Critique

Shenmue 3

Développeur : YS Net – Éditeur : Deep Silver – Date de Sortie : 19 Novembre 2019 – Prix : 50 €

Après 17 ans passé dans une grotte, Ryo Hazuki et la mystérieuse Shenhua en sortent et découvrent que sortir la suite d’un jeu à monde ouvert avec le dixième du budget original, c’est pas facile.

Shenmue à l'adolescence

Projet au long cours de Yu Suzuki, la série des jeux Shenmue était en 2001 un concept novateur et plein de potentiel. Une histoire poétique, dans des environnements réalistes avec des personnages vaquant à leurs occupations, une obligation de suivre le cours du temps, des entraînements au Kung-fu longs et pénibles pour devenir meilleur, des mini-jeux complètement hors sujet, de la collection d’objets des QTE… Shenmue 1 et 2 ont un peu bouleversé le monde du jeu vidéo à leur sortie. Malheureusement, sortis sur une console qui n’a pas eu de chance, le projet s’est arrêté sur un cliffhanger insoutenable et la suite à été réclamée à cor et à cri pendant presque 15 ans. Un kickstarter a été lancé en 2015 et a eu suffisamment de succès pour remettre en route le jeu. Cependant, là ou les deux premiers jeux avaient bénéficié d’un budget pharaonique pour l’époque (47 millions de Dollars, donc 68 millions ajustés à l’inflation) et failli couler SEGA, le projet financé ne demandait que 2 millions de dollars pour se lancer, et a fini à près de 6,35 millions de dons. Les généreux donateurs en ont ils pour leur argent ?

Revenons un peu au début, un résumé des deux jeux est disponible mais je m’en vais vous narrer cette saga. Ryo Hazuki est un japonais comme les autres de l’hiver 1986. Il rentre au dojo familial et constate qu’une voiture noire est garée devant chez lui, et se dit que quelque chose ne tourne pas rond. Une fois dans le bâtiment il voit son père se faire mettre la misère par un Chinois. Après avoir tué le père Hazuki, le mystérieux Chinois lui met une raclée et s’en va. Ryo va alors parcourir la ville à la recherche de cet assassin, et cela va le mettre sur la piste d’un mystérieux miroir du phœnix, un miroir en jade que son père avait caché. Ce miroir fait une paire avec celui du dragon et il semblerait que les deux miroirs ensemble fassent un truc, mais on ne sait pas trop quoi. Ryo retrouve à peu près la trace de l’assassin, apprend qu’il s’appelle Lan Di, mais qu’il est déjà parti pour Hong Kong. Le jeune karatéka prend donc son courage à deux mains et ses valises dans la troisième et embarque vers Hong Kong aussi. Fin de Shenmue 1.

Dans Shenmue 2, Ryo se fait voler bagages et argent dès le début du jeu par des malfrats avec qui il va ensuite se faire des amis. Toujours à la recherche de Lan Di, il parcourt plusieurs quartiers de Hong Kong et rencontre différents maîtres d’arts martiaux. Il apprendra plusieurs techniques et deviendra plus fort, jusqu’à devoir gravir les étages de Kowloon pour retrouver Lan Di qui s’enfuira sous son nez. Ensuite il ira se paumer dans les montagnes de Chine et rencontrera Shenhua, une fille mystérieuse. Après une balade interminable, les deux acolytes finiront par trouver une grotte mystérieuse dans laquelle le miroir du Dragon et du Phoenix semblent avoir été créés, et c’est fini.

17 ans plus tard

Voilà, donc les fans ont la bave au lèvre, ça fait 17 ans qu’ils attendent de savoir ce qu’il va se passer ensuite. Et ben désolé de tout casser, mais Shenmue 3 ne fait vraiment pas avancer le schmilblick. Vraiment pas. Enfin, si, un peu. Mais pour cela il va falloir se taper l’un des jeux les plus mal foutus de 2019. Shenmue 3 nous embarque donc dans la Chine rurale du printemps 1987, à la recherche du père de Shenhua disparu. D’abord dans son village natal, qui est la cible d’une bande de voyous terrorisant les tailleurs de pierre, et ayant probablement enlevé le père de Shenhua, puis dans une ville portuaire un peu plus grande où d’autres voyous terrorisent les commerçants et font baisser leur chiffre d’affaire, les redoutables gilets jaunes… euh non, les Serpents Rouges. Afin d’affronter ses différents adversaires, Ryo va devoir apprendre de meilleures techniques avec de mystérieux maîtres d’arts martiaux et après en avoir suffisamment décousu avec eux, les serpents rouges mèneront alors Ryo à Lan Di qui trainait dans le coin on sait pas trop pourquoi, et le tout se terminera dans les flammes de la trahison et le questionnement.

Alors, j’ai pas donné d’argent pour le kickstarter et j’ai toujours été très très critique vis à vis du développement de ce jeu. Et après l’avoir terminé je suis assez partagé. D’un côté, c’est un peu le jeu que les gens attendaient, la suite de Shenmue 2, mais avec un pack HD. Le soucis c’est qu’on a l’impression d’avoir à faire à un jeu de 2002, dans ses mécaniques, dans sa présentation et son déroulement. Tout est prétexte à faire perdre du temps inutilement. Par exemple, la gestion de l’argent et de la fatigue. Ryo doit constamment bouffer des trucs pour remettre sa barre d’énergie au beau fixe. Courir la fait baisser drastiquement, et il faut donc régulièrement bouffer des fruits ou des poulets entiers pour remettre de l’énergie. Sauf que tout à un prix, et que gagner de l’argent est complexe inutilement. Une grosse partie du jeu consistera donc à trouver un moyen de se faire du fric pour acheter des ananas et ainsi pouvoir faire autre chose que marcher lentement partout. Sachant qu’il faut aussi s’entraîner régulièrement pour pouvoir passer les combats qu’impose le jeu, et qu’on s’entraine mieux le ventre plein, la gestion de l’argent devient une mécanique pénible à prendre en compte tout le temps. Le truc c’est que si les occasions de gagner du fric sont minimes, les occasions de le dépenser sont partout, mais toujours pour des trucs inutiles ou inutilisables, on dirait un simulateur de touriste.

Pour en revenir aux combats, le jeu nous propose un système de boutons de combos, ou faire une certaine combinaison de touches nous permet de lancer un coup spécial. Ces coups peuvent être appris en achetant des parchemins aux magasins et coutent extrêmement cher pour les plus efficaces. Une fois acquis, il faut s’entraîner au club de bagarre local et les coups maîtrisés ou plus puissants peuvent ensuite être ajoutés dans une liste de raccourcis et lancés d’une simple pression sur la gâchette. Dans les faits, ça donne surtout des combats rigides où on a pas vraiment l’impression que nos coups portent et où l’ordinateur réagit de manière très bizarre. On est loin de Virtua Fighter… Et quand bien même on serait le mec le plus fort du village, capable de mettre une raclée à tout le monde, le jeu va nous imposer des boss imbattables dont il faudra se débarrasser par un QTE appris avec un maître spécial qu’il faudra chercher et qui nous fera subir des épreuves débiles avant de nous apprendre le QTE magique de la finition véritable du méchant.

Des QTE ?

Ah ben oui, ça vient avec le package, dans Shenmue, il y a des QTE, des Quick Time Event. Des séquences de jeu, où l’action se déroule sans notre impulsion mais où à un moment précis il va falloir appuyer sur un bouton ou une direction afin de poursuivre le déroulement de la séquence. C’était une des grosses innovations de Shenmue, et ils sont de retour et je dois avouer que leur implémentation est tout à fait réussie dans l’ensemble. Et ce pour plusieurs raisons. Ils ne provoquent pas de game over, ne sont pas très longs et bénéficient de checkpoints, et même si rater le QTE oblige à recommencer la séquence depuis le dernier checkpoint, les conséquences de l’échec sont parfois drôles et toujours montrées. Cependant, même si le jeu n’abuse pas trop de ces séquences, elles tombent parfois comme un cheveu sur la soupe et peuvent gâcher la narration qu’on se fait du jeu. Ce qui m’emmène au plus gros reproche qu’on peut faire à ce jeu de mon point de vue.

Il ne raconte rien.

Quand les gens ont donné des sous pour le kickstarter, ils voulaient sinon la fin de l’histoire, au moins la suite. Je suis pas sûr qu’ils voulaient un jeu où on doit poursuivre des canards et les attraper pour gagner de l’argent à dépenser dans des boutiques virtuelles. Ils voulaient savoir qui était Shenhua, ce que sont les miroirs et pourquoi Lan Di a tué le père de Ryo. Dans Shenmue 3, ces questions n’obtiennent pas vraiment de réponse. On sait à peu près à quoi servent les miroirs mais sans pouvoir le constater et on sait que Lan Di a tué le père Hazuki pour venger lui aussi la mort de son père, mais les circonstances sont loin d’être claires. Et Shenhua, ben on sait pas. Mais il y a d’autres soucis. Déjà, la question qui fâche : est-ce que tu vas finir par nous cracher ta pilule, hein ? Suzuki ? Au lieu de faire des ronds de jambe et de nous faire chasser des poulets pour devenir plus fort à la bagarre mais se faire quand même blackbouler par le boss de fin en mode IA qui triche dans Mortal Kombat, on pourrait pas avoir, je sais pas, une histoire qui tienne debout ? Ou une histoire tout court ? Parce que dans les faits on a juste un début de truc qui pourrait amener à quelque chose de bon, mais la narration est tellement délitée et diluée dans le n’importe quoi ambiant du jeu que les tenants et aboutissants en deviennent très obscurs. Ah ben oui, la narration du jeu. Ryo recherche des gugusses pendant tout le jeu, mais on ne peut jamais aller là où ils sont parce que des murs invisibles de narration nous empêchent d’y aller. Donc on doit faire trois fois le tour du village jusqu’à déclencher la suite d’évènements qui vont nous permettre d’aller au bon endroit alors que rien, physiquement, n’empêchait d’y aller.

Et la technique ?

C’est mitigé. Les environnements sont assez beaux, on a droit à de splendides couleurs de jour comme de nuit, et les deux zones sont assez variées pour permettre un dépaysement intéressant. Mais pour ce qui est des personnages arpentant les zones du jeu, c’est quand même la débandade. Les personnages sont vraiment tout carrés. Ils se déplacent comme s’ils avaient un placard à balais dans le fondement, et globalement on dirait que personne dans l’équipe dédiée à la modélisation des personnages n’a vu un être humain fonctionnel depuis un bail. Sans parler des enfants hydrocéphales parsemant la campagne. Se déplacer avec Ryo est très difficile, il court trop vite pour les environnements du jeu donc on se prend tous les murs, chaises et autres obstacles qu’il faut ensuite contourner de manière laborieuse. Par contre sa marche est trop lente, et certains endroits sont indiqués comme « interdits de courir » on ne sait pas pourquoi, et passer par ces ruelles devient vite source de frustration. Ce côté playmobil est aussi constaté pendant les combats, dont j’ai déjà parlé, où la rigidité des adversaires et de Ryo en est presque ridicule.

Vivement Shenmue 4 alors

Après, on ne nous a pas menti sur la marchandise. Shenmue 3 est bien le jeu que Yu Suzuki voulait faire à l’époque. Maintenant, peut-être qu’il aurait fallu qu’il regarde ce qui se fait un peu à côté depuis qu’il a arrêté de faire des jeux. Mais c’est le problème des gens considéré comme des génies, ils ne se remettent jamais en question. Et la glorification du bonhomme via le Kickstarter en est une des preuves. Faut imaginer que t’as des gens qui ont mis de manière individuelle 10 000 $ pour que ce jeu se fasse mais qu’ils aient droit à leur photo dans le jeu, un repas avec Yu Suzuki et une veste en cuir moche. Parlons-en tiens, encore un peu, du Kickstarter. Il est partout, dans Shenmue 3, et intégré de manière terriblement grossière. Un temple se fait ravager par les méchants, mais heureusement pas la pièce du fond, tiens va la voir. La pièce du fond est tapissée de photos des gens qui ont donné de l’argent. Dans la deuxième ville du jeu tu as un temple qui s’appelle Save Shenmue et qui contient des figurines géantes de Ryo et Shenhua. Ça n’a aucun sens, comment tu veux que Ryo rentre dans un temple et voie des figurines de sa trombine et ne réagisse pas. On pouvait vaguement faire ça avant, et encore la salle des développeurs par exemple de Deus Ex ou de Chrono Trigger était bien cachée, mais là c’est ridicule. Sans parler des autres récompenses, où on peut se dire « tiens lui c’est un kickstartos » en voyant certains personnages du jeu.

Bon, cet article est bien trop long (comme le jeu), mais quoi qu'il en soit, Shenmue 3 est Shenmue 3. Le Shenmue 3 qui aurait pu sortir si la Dreamcast avait eu du succès. Mais aucun doute là dessus, il n'aurait pas vendu des consoles par palettes, n'en déplaisent aux fans hardcore du jeu. Pour autant, suivre l'enquête dans le jeu n'est pas si désagréable, mais le game design complètement pété aura eu raison de ma bienveillance. On en fait plus des jeux comme ça. Et heureusement, parce que même à l'époque c'était déjà trop tard.

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Shutan

Rétrogamer dans l'âme, mais ouvert aux nouveautés.

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1 réflexion au sujet de « Shenmue 3 »

  1. J’arrive sur cette page après m’être un peu perdu sur Internet à rechercher une source de motivation pour finir Shenmue 3 (j’ai arrêté à environ 1h de jeu). J’envoie juste un com’ pour vous dire que votre article est très bien écrit. Finalement, je suis assez d’accord avec votre analyse. Et je viens de me spoiler la fin de ce 3eme opus sur Youteub et suis triste de ne pas avoir obtenu les réponses que j’attends depuis bien 15 ans… Je ne donnerai pas mon avis sur le jeu qui rejoint beaucoup le votre. Inutile de me répondre, pas sûr que je revienne sur ce site sur lequel j’ai atterri par hasard ✋😁. Bisou.

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