Indiecade Europe 2019
Dans la spirale de l’Indieverse
19 octobre 2019, 9h30 – La grippe du futur contractée à Animasia il y a une semaine m’arrache la gorge comme au premier jour. Entre les lambeaux de douleur, j’ai encore des flash de cosplays dénudés et de goodies d’ahegao, ces expressions orgasmiques, sans créditer aucun des auteurs auxquels ont été volé ces visages visqueux mal photoshopés.
10h – Okay, je suis dans le métro. Plus tard dans la journée me viendra spontanément la réplique suivante : pourquoi jouer à Fallout ? Il y a déjà le métro de Paris. Je n‘ai pris qu’un café et quatorze pilules de cortisone, je n’ai toujours pas de voix et j’ai demandé des pains au chocolat au lieu de chocolatines au boulanger qui n’a pas remarqué mon effort. Je me fonds bien mieux dans le paysage que je l’aurais voulu.
10h45 – J’émerge encore fumant des entrailles de la capitale station François Mitterrand en hommage à feu notre Président de la République, en l’honneur duquel se dresse la titanesque citadelle où se tient notre rencontre : la Bibliothèque Nationale de France François Mitterrand. Quatre tours de verre sous un ciel mouillé de nuages gris où scintillent les gouttes sous un soleil d’or pâle, érigées autour d’une forêt des Carnutes comme sertie dans un dolmen de cristal. C’est dans ce palais de la Culture que se tient depuis un jour déjà l’Indiecade.
11h – Un vigile est en quête d’une bombe dans mon blouson en cuir.
11h05 – Dans l’entrée sont alignés des dizaines de développeurs exposant leurs jeux, devant chacun desquels il y a la queue. Le temps que je m’extirpe de la fouille patibulaire, les exposants avaient déjà changé. Je prends alors la mesure de tout ce que j’ai raté, à ne venir que le samedi à onze heures. Mais le vendredi je bosse, moi, m’sieurdames. Combien de dizaines et de dizaines de jeux ais-je raté ? Combien de stickers et de pin’s m’ont été arrachés des mains ?
11h10 – Après quelques minutes de flottement, je décide de commencer à me déplacer très doucement. Je rencontre alors Skywilly qui me présente à au moins dix personnes dont quatre que je connais déjà, puis après avoir rigolé pendant un quart d’heure, je fais encore un pas et rencontre encore vingt cinq personnes et trois quarts avec qui j’ai encore des discussions passionnantes. Et comment va ton jeu, et comment va ton studio. Le temps de se donner des nouvelles, les gens se sont relayés, ce sont de nouveaux développeurs qui se présentent. Boulapoire, Goloso, Diane… Florent Morin apparaît soudain, il tape la bise, il se souvient de moi, il est heureux et distribue généreusement des tapes dans le dos, puis s’exclame qu’il n’a pas le temps de rester et qu’il est juste passé faire coucou, puis il disparaît. Tous ces gens sont des stars à mes yeux. Je réaliserai trop tard qu’il y en avait au moins le double sur place que je suivais sur Twitter et que je n’avais pas pu rencontrer.
14h – Je n’ai encore essayé aucun jeu, j’ai faim et je commence à paniquer. Cet endroit est-il en train de me tester ? Je me précipite au foodtruck après avoir rapidement renoncé à savoir qui mangeait quoi. Je me retrouve quand même à manger avec des amis (car il y a tout le monde à l’Indiecade. Ce n’est pas une expression. Cette zone est comme une spirale centripète d’indés) dont un qui, végétarien, mange un burger dont le steak a été remplacé par un chapeau de champignon. Cette incroyable curiosité culinaire à la fois folle et géniale annonce imperceptiblement la suite de la journée : les jeux.
14h30 – La BNF, immense et rutilante, a quand même foutu l’Indiecade dans un de ses coins, à tel point qu’il faut parfois faire la queue pour entrer dans certaines salles. On traverse des passerelles qui nous laissent passer par des tours de béton expressionnistes où on pourrait presque voir léviter des archimages en médiation, mais on atterrit dans une boîte à chaussure où sont entassés les laptops et les développeurs en sudation.
Je revois encore Adrien Larouzée à moitié décédé de garder seul son stand Vectronom. Ah qu’elle est bien la musique de Vectronom. “Je l’entends encore dans mon sommeil” sanglote-t-il.
Juste à côté, le stand de VR avec Elementerra : une équipe de Los Angeles qui fantasme une réalité où le joueur ne passe pas sa vie à buter des trucs, mais à semer la vie autour de lui. J’essaye de parler à la développeuse de ma voix éraillée, elle ne parvient pas à me répondre du tout ; sa voix à elle a disparu totalement. Je la laisse en paix. Elle m’est reconnaissante.
Je me retourne et je tombe sur RPG Time, un jeu japonais littéralement dessiné à la main. C’est bien ça : des centaines de scans qui forment une aventure interactive en dessin animé. L’exploit de Cuphead appliqué au point’n’click dans un style très proche de ce qu’on faisait dans les marges de nos cahiers en cours. J’en lâche une larme, et je me demande où ils ont réussi à trouver assez de café pour réaliser un tel rêve de gosse.
Après un âpre combat de politesse, je parviens à mettre la main sur une manette pour gagner un T-shirt dans ce jeu de versus fighting fait sur Unity : Metal Revolution. Je me fais éclater en deux-deux bien sûr, et je me dis : okay en Chine les indés font des versus fighting oklm pendant qu’on monte des dossiers CNC.
Mais je n’ai encore rien vu. L’autre jeu chinois, c’est Biped ; oui, celui-là même qui a remporté le prix du public. Le développeur me décerne respectueusement la manette et me met en coop avec un gars que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam dans un jeu qui n’a besoin d’aucune explication particulière. Biped : c’est le jeu le plus casual et le plus amusant de l’univers et je suis désolé de dire ça à tous mes amis qui me liront mais Mario Kart Double Dash je pourrai plus le voir en peinture après ça, je suis désolé, mais je vais l’acheter Biped et je vais jouer avec ma grand mère, tchao bye bye.
17h – Il y a des dizaines et des dizaines de jeux tout aussi géniaux. J’en ai essayé un bon nombre et parlé à autant de développeurs, mais il y avait la queue partout et pas assez de place de pour se répartir vers les jeux un peu moins populaires. Je n’ai même pas joué à un cinquième des jeux exposés. Mais j’ai déjà envie d’en acheter les trois quarts. Moi qui n’achète jamais de jeux, ma carte bleue me supplie de leur donner de l’argent.
Il y a aussi toutes sortes d’autres activités dont j’ai vaguement entendu parler, mais je n’ai pas eu la foi de partir de partir en exploration de peur de rater l’occasion de jouer à un nouveau jeu ou de croiser un autre auteur que j’admire en allant aux toilettes.
17h02 – J’ai trouvé une machine à café
18h – N’ayant assisté à strictement aucune foutue conférence (pas l’temps pas l’temps) (de toute façon je sais parfaitement qu’elles sont géniales, je les connais toutes) je me dis, au bout de quatorze cafés, que je devrais assister à la remise des prix. Fatale erreur, mes amis.
La remise des prix de l’Indiecade, pour ceux qui ne le savent pas, consiste en beaucoup de moments que personne ne comprends (des jeux primés qui n’étaient pas exposés ? Des vidéos bizarres avec des gens qu’on ne connaît pas ? me demandez pas à moi, je ne suis qu’un humble visiteur), ainsi que des jeux relativement dangereux (monsieur, ceci n’est pas un ballon mais un pouf de trente kilos, et ceci est un cou de jeune personne et non une raquette), puis des remerciements interminables de la terre toute entière. C’est bien que ça existe, je dis pas, j’aurais juste pas du y aller.
Heureusement, après, il y a des bières.
19h – Vous savez comme l’Indiecade c’est d’abord et avant tout un chant cosmique qui attire irrépressiblement les indés autour de jeux que tu verras pas à la télé parce que la télé elle FOND quand quelque chose d’aussi génial lui arrive. Eh bien la même, mais ambiance potes.
Ca commence par des pintes dans un bar qui n’avait manifestement pas prévu d’accueillir cent personnes d’un coup. On critique les absents avec tout l’amour du monde.
21h – On va manger dans un restaurant qui apparemment n’avait pas prévu d’accueillir cent personnes d’un coup, et on défonce le gamergate et tous ses sympathisants et on complote sur : comment construire des espaces accueillants dans l’industrie pour les femmes, les queer et les renois !
23h – On reva au bistrot, et on trépigne sous la pluie de soutien aux cheminots après que la SNCF ait carrément condamné tout le monde à trouver une solution de repli pour le week-end, vu qu’il n’y a plus de trains. Paris nous tient dans ses rêts, c’est définitif. Pour ma part je ne repars pas, il y a l’expo Tolkien, la Paris Games Week dans une semaine et j’ai plein de collaborateurs à voir. A mendonné il faut aussi que je n’en fasse du jeu vidéo, je suis pas journaliste comme même.
20 octobre 2019, 1h – Je cherche un bail sur Paris. Je suis foutu. La ville m’a eue.
5h – Dites à ma mère… De reprendre… Ses tupperwares…
Léonard Bertos
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1 réflexion au sujet de « Indiecade Europe 2019 : dans la spirale de l’Indieverse »
Finalement je suis rentré.