Critique

Vectronom

Développeur : Ludopium – Éditeur : ARTE France – Date de Sortie : 29 mai 2019 – Prix : 9,99 €

Mi-mai 2019, les allées de la salle Le Liberté de Rennes accueillaient de nombreux jeux vidéo indépendants. L’ambiance est toujours chaleureuse, conviviale et plutôt calme, sauf à une exception près. 2018 était rythmée au son gras et lourd du métal de Double Kick Heroes. Cette année, impossible de passer à côté de Vectronom tant sa musique électronique de grande qualité happait le chaland comme les sirènes le font avec les âmes égarées. C’est avec un pouvoir mystique que je suis resté scotché sur ce jeu un long moment.

Inhabituel design

Lopodium est un studio de développement allemand spécialisé dans la production de titres musicaux atypiques. Leur volonté est d’offrir une expérience originale qui couple parfaitement le son et l’image. Leur premier jeu, Project MMM vous propose de créer de la musique à travers des niveaux où l’on dirige des espèces d’avions en papier à l’aide de contrôleurs MIDI. Vectronom suit alors cette logique en proposant cependant plus un jeu vidéo commercialisable qu’une expérience uniquement montrable sur des salons type Indiecade. Aidé par Arte Interactif (l’un des meilleurs éditeurs du moment à mon avis), le studio de Cologne a réussi à créer quelque chose de vraiment unique dans l’univers vidéo-ludique.

Au premier abord, quand on voit Vectronom tourner, on ne se doute pas un seul instant de l’état duquel on va en sortir. Cette sensation est bafouée lors d’un salon à cause des gens autour, du bruit ambiant (même si la barre de son présente lors du Stunfest crachait sévère) et d’autres éléments perturbateurs, mais on y prend goût rapidement. Une fois chez soi, avec une installation sonore de qualité si vous avez craqué votre PEL comme moi, ou un très bon casque, vous en sortirez changé. Et complètement moite.

Musique design

Sur le papier, le jeu de Lopodium pourrait se résumer à de la réflexion rythmique. Vous contrôlez un simple cube dans un monde rempli d’autres cubes dont votre seul but est d’atteindre un bloc désigné comme étant la sortie. Vous faites alors rouler votre prisme en fonction des arêtes touchant le sol, ce qui vous donne généralement quatre directions possibles (sauf si un trou se trouve à côté). Il faut donc avancer en évitant de tomber ou de se faire toucher par certains pièges matérialisés sous la forme de petites pyramides. Et c’est tout. Sauf que la musique a été composée et ajoutée pour être un élément de game design à part entière. C’est même la composante la plus importante et impressionnante de Vectronom.

Chaque puzzle, qu’il dure dix secondes ou 20 minutes en fonction de vos capacités, a été imaginé en combinant un très simple level design (la plupart des schémas ont été déjà vus) et une mélodie exclusive. Le coup de génie réside dans le fait que tout le niveau s’adapte et se meuve selon le rythme des beats et des boum boum. Tel un chef d’orchestre, la musique va alors totalement changer la configuration de la carte ce qui vous demande de suivre scrupuleusement la partition sous peine de sanction instantanée.

Casse-tête design

Pour éviter les punitions à répétition, on se surprend souvent à simplement observer et écouter quelques secondes ce qui nous fait face. La première analyse provient de nos oreilles avec le cycle du morceau courant qui fonctionne toujours avec une boucle classique de 3, 4, 8 temps, etc. Je ne suis pas musicien, mais tout le monde est capable de comprendre un système à quatre temps du genre « BOUM, BOUM, BOUM, TCHAAA » où chaque “BOUM” vous fait déplacer d’une case et le “TCHAAA” vous arrêter car cela vous fera stopper sur un cube qui n’aura pas disparu.

C’est très difficile de décrire cet aspect à l’écrit, je vous invite donc à regarder quelques vidéos, de monter le son (c’est recommandé au début du jeu afin d’en faire profiter les voisins !) et de comprendre par vous-même. Sinon, si vous connaissez d’autres titres du genre comme Crypt of the NecroDancer de Brace Yourself Games (sans les ennemis ni la composante RPG / Rogue-lite) ou le futur Cadence of Hyrule, voire Space Channel 5 (comparaison un peu tirée par les cheveux, mais je trouve que ça marche) c’est la même chose : il faut sentir la musique vous imprégner pour profiter et surtout réussir.

Visuel design

Comme je le disais, Vectronom s’accompagne aussi d’un visuel basé sur l’empilement de cubes. Cet aspect épuré avec de simples aplats de couleurs (je suis sûr que le jeu pourrait tourner sur une NES !) et quelques effets de rotation colorimétrique du fond de carte, elle aussi synchrone avec la musique, font que le jeu peut aussi se lire avec les yeux. Là aussi on arrive à déterminer le tempo, à l’interpréter, à croiser les informations de nos oreilles, pour programmer notre trajectoire qui sera exécutée quelques secondes plus tard en serrant les fesses.

C’est toute respiration coupée que je me suis vu accomplir certains passages, car la marge d’erreur est relativement faible – la difficulté se jauge par le nombre de millisecondes de décalage autorisé – et il est toujours frustrant de devoir recommencer un tableau de zéro. Il y a certains moments que j’ai fait en me concentrant que sur la musique afin de ne pas être gêné par les effets visuels, et inversement. Je me suis même obligé à terminer un niveau les yeux fermés tant mon cerveau n’arrivait pas à percevoir le rythme à travers ma vue.

J’ai envie de dire que Vectronom est un exemple pour le milieu du jeu vidéo, car sa forme (visuelle et auditive) sert de pièce maîtresse à son game design. L’image seule, bien que superbe, n’aurait aucun sens. Le son, bien que splendide (je déteste l’électro généralement, c’est donc exceptionnel), n’a de sens que dans ce jeu.

Vectronom une sorte de cercle vertueux de toutes ses composantes. Il a été construit avec une maîtrise totale de son game design. L'expérience dure moins de trois heures, il n'y a pas de raison obligatoire d'y retourner – sauf pour collectionner tous les cubes spéciaux (pour seulement avoir le 100 %), on attendra donc l'arrivée de l'éditeur de niveau (c'est Arte qui me l'a confié) – mais on en ressort comme peu de jeux l'ont fait avant : tout tremblant, la sueur au front et la sensation d'avoir vécu quelque chose de différent, d'unique. Ça s'appelle le Flow (ou la zone en français) et quand on y est, on sait que l'on tient un petit bijou.

Image de Zhykos

Zhykos

Touche à tout, mais toujours avec plusieurs mois de retard ; tellement de retard que mon PC n'a pas évolué depuis 2008 quand j'ai commencé à parler de jeux vidéo sur le net.

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