TOKI HD : Making Of et Interviews

SOMMAIRE

Interview de Philippe Dessoly par Benjamin Berget, décembre 2014

Benjamin Berget – Quels souvenirs gardez-vous des adaptations de Toki sur Micro-ordinateurs ?

Philippe Dessoly – C’était la meilleure époque pour créer un jeu vidéo, tout simplement ! Pour adapter le jeu d’arcade Toki, on bricolait la borne avec des fils pour faire des pauses à volonté. On jouait encore et encore pour tout voir, tout tester, ne rien oublier. A chaque écran de pause, on redessinait ce qu’on voyait sur Amiga et Atari ST. Tout a été fait à l’œil, si j’ose dire. Parfois, la pause plantait la borne d’arcade, et il fallait recommencer le jeu du début pour arriver à l’endroit concerné. Je crois qu’il a fallu six mois pour faire Toki sur Amiga, qui tient sur une disquette 3″ ½. La philosophie, c’était : quand tu faisais un jeu dans ton garage, tu passais le temps qu’il faut pour qu’il soit bien terminé. On se donnait les moyens de réussir quelque chose qui nous plaisait.

B. Berget – Cette philosophie n’est plus d’actualité ?

P. Dessoly – Non, cette époque est hélas révolue. La French Touch n’existe tout simplement plus, car le système veut que tout soit rentable et uniformisé. La philosophie d’aujourd’hui, c’est la répartition des tâches pour gagner du temps et du fric. Comme dans beaucoup de secteurs, le développement est devenu industriel : l’un travaille sur une brin d’herbe, l’autre sur une ombre, etc. Les développeurs ne peuvent plus dire : « j’ai fait tel jeu », mais disent : « j’ai participé à tel jeu : la brindille qui bouge, c’est moi ». Le jeu vidéo a basculé dans l’ère du fric : les commerciaux ont pris le pouvoir, ce qui a massacré la plupart des anciens développeurs.

B. Berget – C’est avec une philosophie plus authentique que vous vouliez renouer en faisant le remake d’un jeu très « années 1990 » ?

P. Dessoly – Tout à fait. Je suis revenu à mes premiers amours, c’est à dire adapter des jeux d’arcade comme je le faisais chez Océan Software. Si je pouvais uniquement faire de l’adaptation de classiques, je serais trop content ! Il y a tellement de bons jeux en arcade à remettre au goût du jour… Je suis également à la recherche d’un éditeur pour financer le développement du remake HD d’une ancienne création personnelle, Mr. Nutz. J’ai volontairement modifié le jeu au niveau des graphismes pour ne pas faire un vulgaire copié / collé de l’original avec des textures plus lisses. Tout a été imaginé et redessiné dans l’esprit Mr. Nutz, mais avec quelques nouveautés. Avis aux éditeurs !

B. Berget – Comment avez-vous travaillé pour donner un coup de jeune à Toki ?

P. Dessoly – Je bosse sur une tablette Wacom Intuos 3 en A3, donc grand modèle. La surface de la tablette est de la même taille que mon écran, donc le ratio est vraiment bien. Je sais que certains avancent qu’une tablette en A5 ne change rien, mais si, ça change tout ! Je travaille sur TV Paint Pro pour les animations, et Character Design sur Painter 9.5 pour les décors. Je me sers aussi de Photoshop 6 pour gérer les calques, car Painter 9.5 n’est pas le top pour ça. Les animations ne sont pas du Flash comme certains ont pu le dire. Non, c’est de l’anime 2D traditionnel. Je dessine les Sprites sur une base de 1000×1000 pixels, et les décors en taille 1 du jeu, donc en HD.

B. Berget – Le tour de force est d’être parvenu à garder l’esprit Toki des années 1980 tout en proposant un Design et des animations proches du dessin animé actuel.

P. Dessoly – Merci. J’ai déjà travaillé sur de gros projets, que ce soit Mr. Nutz (1994) qui m’a pris un an et demi, ou encore Ronaldo V-Football (2000) sorti sur PlayStation. Quatre ans de développement, la misère ce jeu de foot ! Mais Toki Remake est vraiment le plus gros que j’ai fait en termes de travail et temps passé dessus. Disons que Mr. Nutz, je l’ai fait tout seul au niveau graphique, mais ça restait un jeu sur Super Nintendo et MegaDrive. On est limité en nombres de couleur (512 et 256 en simultané), de taille de Sprites, et de BLK pour faire les décors. En fait, les décors étaient réalisés à base de petits carrés qui se collaient les uns à côté des autres, un peu comme le taquin (jeu en forme de damier) et au final ça configurait le décor. Mais là, avec Toki Remake, je ne me suis fixé aucune limite ! Je savais que je voulais traiter le jeu comme un dessin animé, mais quand tu es tout seul à dessiner… c’est d’un loooonnng !

B. Berget – Au niveau visuel, quelle a été votre part de travail sur ce jeu ?

P. Dessoly – Pour faire simple, j’ai tout fait à l’exception de l’animation de deux Boss fait par un animateur canadien (les Boss 1 et 3) et il doit y avoir un Sprite dans le Level 2 qui n’est pas de moi.

B. Berget – Racontez-nous comment est venue l’idée d’un Mode Aventure supplémentaire ? Jusqu’en 2010, il n’était question que d’une refonte des graphismes ?

P. Dessoly – Au départ, oui, juste un remake avec une résolution bien plus importante que du 256 pixels de large. Puis, au cours du développement est venu le Mode Aventure. C’est une idée d’Anthony. On a même commencé un manga sur l’univers de Toki en parallèle avec le Mode Aventure. Mais ce n’est plus d’actualité.

B. Berget – Etes-vous l’auteur de la carte du Mode Aventure ?

P. Dessoly – Oui, j’ai dessiné cette carte du monde. Mais aucun nouveau niveau n’a été terminé pour ce Mode Aventure, juste des menus, des bonus, des icônes et quelques Sprites d’essai. Je pense quand même qu’il y aura quelques petits trucs de cette période dans le jeu final… S’il sort un jour. Mais ça doit rester une surprise ! Et rien n’empêche de construire de nouveaux Levels avec les dessins existants, car il y a vraiment beaucoup de matériaux préparatoires.

B. Berget – Pourquoi avoir renoncé au Mode Aventure, alors qu’il a été annoncé par le président du studio ?

P. Dessoly – Ce n’est pas parce que le studio s’appelle Golgoth Studio que je suis décisionnaire. Je ne suis pas commercial. Il y a toujours un fossé – non un gouffre, entre développeurs et commerciaux. Depuis le temps que je fais des jeux, on peut dire que les deux camps ne font pas bon ménage ! Personnellement, je n’aurais jamais fait ce Mode Aventure, car j’aurais réservé ce contenu inédit pour une suite – à condition que le premier ait eu du succès.

B. Berget – Les joueurs risquent d’être déçus par cette absence…

P. Dessoly – Avant d’inclure des nouveautés, l’important c’est d’abord de finir le premier jeu, non ? Quoi qu’il arrive, les joueurs seront contents si le jeu est enfin publié. Il n’y a peut-être plus ce mode, mais il y a quelques bonus et modes de jeu qu’il n’y avait pas dans le jeu original. Mais tout peut changer avec Toki Remake… Si ça se trouve, d’ici qu’il sorte, il en aura été décidé autrement.

B. Berget – Toki Remake a été repoussé à de nombreuses reprises. Comment l’expliquez-vous ?

P. Dessoly – Pas de bol ! Et le bazar. Réponse courte et efficace !

B. Berget – Est-il en train de devenir un Vaporware ?

P. Dessoly – J’essaye de me convaincre qu’il va être commercialisé au premier trimestre 2015. Au vu du boulot effectué, ça serait dommage de laisser tomber. Qu’est-ce que je vais en faire, moi, de tous ses dessins ? Je dois dire qu’à force de discuter avec les joueurs, je dois être le seul à croire qu’il va encore sortir ! Bon, il m’arrive aussi d’avoir des doutes. Ça fait des mois qu’Anthony me dit : « il reste un mois de travail, et c’est bon » !

B. Berget – Vous avez travaillé sur Toki HD de 2008 à 2011, puis fait une pause d’un an, et vous avez repris de 2012 à 2013. Avez-vous déjà réalisé un jeu dans ces conditions ?

P. Dessoly – Non, jamais ! J’ai déjà bossé sur des jeux dans des conditions très, très difficiles. Le premier qui me vient à l’esprit c’est Arthur et les Minimoys. Mais Toki HD, c’est autre chose. Ce qui pèche, c’est le manque de communication de la tête dirigeante. C’est le premier jeu d’Anthony, il avait sa vision et sa façon de faire… Quelques chose me dit que si on travaillait ensemble sur un autre jeu, ça se passerait complètement autrement… Il faut que ça serve de leçon.

B. Berget – Deux trailers ont été diffusés, d’abord en 2009 puis en 2012. De nombreuses phases de jeu paraissent déjà jouables. Et vous, quel est votre sentiment sur l’état d’achèvement du jeu ?

P. Dessoly – Une chose est sûre, c’est que le premier Level fut terminé il y a des années, le second et le troisième Level, pas loin derrière. Hélas, tout à été refait sans cesse en programmation pour s’adapter à de nouvelles orientations. Le souci de Toki HD, c’est que plus le développement s’étalait dans le temps, moins le studio validait les éléments déjà programmés. Du coup, paradoxe : tu avances à reculons. Maintenant, quant à savoir où en est Toki à ce jour, je ne sais pas. Je n‘ai jamais rien vu manette en main. Ça parait incroyable à moi aussi, mais je n’arrive pas à voir quoi que ce soit de concret. C’est assez délirant !

B. Berget – Initialement, le jeu devait sortir en résolution 720p sur Xbox 360 et PlayStation 3 ?

P. Dessoly – Le développement du jeu est reparti à zéro en juin 2014 pour proposer une résolution de 1080p sur Xbox One et PlayStation 4. Si ça n’a pas changé depuis, il y aura les deux modes de résolution. Le 720p est conservé pour ceux qui veulent la même jouabilité que l’arcade. Car forcément, en 1080p on voit plus de choses à l’écran, donc ça change la jouabilité. Par exemple, le déclenchement de certains ennemis.

B. Berget – Merci beaucoup Philippe.

1 réflexion au sujet de « TOKI HD : Making Of et Interviews »

Laisser un commentaire