
Ce sont aussi ces liens du cœur qui font que Kiryu s’est mis à plusieurs reprises en danger, car rien ne peut l’arrêter quand les gens auxquels il tient sont attaqués. Un combat dans Yakuza, c’est parfois comme une discussion, un échange passionné entre deux individus qui vont essayer de se comprendre par la force de leurs poings. En poursuivant cette tradition d’un jeu d’acteur passionnel, chaque confrontation devient le théâtre d’un échange verbal aussi musclé que le combat qui suit en général. Par contre, il arrive parfois que le scénario tombe dans un excès qui ne lui est pas toujours favorable. Ici, celui qui semble être dans un premier temps le grand méchant de l’histoire finit par toujours en cacher toujours un autre, et on passe ainsi des triades chinoises à d’autres yakuzas, avant de repasser par d’anciens ennemis de Kiryu venus à nouveau le hanter.
Yakuza 6 est plus proche de la densité narrative d’une série télévisée dramatique que d’un film au point de nous noyer sous le nombre de personnages d’importance en jouant en parallèle avec un whodunnit dont le secret de polichinelle pâlit en comparaison de son véritable message. Et ce qui importe au final, c’est cette histoire en sous-main. Celle d’hommes ambitieux cherchant à tout prix à maintenir le statut quo de leur position sociale dans la hiérarchie mafieuse, en oubliant d’être des pères, celle de fils perdus cherchant la reconnaissance de leurs efforts par des pères dénigrants, celle d’une jeune mère qui aura risqué sa vie pour son enfant à l’image de son père d’adoption, un Kiryu une fois de plus motivé à faire tout ce qui sera nécessaire pour la protéger en retour, elle et son bébé.
Hiroshima mon amour
Les Yakuza tirent leur force dans leur récit en parlant avant tout de l’humain. Les complots et les machinations importent finalement peu. Comme dans la comédie humaine, on retrouve des personnages récurrents qui participent à ce sentiment de familiarité, à l’image de son quartier fictif et fétiche de Kamurocho. Pour qui aura joué aux jeux précédents en reconnaîtra aisément les rues qui ont relativement peu changé en profondeur, tandis qu’en surface, ses enseignes lumineuses, ses restaurants et sa population montre un tout autre Japon. Familiarité et nouveautés se côtoient facilitant l’immersion dans ce monde tout en gardant la fraîcheur de la découverte. Les Yakuza sont une saga qui s’inscrit dans une évolution calquée sur le temps qui passe, et c’est sans doute pour cette raison qu’on s’y attache tant ; à ça mais aussi à ses personnages aux personnalités bien trempées. Si vous en aviez marre de ces jeux aux protagonistes plats et sans intérêt, il ne vous laissera alors pas indifférent.
Cet épisode n’y déroge et se fait le reflet d’un Japon contemporain, que cela soit par la culture, la technologie, les mœurs et les habitudes des japonais et même de son côté coquin. Des camgirls au drone, en passant par un robot-aspirateur fuyant son propriétaire dont il a avalé la bague de fiançailles, Yakuza 6 met en avant une société vivante et crédible, malgré sa nature farfelue ressortant par moment. Kamurocho est une ville qui se visite toujours à pieds, et reste ainsi à taille humaine. Elle favorise l’immersion dans sa réalité façonnée sur mesure. Au-delà de sa grande histoire, il y en a toujours d’autres plus petites qui vont se déclencher au gré de nos rencontres dans ces mêmes rues, récits de gens comme tout le monde ou presque. Drôle ou touchant, voire les deux, les japonais de Kamurocho et de cette autre ville portuaire de la préfecture de Hiroshima que l’on fera plus que visiter, renforce cette idée d’un monde vivant nous entourant.
Bien qu’imparfait, le scénario de Yakuza 6 réussit souvent à nous prendre souvent aux tripes en faisant monter notre adrénaline, en grande partie grâce à la magnifique interprétation d’un Kiryu toujours aussi direct. Sans filtre, il fait ce qu’il doit faire. C’est très rafraîchissant à notre époque de voir un personnage aussi direct, presque d’un autre temps, qui tel un rônin des temps modernes, va droit au but en accord avec les principes qui le guident. Kiryu est une personne franche, il ne ment pas, est sincère et je pense que c’est ce qui le rend si charismatique. Il inspire la confiance ce qui explique aisément pourquoi il gagnera aussi vite le respect de certains de ses adversaires au point d’en faire parfois des amis proches.
Sho-Kiryu-Ken
A côté de cela, Yakuza 6 regorge de détails, montrant la passion de ses développeurs pour ce projet. Désormais Kiryu a la cinquantaine bien posée. Il n’est plus le fringuant jeune homme qui en était encore à apprendre les arts martiaux. Les gens l’appellent ojisan, un terme japonais qui veut dire vieil homme. On ne le dirait pourtant pas en le voyant sans un seul cheveu gris à la tête et se battant toujours avec la férocité d’un démon. Depuis le premier épisode, il a perfectionné son art à en devenir celui que l’on appelle le Dragon de Dojima. Devenu maître de son propre art martial, ses combos s’enchaîneront sans cassure dans le rythme de l’action, puisqu’il n’aura plus à changer de style en cours de combat comme dans Yakuza Zero ou Kiwami, Kiryu les ayant fusionné en un seul. A coup de points d’expérience glanés de plusieurs manières, vous pourrez tout de même débloquer de nouveaux combos comme des capacités passives réparties dans différentes catégories pour étoffer sa palette de mouvements.
Le jeu de Sega est dans sa globalité plus simple d’accès comme tout bon beat them all qui se respecte. Le maîtriser sera une autre paire de manches par contre mais dans l’ensemble, il se joue avec une certaine aisance. Le portable de Kiryu lui permet d’accéder à son inventaire comme au menu de compétences dont les particularité de son système de points d’expérience répartis en plusieurs branches s’avère en vérité plus simple qu’il n’y paraît. Il est même possible de sauvegarder à peu près n’importe où grâce à ce mobile. Bon nombre de temps de chargement ont disparu comme ceux que nous avions en rentrant dans un restaurant par exemple. Tout comme les combats de rue qui vont s’enchaîner directement au contact des voyous sans interruption. Tout va plus vite et fait de ce Yakuza une expérience plus souple et fluide. Le Dragon Engine qui l’anime fait plutôt bien les choses tout en permettant un magnifique embellissement des graphismes.
Les Yakuza ont toujours eu un sens du détail aigu donc ce n’est pas tant là-dessus que les améliorations ont été faites mais plutôt dans la présence de shaders plus complexes au même titre qu’un éclairage plus abouti et moderne, ou encore des animations clairement améliorées. Cependant, cela se paie très vite, vu que contrairement à Yakuza Zero par exemple, le nombre d’images par seconde peine par moment à se maintenir dans la trentaine. Et c’est sans parler d’un aliasing très présent sur la Playstation 4 de base qui gâche un peu la beauté de ses environnements. Au-delà de ces considérations purement techniques, Yakuza 6 n’est peut-être pas le meilleur de la série mais il reste un jeu solide et suffisamment riche pour y passer de nombreuses dizaines d’heures.
Yakuza 6 est – soyons honnête un instant – un pur plaisir quand on est fan. Il a quelques soucis techniques et une trame principale un peu faible en terme de qualité d’écriture, très vite rattrapée en cela par la générosité des sentiments que ses personnages vont nous balancer sans arrêt à l’écran avec bravade et sincérité. Le jeu d’acteur et le doublage sont une fois de plus excellents avec la présence d’un discret mais décisif Takeshi Kitano au casting. Pour le reste, c’est du Yakuza pur jus, avec les mêmes qualités bien qu’innovant relativement peu, sauf sur sa jouabilité et son ergonomie entrant enfin dans la modernité.